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et calme qu'elle avait adopté. Sa présence attira chez la Wilhelmine
quelques personnes fort distinguées qu'elle eut grand plaisir à y
rencontrer souvent, entre autres, le baron Frédéric de Trenck, qui lui
inspirait une vraie sympathie. Il eut la délicatesse de ne point l'aborder,
la première fois qu'il la revit, comme une ancienne connaissance, mais de
se faire présenter à elle, après qu'elle eut chanté, comme un admirateur
profondément touché de ce qu'il venait d'entendre. En retrouvant ce beau et
généreux jeune homme qui l'avait sauvée si bravement de M. Mayer et de sa
bande, le premier mouvement de Consuelo fut de lui tendre la main. Le
baron, qui ne voulait pas qu'elle fît d'imprudence par gratitude pour lui,
se hâta de prendre sa main respectueusement comme pour la reconduire à sa
chaise, et il la lui pressa doucement pour la remercier. Elle sut ensuite
par Joseph, dont il prenait des leçons de musique, qu'il ne manquait jamais
de demander de ses nouvelles avec intérêt, et de parler d'elle avec
admiration; mais que, par un sentiment d'exquise discrétion, il ne lui
avait jamais adressé la moindre question sur le motif de son déguisement,
sur la cause de leur aventureux voyage, et sur la nature des sentiments
qu'ils pouvaient avoir eus, ou avoir encore l'un pour l'autre.
«Je ne sais ce qu'il en pense, ajouta Joseph: mais je t'assure qu'il n'est
point de femme dont il parle avec plus d'estime et de respect qu'il ne fait
de toi.
--En ce cas, ami, dit Consuelo, je t'autorise à lui raconter toute notre
histoire, et toute la mienne, si tu veux, sans toutefois nommer la famille
de Rudolstadt. J'ai besoin d'être estimée sans réserve de cet homme à qui
nous devons la vie, et qui s'est conduit si noblement avec moi sous tous
les rapports.»
Quelques semaines après, M. de Trenck, ayant à peine terminé sa mission
à Vienne, fut rappelé brusquement par Frédéric, et vint un matin à
l'ambassade pour dire adieu, à la hâte, à M. Corner. Consuelo, en
descendant l'escalier pour sortir, le rencontra sous le péristyle. Comme
ils s'y trouvaient seuls, il vint à elle et prit sa main qu'il baisa
tendrement.
«Permettez-moi, lui dit-il, de vous exprimer pour la première, et peut-être
pour la dernière fois de ma vie, les sentiments dont mon coeur est rempli
pour vous; je n'avais pas besoin que Beppo me racontât votre histoire pour
être pénétré de vénération. Il y a des physionomies qui ne trompent pas, et
il ne m'avait fallu qu'un coup d'oeil pour pressentir et deviner en vous
une grande intelligence et un grand coeur. Si j'avais su, à Passaw, que
notre cher Joseph était si peu sur ses gardes, je vous aurais protégée
contre les légèretés du comte Hoditz, que je ne prévoyais que trop, bien
que j'eusse fait mon possible pour lui faire comprendre qu'il s'adressait
fort mal, et qu'il allait se rendre ridicule. Au reste, ce bon Hoditz m'a
raconté lui-même comment vous vous êtes moquée de lui, et il vous sait le
meilleur gré du monde de lui avoir gardé le secret; moi, je n'oublierai
jamais la romanesque aventure qui m'a procuré le bonheur de vous connaître,
et quand même je devrais la payer de ma fortune et de mon avenir, je la
compterais encore parmi les plus beaux jours de ma vie.
--Croyez-vous donc, monsieur le baron, dit Consuelo, qu'elle puisse avoir
de pareilles suites?