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épaules de neige filaient des sons admirables, ses bras ronds et voluptueux
chantaient toujours juste, et ses poses superbes enlevaient d'emblée les
traits les plus hasardés. Malgré le purisme musical dont on se piquait là,
on y subissait, tout comme à Venise, la fascination du regard langoureux;
et madame Corilla préparait, dans son boudoir, plusieurs fortes têtes à
l'enthousiasme et à l'entraînement de la représentation.
Elle se présenta donc hardiment pour chanter, par intérim, les rôles de
madame Tesi; mais l'embarras était de se faire remplacer elle-même dans
ceux qu'elle avait chantés jusque-là. La voie flûtée de madame Holzbaüer
ne permettait pas qu'on y songeât. Il fallait donc laisser arriver
Consuelo, ou se contenter à peu de frais. Le Porpora s'agitait comme un
démon; Métastase, horriblement mécontent de la prononciation lombarde de
Corilla, et indigné du tapage qu'elle faisait pour effacer les autres
rôles (contrairement à l'esprit du poëme, et en dépit de la situation),
ne cachait plus son éloignement pour elle et sa sympathie pour la
consciencieuse et intelligente Porporina. Caffariello, qui faisait la cour
à madame Tesi laquelle madame Tesi détestait déjà cordialement la Corilla
pour avoir osé lui disputer _ses effets_ et le sceptre de la beauté,
déclamait hardiment pour l'admission de Consuelo. Holzbaüer, jaloux de
soutenir l'honneur de sa direction, mais effrayé de l'ascendant que Porpora
saurait bientôt prendre s'il avait un pied seulement dans la coulisse,
ne savait où donner de la tête. La bonne conduite de Consuelo lui avait
concilié assez de partisans, pour qu'il fut difficile d'en imposer plus
longtemps à l'impératrice. Par suite de tous ces motifs, Consuelo reçut des
propositions. En les faisant mesquines, on espéra qu'elle les refuserait.
Porpora les accepta d'emblée, et, comme de coutume, sans la consulter.
Un beau matin, Consuelo se trouva engagée pour six représentations; et,
sans pouvoir s'y soustraire, sans comprendre pourquoi après une attente de
six semaines elle ne recevait aucune nouvelle des Rudolstadt, elle fut
traînée par le Porpora à la répétition de l'_Antigono_ de Métastase,
musique de Hasse.
Consuelo avait déjà étudié son rôle avec le Porpora. Sans doute c'était
une grande souffrance pour ce dernier d'avoir à lui enseigner la musique
de son rival, du plus ingrat de ses élèves, de l'ennemi qu'il haïssait
désormais le plus; mais, outre qu'il fallait en passer par là pour arriver
à faire ouvrir la porte à ses propres compositions, le Porpora était un
professeur trop consciencieux, une âme d'artiste trop probe pour ne pas
mettre tous ses soins, tout son zèle à cette étude. Consuelo le secondait
si généreusement, qu'il en était à la fois ravi et désolé. En dépit
d'elle-même, la pauvre enfant trouvait Hasse magnifique, et son âme sentait
bien plus de développement dans ces chants si tendres et si passionnés
du _Sassone_ que dans la grandeur un peu nue et un peu froide parfois de
son propre maître. Habituée, en étudiant les autres grands maîtres avec
lui, à s'abandonner à son propre enthousiasme, elle était forcée de se
contenir, cette fois, en voyant la tristesse de son front et l'abattement
de sa rêverie après la leçon. Lorsqu'elle entra en scène pour répéter avec
Caffariello et la Corilla, quoiqu'elle sût fort bien sa partie, elle se
sentit si émue qu'elle eut peine à ouvrir la scène d'Ismène avec Bérénice,
qui commence par ces mots: