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bon chanoine était arrivé à Vienne; que son premier soin avait été de faire
demander son cher Beppo, et de lui donner un excellent déjeuner, tout en
lui faisant mille tendres questions sur son cher Bertoni. Ils s'étaient
déjà entendus sur les moyens de nouer connaissance avec le Porpora, afin
qu'on pût se voir en famille, honnêtement et sans cachotteries. Dès le
lendemain, le chanoine se fit présenter comme un protecteur de Joseph
Haydn, grand admirateur du maestro, et sous le prétexte de venir le
remercier des leçons qu'il voulait bien donner à son jeune ami, Consuelo
eut l'air de le saluer pour la première fois, et, le soir, le maestro et
ses deux élèves dînèrent amicalement chez le chanoine. A moins d'afficher
un stoïcisme dont les musiciens de ce temps-là, même les plus grands, ne
se piquaient guère, il eût été difficile au Porpora de ne pas se prendre
subitement d'affection pour ce brave chanoine qui avait une si bonne table
et qui appréciait si bien ses ouvrages. On fit de la musique après dîner,
et l'on se vit ensuite presque tous les jours.
Ce fut encore là un adoucissement à l'inquiétude que le silence d'Albert
commençait à donner à Consuelo. Le chanoine était d'un esprit enjoué,
chaste en même temps que libre, exquis à beaucoup d'égards, juste et
éclairé sur beaucoup d'autres points. En somme, c'était un ami excellent
et un homme parfaitement aimable. Sa société animait et fortifiait le
maestro; l'humeur de celui-ci en devenait plus douce, et, partant,
l'intérieur de Consuelo plus agréable.
Un jour qu'il n'y avait pas de répétition (on était à l'avant-veille de la
représentation d'_Antigono_), le Porpora étant allé à la campagne avec un
confrère, le chanoine proposa à ses jeunes amis d'aller faire une descente
au prieuré pour surprendre ceux de ses gens qu'il y avait laissés, et voir
par lui-même, en tombant sur eux comme une bombe, si la jardinière soignait
bien Angèle, et si le jardinier ne négligeait pas le volkameria. La partie
fut acceptée. La voiture du chanoine fut bourrée de pâtés et de bouteilles,
(car on ne pouvait pas faire un voyage de quatre lieues sans avoir quelque
appétit), et l'on arriva au bénéfice après avoir fait un petit détour et
laissé la voiture à quelque distance pour mieux ménager la surprise.
Le volkameria se portait à merveille; il avait chaud, et ses racines
étaient fraîches. Sa floraison s'était épuisée au retour de la froidure,
mais ses jolies feuilles tombaient sans langueur sur son tronc dégagé. La
serre était bien tenue, et les chrysanthèmes bleus bravaient l'hiver et
semblaient rire derrière le vitrage. Angèle, suspendue au sein de la
nourrice, commençait à rire aussi, quand on l'excitait par des minauderies;
et le chanoine décréta fort sagement qu'il ne fallait pas abuser de cette
bonne disposition, parce que le rire forcé, provoqué trop souvent chez
ces petites créatures, développait en elles le tempérament nerveux mal à
propos.
On en était là, on causait librement dans la jolie maisonnette du
jardinier; le chanoine, enveloppé dans sa douillette fourrée, se chauffait
les tibias devant un grand feu de racines sèches et de pommes de pin;
Joseph jouait avec les beaux enfants de la belle jardinière, et Consuelo,
assise au milieu de la chambre, tenait Angèle dans ses bras et la
contemplait avec un mélange de tendresse et de douleur. Il lui semblait
que cet enfant lui appartenait plus qu'à tout autre, et qu'une mystérieuse