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d'admiration et de dévouement pour elle, que le Porpora put bien s'imaginer
qu'il en était violemment épris. Il pensa qu'en ne le gênant point dans ses
rapports avec elle, il lui laisserait les moyens de faire agréer ses voeux;
qu'en l'éclairant en temps et lieu sur les desseins de l'impératrice et sur
sa propre adhésion, il lui donnerait le courage de l'éloquence et le feu
de la persuasion. Enfin il cessa tout à coup de le brutaliser et de le
rabaisser, et laissa un libre cours à leurs épanchements fraternels,
se flattant que les choses iraient plus vite ainsi que s'il s'en mêlait
ostensiblement.
Le Porpora, en ne doutant pas assez du succès, commettait une grande
faute. Il livrait la réputation de Consuelo à la médisance; car il ne
fallait que voir Joseph deux fois de suite dans les coulisses auprès d'elle
pour que toute la gent dramatique proclamât ses amours avec ce jeune homme,
et la pauvre Consuelo, confiante et imprévoyante comme toutes les âmes
droites et chastes, ne songeait nullement à prévoir le danger et à s'en
garantir. Aussi, dès le jour de cette répétition de _Zénobie_, les yeux
prirent l'éveil et les langues la volée. Dans chaque coulisse, derrière
chaque décor, il y eut entre les acteurs, entre les choristes, entre les
employés de toutes sortes qui circulaient, une remarque maligne ou enjouée,
accusatrice ou bienveillante, sur le scandale de cette intrigue naissante
ou sur la candeur de ces heureuses accordailles.
Consuelo, toute à son rôle, toute à son émotion d'artiste, ne voyait,
n'entendait et ne pressentait rien. Joseph, tout rêveur, tout absorbé
par l'opéra qu'on chantait et par celui qu'il méditait dans son âme
musicale, entendait bien quelques mots à la dérobée, et ne les comprenait
pas, tant il était loin de se flatter d'une vaine espérance. Quand il
surprenait en passant quelque parole équivoque, quelque observation
piquante, il levait la tête, regardait autour de lui, cherchait l'objet
de ces satires, et, ne le trouvant pas, profondément indifférent aux propos
de ce genre, il retombait dans ses contemplations.
Entre chaque acte de l'opéra, on donnait souvent un intermède bouffe,
et ce jour-là on répéta l'_Impressario delle Canarie_, assemblage de
petites scènes très-gaies et très-comiques de Métastase. La Corilla,
en y remplissant le rôle d'une prima donna exigeante, impérieuse et
fantasque, était d'une vérité parfaite, et le succès qu'elle avait
ordinairement dans cette bluette la consolait un peu du sacrifice de
son grand rôle de Zénobie. Pendant qu'on répétait la dernière partie de
l'intermède, en attendant qu'on répétât le troisième acte, Consuelo,
un peu oppressée par l'émotion de son rôle, alla derrière la toile de fond,
entre l'_horrible vallée hérissée de montagnes et de précipices_, qui
formait le premier décor, et ce bon fleuve Araxe, bordé d'_aménissimes
montagnes_, qui devait apparaître à la troisième scène pour reposer
agréablement les yeux du spectateur _sensible_. Elle marchait un peu vite,
allant et revenant sur ses pas, lorsque Joseph lui apporta son éventail
qu'elle avait laissé sur la niche du souffleur, et dont elle se servit avec
beaucoup de plaisir. L'instinct du coeur et la volontaire préoccupation du
Porpora poussaient machinalement Joseph à rejoindre son amie; l'habitude de
la confiance et le besoin d'épanchement portaient Consuelo à l'accueillir
toujours joyeusement. De ce double mouvement d'une sympathie dont les