37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 521

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toi, Consuelo. Tu me l'as dit cent fois, et quand l'un de nous racontait sa

vie à l'autre, celui-ci croyait entendre la sienne propre. Va, la main de

Dieu est dans tout, et toute puissance, toute inclination est son ouvrage,

quand même nous n'en comprenons pas le but. Tu es née artiste, donc il faut

que tu le sois, et quiconque t'empêchera de l'être te donnera la mort ou

une vie pire que la tombe.

--Ah! Beppo, s'écria Consuelo consternée et presque égarée, si tu étais

véritablement mon ami, je sais bien ce que tu ferais.

--Eh! quoi donc, chère Consuelo? Ma vie ne t'appartient-elle pas?

--Tu me tuerais demain au moment où l'on baissera la toile, après que

j'aurai été vraiment artiste, vraiment inspirée, pour la première et la

dernière fois de ma vie.

--Ah! dit Joseph avec une gaîté triste, j'aimerais mieux tuer ton comte

Albert ou moi-même.»

En ce moment, Consuelo leva les yeux vers la coulisse qui s'ouvrit

vis-à-vis d'elle, et la mesura des yeux avec une préoccupation

mélancolique. L'intérieur d'un grand théâtre, vu au jour, est quelque chose

de si différent de ce qu'il nous apparaît de la salle, aux lumières, qu'il

est impossible de s'en faire une idée quand on ne l'a pas contemplé ainsi.

Rien de plus triste, de plus sombre et de plus effrayant que cette salle

plongée dans l'obscurité, dans la solitude, dans le silence. Si quelque

figure humaine venait à se montrer distinctement dans ces loges fermées

comme des tombeaux, elle semblerait un spectre, et ferait reculer d'effroi

le plus intrépide comédien. La lumière rare et terne qui tombe de plusieurs

lucarnes situées dans les combles sur le fond de la scène, rampe en

biais sur des échafaudages, sur des haillons grisâtres, sur des planches

poudreuses. Sur la scène, l'oeil, privé du prestige de la perspective,

s'étonne de cette étroite enceinte où tant de personnes et de passions

doivent agir, en simulant des mouvements majestueux, des masses imposantes,

des élans indomptables, qui sembleront tels aux spectateurs, et qui sont

étudiés, mesurés à une ligne près, pour ne point s'embarrasser et se

confondre, ou se briser contre les décors. Mais si la scène se montre

petite et mesquine, en revanche, la hauteur du vaisseau destiné à

loger tant de décorations et à faire mouvoir tant de machines paraît

immense, dégagé de toutes ces toiles festonnées en nuages, en corniches

d'architecture ou en rameaux verdoyants qui la coupent dans une certaine

proportion pour l'oeil du spectateur. Dans sa disproportion réelle, cette

élévation a quelque chose d'austère, et, si en regardant la scène, on se

croit dans un cachot, en regardant les combles, on se croirait dans une

église gothique, mais dans une église ruinée ou inachevée; car tout ce qui

est là est blafard, informe, fantasque, incohérent. Des échelles suspendues

sans symétrie pour les besoins du machiniste, coupées comme au hasard

et lancées sans motif apparent vers d'autres échelles qu'on ne distingue

point dans la confusion de ces détails incolores; des amas, de planches

bizarrement tailladées, décors vus à l'envers et dont le dessin n'offre

aucun sens à l'esprit; des cordes entremêlées comme des hiéroglyphes; des

débris sans nom, des poulies et des rouages qui semblent préparés pour des

supplices inconnus, tout cela ressemble à ces rêves que nous faisons à

l'approche du réveil, et où nous voyons, des choses incompréhensibles,

en faisant de vains efforts pour savoir où nous sommes. Tout est vague,