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soir. Tiens, voilà mon trait.»
Et tirant de sa poche une ligne de musique écrite sur un petit bout de
papier plié, elle le passa par-dessus le paravent à Corilla, qui se mit à
l'étudier aussitôt. Consuelo l'aida, le lui chanta plusieurs fois et finit
par le lui apprendre. Les toilettes allaient toujours leur train.
Mais avant que Consuelo eût passé sa robe, la Corilla écarta impétueusement
le paravent et vint l'embrasser pour la remercier du sacrifice de son
trait. Ce n'était pas un mouvement de reconnaissance bien sincère qui la
poussait à cette démonstration. Il s'y mêlait un perfide désir de voir la
taille de sa rivale en corset, afin de pouvoir trahir le secret de quelque
imperfection. Mais Consuelo n'avait pas de corset. Sa ceinture, déliée
comme un roseau, et ses formes chastes et nobles, n'empruntaient pas les
secours de l'art. Elle pénétra l'intention de Corilla et sourit.
«Tu peux examiner ma personne et pénétrer mon coeur, pensa-t-elle, tu n'y
trouveras rien de faux.
--Zingarella, lui dit la Corilla en reprenant malgré elle son air hostile
et sa voix âpre, tu n'aimes donc plus du tout Anzoleto?
--Plus du tout, répondit Consuelo en riant.
--Et lui, il t'a beaucoup aimée?
--Pas du tout, reprit Consuelo avec la même assurance et le même
détachement bien senti et bien sincère.
--C'est bien ce qu'il me disait!» s'écria la Corilla en attachant sur
elle ses yeux bleus, clairs et ardents, espérant surprendre un regret et
réveiller une blessure dans le passé de sa rivale.
Consuelo ne se piquait pas de finesse, mais elle avait celle des âmes
franches, si forte quand elle lutte contre des desseins astucieux. Elle
sentit le coup et y résista tranquillement. Elle n'aimait plus Anzoleto,
elle ne connaissait pas la souffrance de l'amour-propre: elle laissa donc
ce triomphe à la vanité de Corilla.
«Il te disait la vérité, reprit-elle; il ne m'aimait pas.
--Mais toi, tu ne l'as donc jamais aimé?» dit l'autre, plus étonnée que
satisfaite de cette concession.
Consuelo sentit qu'elle ne devait pas être franche à demi. Corilla voulait
l'emporter, il fallait la satisfaire.
«Moi, répondit-elle, je l'ai beaucoup aimé.
--Et tu l'avoues ainsi? tu n'as donc pas de fierté, pauvre fille?
--J'en ai eu assez pour me guérir.
--C'est-à-dire que tu as eu assez de philosophie pour te consoler avec un
autre. Dis-moi avec qui, Porporina. Ce ne peut être avec ce petit Haydn,
qui n'a ni sou ni maille!
--Ce ne serait pas une raison. Mais je ne me suis consolée avec personne
de la manière dont tu l'entends.
--Ah! je sais! j'oubliais que tu as la prétention... Ne dis donc pas de
ces choses-là ici, ma chère; tu te feras tourner en ridicule.
--Aussi je ne les dirai pas sans qu'on m'interroge, et je ne me laisserai
pas interroger par tout le monde. C'est une liberté que je t'ai laissé
prendre, Corilla; c'est à toi de n'en pas abuser, si tu n'es pas mon
ennemie.
--Vous êtes une masque! s'écria la Corilla. Vous avez de l'esprit, quoique