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Mais, tout à coup elle rougit et pâlit en regardant une poignée de gros
brillants, de perles énormes et de rubis d'un grand prix que le despote
slave venait de jeter sur ses genoux. Elle se leva brusquement et fit
rouler par terre toutes ces pierreries que la Corilla devait ramasser.
«Trenck, lui dit-elle avec la force du mépris et de l'indignation, tu es
le dernier des lâches avec toute ta bravoure. Tu n'as jamais combattu que
des agneaux et des biches, et tu les as égorgés sans pitié. Si un homme
véritable s'était retourné contre toi, tu te serais enfui comme un loup
féroce et poltron que tu es. Tes glorieuses cicatrices, je sais que tu les
as reçues dans une cave, où tu cherchais l'or des vaincus au milieu des
cadavres. Tes palais et ton petit royaume, c'est le sang d'un noble peuple
auquel le despotisme impose un compatriote tel que toi, qui les a payés;
c'est le denier arraché à la veuve et à l'orphelin; c'est l'or de la
trahison; c'est le pillage des églises où tu feins de te prosterner et de
réciter le chapelet (car tu es cagot, pour compléter toutes tes grandes
qualités). Ton cousin, Trenck le Prussien, que tu chéris si tendrement, tu
l'as trahi et tu as voulu le faire assassiner; ces femmes dont tu as fait
la gloire et le bonheur, tu les avais violées après avoir égorgé leurs
époux et leurs pères. Cette tendresse que tu viens d'improviser pour moi,
c'est le caprice d'un libertin blasé. Cette soumission chevaleresque qui
t'a fait remettre ta vie dans mes mains, c'est la vanité d'un sot qui se
croit irrésistible; et cette légère faveur que tu me demandes, ce serait
une souillure dont je ne pourrais me laver que par le suicide. Voilà mon
dernier mot, pandoure à la gueule brûlée! Ote-toi de devant mes yeux, fuis!
car si tu ne laisses ma main, que depuis un quart d'heure tu glaces dans la
tienne, je vais purger la terre d'un scélérat en te faisant sauter la tête.
--C'est là ton dernier mot, fille d'enfer? s'écria Trenck; eh bien, malheur
à toi! le pistolet que je dédaigne de faire sauter de ta main tremblante
n'est chargé que de poudre; une petite brûlure de plus ou de moins ne
fait pas grand'peur à celui qui est à l'épreuve du feu. Tire ce pistolet,
fais du bruit, c'est tout ce que je désire! Je serai content d'avoir des
témoins de ma victoire; car maintenant rien ne peut te soustraire à mes
embrassements, et tu as allumé en moi, par ta folie, des feux que tu eusses
pu contenir avec un peu de prudence.»
En parlant ainsi, Trenck saisit Consuelo dans ses bras, mais au même
instant la porte s'ouvrit; un homme dont la figure était entièrement
masquée par un crêpe noir noué derrière la tête, étendit la main sur le
pandoure, le fit plier et osciller comme un roseau battu par le vent,
et le coucha rudement par terre. Ce fut l'affaire de quelques secondes.
Trenck, étourdi d'abord, se releva, et, les yeux hagards, la bouche
écumante, l'épée à la main, s'élança vers son ennemi qui gagnait la
porte et semblait fuir. Consuelo s'élança aussi sur le seuil, croyant
reconnaître, dans cet homme déguisé la tailla élevée et le bras robuste
du comte Albert. Elle le vit reculer jusqu'au bout du corridor, où un
escalier tournant fort rapide descendait vers la rue. Là, il s'arrêta,
attendit Trenck, se baissa rapidement pendant que l'épée du baron allait
frapper la muraille, et le prenant à bras le corps, le précipita par-dessus
ses épaules, la tête la première, dans l'escalier. Consuelo entendit rouler
le géant, elle voulut courir vers son libérateur en l'appelant Albert;