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à me conserver libre de tout engagement contraire à ce mariage. Mais, après
une lettre décisive que j'ai écrite il y a six semaines, et qui a passé par
vos mains, il s'est passé des choses qui me font croire que la famille de
Rudolstadt a renoncé à moi. Chaque jour qui s'écoule me confirme dans la
pensée que ma parole m'est rendue et que je suis libre de vous consacrer
entièrement mes soins et mon travail. Vous voyez que j'accepte cette
destinée sans regret et sans hésitation. Cependant, d'après cette lettre
que j'ai écrite, je ne pourrais pas être tranquille avec moi-même si je
n'en recevais pas la réponse. Je l'attends tous les jours, elle ne peut
plus tarder. Permettez-moi de ne signer l'engagement avec Berlin qu'après
la réception de...
--Eh! ma pauvre enfant, dit le Porpora, qui, dès le premier mot de son
élève, avait dressé ses batteries préparées à l'avance, tu attendrais
longtemps! la réponse que tu demandes m'a été adressée depuis un mois...
--Et vous ne me l'avez pas montrée? s'écria Consuelo; et vous m'avez
laissée dans une telle incertitude? Maître, tu es bien bizarre! Quelle
confiance puis-je avoir en toi, si tu me trompes ainsi?
--En quoi t'ai-je trompée? La lettre m'était adressée, et il m'était
enjoint de ne te la montrer que lorsque je te verrais guérie de ton fol
amour, et disposée à écouter la raison et les bienséances.
--Sont-ce là les termes dont on s'est servi? dit Consuelo en rougissant.
Il est impossible que le comte Christian ou le comte Albert aient qualifié
ainsi une amitié aussi calme, aussi discrète, aussi fière que la mienne.
--Les termes n'y font rien, dit le Porpora, les gens du monde parlent
toujours un beau langage, c'est à nous de le comprendre: tant il y a que
le vieux comte ne se souciait nullement d'avoir une bru dans les coulisses;
et que, lorsqu'il a su que tu avais paru ici sur les planches, il a fait
renoncer son fils à l'avilissement d'un tel mariage. Le bon Albert s'est
fait une raison, et on te rend ta parole. Je vois avec plaisir que tu n'en
es pas fâchée. Donc, tout est pour le mieux, et en route pour la Prusse!
--Maître, montrez-moi cette lettre, dit Consuelo, et je signerai le contrat
aussitôt après.
--Cette lettre, cette lettre! pourquoi veux-tu la voir? elle te fera de la
peine. Il est de certaines folies du cerveau qu'il faut savoir pardonner
aux autres et à soi-même. Oublie tout cela.
--On n'oublie pas par un seul acte de la volonté, reprit Consuelo; la
réflexion nous aide, et les causes nous éclairent. Si je suis repoussée
des Rudolstadt avec dédain, je serai bientôt consolée; si je suis rendue
à la liberté avec estime et affection, je serai consolée autrement avec
moins d'effort. Montrez-moi la lettre; que craignez-vous, puisque d'une
manière ou de l'autre je vous obéirai?
--Eh bien! je vais te la montrer,» dit le malicieux professeur en ouvrant
son secrétaire, et en feignant de chercher la lettre.
Il ouvrit tous ses tiroirs, remua toutes ses paperasses, et cette
lettre, qui n'avait jamais existé, put bien ne pas s'y trouver. Il
feignit de s'impatienter; Consuelo s'impatienta tout de bon. Elle mit
elle-même la main à la recherche; il la laissa faire. Elle renversa tous
les tiroirs, elle bouleversa tous les papiers. La lettre fut
introuvable. Le Porpora essaya de se la rappeler, et improvisa une