37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 55

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que tu ne penses, mon cher ange; que le public est léger, oublieux;

cruel, injuste; qu'une grande carrière est une croix lourde à porter, et

la gloire une couronne d'épines! Oui, je sais tout cela; et j'y ai pensé

si souvent, et j'ai tant réfléchi là-dessus, que je me sens assez forte

pour ne pas m'étonner beaucoup et pour ne pas trop me laisser abattre

quand j'en ferai l'expérience par moi-même. Voilà pourquoi tu ne m'as

pas vue trop enivrée aujourd'hui de mon triomphe; voilà pourquoi aussi

je ne suis pas découragée en ce moment de tes noires pensées. Je ne les

comprends pas encore; mais je sais qu'avec toi, et pourvu que tu

m'aimes, je pourrai lutter avec assez de force pour ne pas tomber dans

la haine du genre humain, comme mon pauvre maître, qui est un noble

vieillard et un enfant malheureux.»

En écoutant parler son amie, Anzoleto reprit aussi son courage et sa

sérénité. Elle exerçait sur lui une grande puissance, et chaque jour il

découvrait en elle une fermeté de caractère et une droiture d'intentions

qui suppléait à tout ce qui lui manquait à lui-même. Les terreurs que la

jalousie lui avait inspirées s'effacèrent donc de son souvenir au bout

d'un quart d'heure d'entretien avec elle; et quand elle le questionna de

nouveau, il eut tellement honte d'avoir soupçonné un être si pur et si

calme, qu'il donna d'autres motifs à son agitation. «Je n'ai qu'une

crainte, lui dit-il, c'est que le comte ne te trouve tellement

supérieure à moi, qu'il ne me juge indigne de paraître à côté de toi

devant le public. Il ne m'a pas fait chanter ce soir, quoique je

m'attendisse à ce qu'il nous demanderait un duo. Il semblait avoir

oublié jusqu'à mon existence. Il ne s'est même pas aperçu qu'en

t'accompagnant, je touchais assez joliment le clavecin. Enfin, lorsqu'il

t'a signifié ton engagement, il ne m'a pas dit un mot du mien. Comment

n'as-tu pas remarqué une chose aussi étrange?

--La pensée ne m'est pas venue qu'il lui fût possible de vouloir

m'engager sans toi. Est-ce qu'il ne sait pas que rien ne pourrait m'y

décider, que nous sommes fiancés, que nous nous aimons? Est-ce que tu ne

le lui as pas dit bien positivement?

--Je lui ai dit; mais peut-être croît-il que je me vante, Consuelo.

--En ce cas je me vanterai moi-même de mon amour, Anzoleto; je lui dirai

tout cela si bien qu'il n'en doutera pas. Mais tu t'abuses, mon ami; le

comte n'a pas jugé nécessaire de te parler de ton engagement, parce que

c'est une chose arrêtée, conclue, depuis le jour où tu as chanté chez

lui avec tant de succès.

--Mais non signé! Et le tien sera signé demain: il te l'a dit!

--Crois-tu que je signerai la première? Oh! non pas! Tu as bien fait de

me mettre sur mes gardes. Mon nom ne sera écrit qu'au bas du tien.

--Tu me le jures?

--Oh! fi! Vas-tu encore me faire faire des serments pour une chose que

tu sais si bien? Vraiment, tu ne m'aimes pas ce soir, ou tu veux me

faire souffrir; car tu fais semblant de croire que je ne t'aime point.»

A cette pensée, les yeux de Consuelo se gonflèrent, et elle s'assit avec

un petit air boudeur qui la rendit charmante.

«Au fait, je suis un fou, un sot, pensa Anzoleto. Comment ai-je pu

penser un instant que le comte triompherait d'une âme si pure et d'un

amour si complet? Est-ce qu'il n'est pas assez expérimenté pour voir du