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conquérir patiemment, ou à le risquer pour rester fidèle, soit à l'amitié,

soit au culte du vrai beau. Tu céderas au joug de la mode comme ils font

tous; dans chaque ville tu chanteras la musique en faveur, sans tenir

compte du mauvais goût du public ou de la cour. Enfin tu feras ton chemin

et tu seras grande malgré cela, puisqu'il n'y a pas moyen de l'être

autrement aux yeux du grand nombre. Pourvu que tu n'oublies pas de bien

choisir et de bien chanter quand tu auras à subir le jugement d'un petit

comité de vieilles têtes comme moi, et que devant le grand Haendel ou le

vieux Bach, tu fasses honneur à la méthode du Porpora et à toi-même, c'est

tout ce que je demande, tout ce que j'espère! Tu vois que je ne suis pas

un père égoïste, comme quelques-uns de tes flatteurs m'accusent sans doute

de l'être. Je ne te demande rien qui ne soit pour ton succès et pour ta

gloire.

--Et moi, je ne me soucie de rien de ce qui est pour mon avantage

personnel, répondit Consuelo attendrie et affligée. Je puis me laisser

emporter au milieu d'un succès par une ivresse involontaire; mais je ne

puis pas songer de sang-froid à édifier toute une vie de triomphe pour m'y

couronner de mes propres mains. Je veux avoir de la gloire pour vous, mon

maître; en dépit de votre incrédulité, je veux vous montrer que c'est pour

vous seul que Consuelo travaille et voyage; et pour vous prouver tout de

suite que vous l'avez calomniée, puisque vous croyez à ses serments, je

vous fais celui de prouver ce que j'avance.

--Et sur quoi jures-tu cela? dit le Porpora avec un sourire de tendresse

où la méfiance perçait encore.

--Sur les cheveux blancs, sur la tête sacrée du Porpora,» répondit Consuelo

en prenant cette tête blanche dans ses deux mains, et la baisant au front

avec ferveur.

Ils furent interrompus par le comte Hoditz, qu'un grand heiduque vint

annoncer. Ce laquais, en demandant pour son maître la permission de

présenter ses respects au Porpora et à sa pupille, regarda cette dernière

d'un air d'attention, d'incertitude et d'embarras qui surprit Consuelo,

sans qu'elle se souvînt pourtant où elle avait vu cette bonne figure un peu

bizarre. Le comte fut admis, et il présenta sa requête dans les termes les

plus courtois. Il partait pour sa seigneurie de Roswald, en Moravie, et,

voulant rendre ce séjour agréable à la margrave son épouse, il préparait,

pour la surprendre à son arrivée, une fête magnifique. En conséquence, il

proposait à Consuelo d'aller chanter pendant trois soirées consécutives

à Roswald, et il désirait même que le Porpora voulût bien l'accompagner

pour l'aider à diriger les concerts, spectacles et sérénades dont il

comptait régaler madame la margrave.

Le Porpora allégua l'engagement qu'on venait de signer et l'obligation de

se trouver à Berlin à jour fixe. Le comte voulut voir l'engagement, et

comme le Porpora avait toujours eu à se louer de ses bons procédés, il lui

procura le petit plaisir d'être mis dans la confidence de cette affaire,

de commenter l'acte, de faire l'entendu, de donner des conseils: après quoi

Hoditz insista sur sa demande, représentant qu'on avait plus de temps qu'il

n'en fallait pour y satisfaire sans manquer au terme assigné.

«Vous pouvez achever vos préparatifs en trois jours, dit-il, et aller à

Berlin par la Moravie.»

Ce n'était pas tout à fait le chemin; mais, au lieu de faire lentement