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la guerre, le Porpora et son élève se rendraient très-promptement et
très-commodément à Roswald dans une bonne voiture que le comte mettait à
leur disposition ainsi que les relais, c'est-à-dire qu'il se chargeait des
embarras et des dépenses. Il se chargeait encore de les faire conduire de
même de Roswald à Pardubitz, s'ils voulaient descendre l'Elbe jusqu'à
Dresde, ou à Chrudim s'ils voulaient passer par Prague. Les commodités
qu'il leur offrait jusque-là abrégeaient effectivement la durée de leur
voyage, et la somme assez ronde qu'il y ajoutait donnait les moyens de
faire le reste plus agréablement. Porpora accepta, malgré la petite mine
que lui faisait Consuelo pour l'en dissuader. Le marché fut conclu, et le
départ fixé au dernier jour de la semaine.
Lorsque après lui avoir respectueusement baisé la main Hoditz eut laissé
Consuelo seule avec son maître, elle reprocha à celui-ci de s'être
laissé gagner si facilement. Quoiqu'elle n'eût plus rien à redouter des
impertinences du comte, elle lui en gardait un peu de ressentiment, et
n'allait pas chez lui avec plaisir. Elle ne voulait pas raconter au Porpora
l'aventure de Passaw, mais elle lui rappela les plaisanteries que lui-même
avait faites sur les inventions musicales du comte Hoditz.
«Ne voyez-vous pas, lui dit-elle, que je vais être condamnée à chanter sa
musique, et que vous, vous serez forcé de diriger sérieusement des cantates
et peut-être même des opéras de sa façon? Est-ce ainsi que vous me faites
tenir mon voeu de rester fidèle au culte du beau?
--Bast! répondit le Porpora en riant, je ne ferai pas cela si gravement que
tu penses; je compte, au contraire, m'en divertir copieusement, sans que
le patricien maestro s'en aperçoive le moins du monde. Faire ces choses-là
sérieusement et devant un public respectable, sera en effet un blasphème
et une honte; mais il est permis de s'amuser, et l'artiste serait bien
malheureux si, en gagnant sa vie, il n'avait pas le droit de rire dans sa
barbe de ceux qui la lui font gagner. D'ailleurs, tu verras là ta princesse
de Culmbach, que tu aimes et qui est charmante. Elle rira avec nous,
quoiqu'elle ne rie guère, de la musique de son beau-père.»
Il fallut céder, faire les paquets, les emplettes nécessaires et les
adieux. Joseph était au désespoir. Cependant une bonne fortune, une grande
joie d'artiste venait de lui arriver et faisait un peu compensation, ou
tout au-moins diversion forcée à la douleur de cette séparation. En jouant
sa sérénade sous la fenêtre de l'excellent mime Bernadone, l'arlequin
renommé du théâtre de la porte de Carinthie, il avait frappé d'étonnement
et de sympathie cet artiste aimable et intelligent. On l'avait fait monter,
on lui avait demandé de qui était ce trio agréable et original. On s'était
émerveillé de sa jeunesse, et de son talent. Enfin on lui avait confié,
séance tenante, le poëme d'un ballet intitulé le Diable Boiteux, dont il
commençait à écrire la musique. Il travaillait à cette tempête qui lui
coûta tant de soins, et dont le souvenir faisait rire encore le bonhomme
Haydn à quatre-vingts ans. Consuelo chercha à le distraire de sa tristesse,
en lui parlant toujours de sa tempête, que Bernadone voulait terrible,
et que Beppo, n'ayant jamais vu la mer, ne pouvait réussir à se peindre.
Consuelo lui décrivait l'Adriatique en fureur et lui chantait la plainte
des vagues, non sans rire avec lui de ces effets d'harmonie imitative,
aidés de celui des toiles bleues qu'on secoue d'une coulisse à l'autre à