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par l'effet magique de vos charmes, vient déposer à vos pieds l'hommage de
sa férocité, et vous offrir la royauté de ces terres inconnues. Daignez y
descendre sans crainte, et quoiqu'elles soient stériles et incultes, les
merveilles de la civilisation vont y éclore sous vos pas.»
On aborda dans l'île au milieu des chants et des danses des jeunes
sauvagesses. Des animaux étranges et prétendus féroces, mannequins
empaillés qui, au moyen d'un ressort, s'agenouillèrent subitement,
saluèrent Consuelo sur le rivage. Puis, à l'aide de cordes, les arbres
et les buissons fraîchement plantés s'abattirent, les rochers de carton
s'écroulèrent, et l'on vit des maisonnettes décorées de fleurs et de
feuillages. Des bergères conduisant de vrais troupeaux (Hoditz n'en
manquait pas), des villageois habillés à la dernière mode de l'Opéra,
quoiqu'un peu malpropres vus de près, enfin jusqu'à des chevreuils et des
biches apprivoisées vinrent prêter foi et hommage à la nouvelle souveraine.
«C'est ici, dit alors le comte à Consuelo, que vous aurez à jouer un rôle
demain, devant Son Altesse. On vous procurera le costume d'une divinité
sauvage toute couverte de fleurs et de rubans, et vous vous tiendrez dans
la grotte que voici: la margrave y entrera, et vous chanterez la cantate
que j'ai dans ma poche, pour lui céder vos droits à la divinité, vu qu'il
ne peut y avoir qu'une déesse, là où elle daigne apparaître.
«--Voyons la cantate,» dit Consuelo en recevant le manuscrit dont Hoditz
était l'auteur.
Il ne lui fallut pas beaucoup de peine pour lire et chanter à la première
vue ce pont-neuf ingénu: paroles et musique, tout était à l'avenant. Il ne
s'agissait que de l'apprendre par coeur. Deux violons, une harpe et une
flûte cachés dans les profondeurs de l'antre l'accompagnaient tout de
travers. Le Porpora fit recommencer. Au bout d'un quart-d'heure, tout alla
bien. Ce n'était pas le seul rôle, que Consuelo eût à faire dans la fête,
ni la seule cantate que le comte Hoditz eût dans sa poche: elles étaient
courtes, heureusement: il ne fallait pas fatiguer Son Altesse par trop de
musique.
A l'île sauvage, on remit à la voile, et on alla prendre terre sur un
rivage chinois: tours imitant la porcelaine, kiosques, jardins rabougris,
petits ponts, jonques et plantations de thé, rien n'y manquait. Les lettres
et les mandarins, assez bien costumés, vinrent faire un discours chinois à
la margrave; et Consuelo qui, dans le trajet, devait changer de costume
dans la cale d'un des bâtiments et s'affubler en mandarine, dut essayer
des couplets en langue et musique chinoise, toujours de la façon du comte
Hoditz:
Ping, pang, tiong,
Hi, han, hong,
Tel était le refrain, qui était censé signifier, grâce à la puissance
d'abréviation que possédait cette langue merveilleuse:
«Belle margrave, grande princesse, idole de tous les coeurs, régnez à
jamais sur votre heureux époux et sur votre joyeux empire de Roswald en
Moravie.»
En quittant la Chine, on monta dans des palanquins très-riches, et on
gravit, sur les épaules des pauvres serfs chinois et sauvages, une petite
montagne au sommet de laquelle on trouva la ville de Lilliput. Maisons,