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et il fallait se baisser pour voir, dans l'intérieur des habitations,
les meubles et les ustensiles de ménage qui étaient dans des proportions
relatives à tout le reste. Des marionnettes dansèrent sur la place publique
au son des mirlitons, des guimbardes et des tambours de basque. Les
personnes qui les faisaient agir et qui produisaient cette musique
lilliputienne, étaient cachées sous terre et dans des caveaux ménagés
exprès.
En redescendant la montagne des Lilliputiens, on trouva un désert d'une
centaine de pas, tout encombré de rochers énormes et d'arbres vigoureux
livrés à leur croissance naturelle. C'était le seul endroit que le comte
n'eût pas gâté et mutilé. Il s'était contenté de le laisser tel qu'il
l'avait trouvé.
«L'usage de cette gorge escarpée m'a bien longtemps embarrassé, dit-il à
ses hôtes. Je ne savais comment me délivrer de ces masses de rochers, ni
quelle tournure donner à ces arbres superbes, mais désordonnés; tout à
coup l'idée m'est venue de baptiser ce lieu le désert, le chaos: et j'ai
pensé que le contraste n'en serait pas désagréable, surtout lorsqu'au
sortir de ces horreurs de la nature, on rentrerait dans des parterres
admirablement soignés et parés. Pour compléter l'illusion, vous allez voir
quelle heureuse invention j'y ai placée.»
En parlant ainsi, le comte tourna un gros rocher qui encombrait le sentier
(car il avait bien fallu fourrer un sentier uni et sablé dans l'horrible
désert), et Consuelo se trouva à l'entrée d'un ermitage creusé dans le roc
et surmonté d'une grossière croix de bois. L'anachorète de la Thébaïde
en sortit; c'était un bon paysan dont la longue barbe blanche postiche
contrastait avec un visage frais et paré des couleurs de la jeunesse. Il
fit un beau sermon, dont son maître corrigea les barbarismes, donna sa
bénédiction, et offrit des racines et du lait à Consuelo dans une écuelle
de bois.
«Je trouve l'ermite un peu jeune, dit le baron de Kreutz: vous eussiez pu
mettre ici un vieillard véritable.
--Cela n'eût point plu à la margrave, répondit ingénument le comte Hoditz.
Elle dit avec raison que la vieillesse n'est point égayante, et que dans
une fête il ne faut voir que de jeunes acteurs.»
Je fais grâce au lecteur du reste de la promenade. Ce serait à n'en
pas finir si je voulais lui décrire les diverses contrées, les autels
druidiques, les pagodes indiennes, les chemins et canaux couverts, les
forêts vierges, les souterrains où l'on voyait les mystères de la passion
taillés dans le roc, les mines artificielles avec salles de bal, les
Champs-Elysées, les tombeaux, enfin les cascades, les naïades, les
sérénades et les _six mille_ jets d'eau que le Porpora prétendait,
par la suite, avoir été forcé d'_avaler_. Il y avait bien mille autres
gentillesses dont les mémoires du temps nous ont transmis le détail avec
admiration: une grotte à demi obscure où l'on s'enfonçait en courant, et
au fond de laquelle une glace, en vous renvoyant votre propre image, dans
un jour incertain, devait infailliblement vous causer une grande frayeur;
un couvent où l'on vous forçait, sous peine de perdre à jamais la liberté,
de prononcer des voeux dont la formule était un hommage d'éternelle
soumission et adoration à la margrave; un arbre à pluie qui, au moyen