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sur lui-même en gerbe de diamants au reflet des nombreuses bougies. Le
_surtout_ était un chef-d'oeuvre de richesse et de mauvais goût, et l'eau
du Styx, le souper infernal, furent pour le comte matière à mille jeux de
mots, allusions et coq-à-l'âne, qui ne valaient guère mieux, mais que la
naïveté de son enfantillage lui fit pardonner. Le repas succulent, et
servi par de jeunes sylvains et des nymphes plus ou moins charmantes,
égaya beaucoup le baron de Kreutz.
Il ne fit pourtant qu'une médiocre attention aux belles esclaves de
l'amphitryon: ces pauvres paysannes étaient à la fois les servantes, les
maîtresses, les choristes et les actrices de leur seigneur. Il était leur
professeur de grâces, de danse, de chant et de déclamation. Consuelo avait
eu à Passaw un échantillon de sa manière de procéder avec elles; et, en
songeant au sort glorieux que ce seigneur lui avait offert alors, elle
admirait le sang-froid respectueux avec lequel il la traitait maintenant,
sans paraître ni surpris ni confus de sa méprise. Elle savait bien que
le lendemain les choses changeraient d'aspect à l'arrivée de la margrave;
qu'elle dînerait dans sa chambre avec son maître, et qu'elle n'aurait
pas l'honneur d'être admise à la table de Son Altesse. Elle ne s'en
embarrassait guère, quoiqu'elle ignorât une circonstance qui l'eût
divertie beaucoup en cet instant: à savoir qu'elle soupait avec un
personnage infiniment plus illustre, lequel ne voulait pour rien au monde
souper le lendemain avec la margrave.
Le baron de Kreutz, souriant donc d'un air assez froid à l'aspect des
nymphes du logis, accorda un peu plus d'attention à Consuelo, lorsque
après l'avoir provoquée à rompre le silence, il l'eut amenée à parler sur
la musique. Il était amateur éclairé et quasi passionné de cet art divin;
du moins il en parla lui-même avec une supériorité qui adoucit, non moins
que le repas, les bons mets et la chaleur des appartements, l'humeur
revêche du Porpora.
«Il serait à souhaiter, dit-il enfin au baron, qui venait de louer
délicatement sa manière sans le nommer, que le souverain que nous allons
essayer de divertir fût aussi bon juge que vous!
--On assure, répondit le baron, que mon souverain est assez éclairé sur
cette matière, et qu'il aime véritablement les beaux-arts.
--En êtes-vous bien certain, monsieur le baron? reprit le maestro, qui ne
pouvait causer sans contredire tout le monde sur toutes choses. Moi, je ne
m'en flatte guère. Les rois sont toujours les premiers en tout, au dire de
leurs sujets; mais il arrive souvent que leurs sujets en savent beaucoup
plus long qu'eux.
--En fait de guerre; comme en fait de science et de génie, le roi de Prusse
en sait plus long qu'aucun de nous; répondit le lieutenant avec zèle; et
quant à la musique, il est très-certain...
--Que vous n'en savez rien ni moi non plus, interrompit sèchement, le
capitaine Kreutz; maître Porpora ne peut s'en rapporter qu'à lui seul à ce
dernier égard.
--Quant à moi, reprit le maestro, la dignité royale ne m'en a jamais imposé
en fait de musique; et quand j'avais l'honneur de donner des leçons à la
princesse électorale de Saxe, je ne lui passais pas plus de fausses notes
qu'à un autre.