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ironique, les têtes couronnées font-elles jamais des fausses notes?
--Tout comme les simples mortels, Monsieur! répondit le Porpora. Cependant
je dois dire que la princesse électorale n'en fit pas longtemps avec moi,
et qu'elle avait une rare intelligence pour me seconder.
--Ainsi vous pardonneriez bien quelques fausses notes à notre Fritz, s'il
avait l'impertinence d'en faire en votre présence?
--A condition qu'il s'en corrigerait.
--Mais vous ne lui laveriez pas la tête? dit à son tour le comte Hoditz en
riant.
--Je le ferais, dût-il couper la mienne!» répondit le vieux professeur,
qu'un peu de Champagne rendait expansif et fanfaron.
Consuelo avait été bien et dûment avertie par le chanoine que la Prusse
était une grande préfecture de police, où les moindres paroles, prononcées
bien bas à la frontière, arrivaient en peu d'instants, par une suite
d'échos mystérieux et fidèles, au cabinet de Frédéric, et qu'il ne fallait
jamais dire à un Prussien, surtout à un militaire, à un employé quelconque:
«Comment vous portez-vous?» sans peser chaque syllabe, et tourner, comme on
dit aux petits enfants, sa langue sept fois dans sa bouche. Elle ne vit
donc pas avec plaisir son maître s'abandonner à son humeur narquoise, et
elle s'efforça de réparer ses imprudences par un peu de politique.
«Quand même le roi de Prusse ne serait pas le premier musicien de son
siècle, dit-elle, il lui serait permis de dédaigner un art certainement bien
futile au prix de tout ce qu'il sait d'ailleurs.»
Mais elle ignorait que Frédéric ne mettait pas moins d'amour-propre à être
un grand flûtiste qu'à être un grand capitaine et un grand philosophe.
Le baron de Kreutz déclara que si Sa Majesté avait jugé la musique un art
digne d'être étudié, elle y avait consacré très-probablement une attention
et un travail sérieux.
«Bah! dit le Porpora, qui s'animait de plus en plus, l'attention et
le travail ne révèlent rien, en fait d'art, à ceux que le ciel n'a pas
doués d'un talent inné. Le génie de la musique n'est pas à la portée de
toutes les fortunes; et il est plus facile de gagner des batailles et de
pensionner des gens de lettres que de dérober aux muses le feu sacré. Le
baron Frédéric de Trenck nous a fort bien dit que Sa Majesté prussienne,
lorsqu'elle manquait à la mesure, s'en prenait à ses courtisans; mais les
choses n'iront pas ainsi avec moi!
--Le baron Frédéric de Trenck a dit cela? répliqua le baron de Kreutz,
dont les yeux s'animèrent d'une colère subite et impétueuse. Eh bien!
reprit-il en se calmant tout à coup par un effort de sa volonté, et en
parlant d'un ton d'indifférence, le pauvre diable doit avoir perdu l'envie
de plaisanter; car il est enfermé à la citadelle de Glatz pour le reste de
ses jours.
--En vérité! s'écria le Porpora: et qu'a-t-il donc fait?
--C'est le secret de l'Etat, répondit le baron: mais tout porte à croire
qu'il a trahi la confiance de son maître.
--Oui! ajouta le lieutenant; en vendant à l'Autriche le plan des
fortifications de la Prusse, sa patrie.
--Oh! c'est impossible! dit Consuelo qui avait pâli, et qui, de plus en
plus attentive à sa contenance et à ses paroles, ne put cependant retenir