37603.fb2
administrer le sacrement du mariage à un hérétique, à moins qu'il ne promît
tout au moins de faire acte de foi catholique aussitôt après. Supperville
ne se gênait pas pour mentir et pour affirmer que le comte Albert lui avait
promis de croire et de professer tout ce qu'on voudrait après la cérémonie.
Le chapelain n'en était pas dupe. Enfin, le comte Christian, retrouvant
un de ces moments de fermeté tranquille et de logique simple et humaine
avec lesquelles, après bien des irrésolutions et des faiblesses, il avait
toujours tranché toutes les contestations domestiques, termina le
différend.
«Monsieur le chapelain, dit-il, il n'y a point de loi ecclésiastique qui
vous défende expressément de marier une catholique à un schismatique.
L'Église tolère ces mariages. Prenez donc Consuelo pour orthodoxe et
mon fils pour hérétique, et mariez-les sur l'heure. La confession et les
fiançailles ne sont que de précepte, vous le savez, et certains cas
d'urgence peuvent en dispenser. Il peut résulter de ce mariage une
révolution favorable dans l'état d'Albert, et quand il sera guéri nous
songerons à le convertir.»
Le chapelain n'avait jamais résisté à la volonté du vieux Christian;
c'était pour lui, dans les cas de conscience, un arbitre supérieur au
pape. Il ne restait plus qu'à convaincre Consuelo. Albert seul y songea,
et l'attirant près de lui, il réussit, sans le secours de personne, à
enlacer de ses bras desséchés, devenus légers comme des roseaux, le cou de
sa bien-aimée.
«Consuelo, lui dit-il, je lis dans ton âme, à cette heure; tu voudrais
donner ta vie pour ranimer la mienne: cela n'est plus possible; mais tu
peux, par un simple acte de ta volonté, sauver ma vie éternelle. Je vais
te quitter pour un peu de temps, et puis je reviendrai sur la terre, par
la manifestation d'une nouvelle naissance. J'y reviendrai, maudit et
désespéré, si tu m'abandonnes maintenant, à ma dernière heure. Tu sais,
les crimes de Jean Ziska ne sont point assez expiés; et toi seule, toi ma
soeur Wanda, peux accomplir l'acte de ma purification en cette phase de ma
vie. Nous sommes frères: pour devenir amants, il faut que la mort passe
encore une fois entre. Mais nous devons être époux par le serment; pour que
je renaisse calme, fort et délivré, comme les autres hommes, de la mémoire
de mes existences passées, qui fait mon supplice et mon châtiment depuis
tant de siècles, consens à prononcer ce serment; il ne te liera pas à moi
en cette vie, que je vais quitter dans une heure, mais il nous réunira dans
l'éternité. Ce sera un sceau qui nous aidera à nous reconnaître, quand
les ombres de la mort auront effacé la clarté de nos souvenirs. Consens!
C'est une cérémonie catholique qui va s'accomplir, et que j'accepte,
puisque c'est la seule qui puisse légitimer, dans l'esprit des hommes,
la possession que nous prenons l'un de l'autre. Il me faut emporter cette
sanction dans la tombe. Le mariage sans l'assentiment de la famille n'est
point un mariage complet à mes yeux. La forme du serment m'importe peu
d'ailleurs. Le nôtre sera indissoluble dans nos coeurs, comme il est sacré
dans nos intentions. Consens!
--Je consens!» s'écria Consuelo en pressant de ses lèvres le front morne et
froid de son époux.
Cette parole fut entendue de tous. «Eh bien! dit Supperville, hâtons-nous!»