37603.fb2
Consuelo de l'état de ces infortunés et s'assurer du sien propre. Ils ne
comprenaient rien à tant de courage.
Enfin aux approches du matin, tout fut tranquille. Un sommeil accablant
vainquit toutes les forces de la douleur. Le médecin, écrasé de fatigue,
alla se coucher; le Porpora s'assoupit sur une chaise, la tête appuyée
sur le bord du lit du comte Christian. Consuelo seule n'éprouva pas le
besoin d'oublier sa situation. Perdue dans ses pensées, tour à tour priant
avec ferveur ou rêvant avec enthousiasme, elle n'eut pour compagnon assidu
de sa veillée silencieuse que le triste Cynabre, qui, de temps en temps,
regardait son maître, lui léchait la main, balayait avec sa queue la cendre
de l'âtre, et, habitué à ne plus recevoir les caresses de sa main débile,
se recouchait avec résignation, la tête allongée sur ses pieds inertes.
Quand le soleil, se levant derrière les arbres du jardin, vint jeter
une clarté de pourpre sur le front d'Albert, Consuelo fut tirée de sa
méditation par la chanoinesse. Le comte ne put sortir de son lit, mais le
baron Frédéric vint machinalement prier, avec sa soeur et le chapelain,
autour de l'autel, puis on parla de procéder à l'ensevelissement; et la
chanoinesse, retrouvant des forces pour ces soins matériels, fit appeler
ses femmes et le vieux Hanz. Ce fut alors que le médecin et le Porpora
exigèrent que Consuelo allât prendre du repos, et elle s'y résigna, après
avoir passé auprès du lit du comte Christian, qui la regarda sans paraître
la voir. On ne pouvait dire s'il veillait ou s'il dormait; ses yeux étaient
ouverts, sa respiration calme, sa figure sans expression.
Lorsque Consuelo se réveilla au bout de quelques heures, elle descendit au
salon, et son coeur se serra affreusement en le trouvant désert. Albert
avait été déposé sur un brancard de parade et porté dans la chapelle.
Son fauteuil était vide à la même place où Consuelo l'avait vu la veille.
C'était tout ce qui restait de lui en ce lieu qui avait été le centre de la
vie de toute la famille pendant tant de jours amers. Son chien même n'était
plus là; le soleil printanier ravivait ces tristes lambris, et les merles
sifflaient dans le jardin avec une insolente gaieté.
Consuelo passa doucement dans la pièce voisine, dont la porte restait
entr'ouverte. Le comte Christian était toujours couché, toujours
insensible, en apparence, à la perte qu'il venait de faire. Sa soeur,
reportant sur lui toute la sollicitude qu'elle avait eue pour Albert,
le soignait avec vigilance. Le baron regardait brûler les bûches dans
la cheminée d'un air hébété; seulement des larmes, qui tombaient
silencieusement sur ses joues sans qu'il songeât à les essuyer,
montraient qu'il n'avait pas eu le bonheur de perdre la mémoire.
Consuelo s'approcha de la chanoinesse pour lui baiser la main; mais cette
main se retira d'elle avec une insurmontable aversion. La pauvre Wenceslawa
voyait dans cette jeune fille le fléau et la destruction de son neveu.
Elle avait eu horreur du projet de leur mariage dans les premiers temps,
et s'y était opposée de tout son pouvoir; et puis, quand elle avait vu
que, malgré l'absence, il était impossible d'y faire renoncer Albert, que
sa santé, sa raison et sa vie en dépendaient, elle l'avait souhaité et
hâté avec autant d'ardeur qu'elle y avait porté d'abord d'effroi et de
répulsion. Le refus du Porpora, la passion exclusive qu'il n'avait pas
craint d'attribuer à Consuelo pour le théâtre, enfin tous les officieux