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Christian, sans jamais faire mention de celles que Consuelo avait écrites
et qu'il avait supprimées, avaient causé au vieillard la plus vive douleur,
à la chanoinesse la plus amère indignation. Elle avait pris Consuelo en
haine et en mépris, lui pouvant pardonner, disait-elle, d'avoir égaré la
raison d'Albert par ce fatal amour, mais ne pouvant l'absoudre de l'avoir
impudemment trahi. Elle ignorait que le véritable meurtrier d'Albert était
le Porpora. Consuelo, qui comprenait bien sa pensée, eût pu se justifier;
mais elle aima mieux assumer sur elle tous les reproches, que d'accuser
son maître et de lui faire perdre l'estime et l'affection de la famille.
D'ailleurs, elle devinait de reste que si, la veille, Wenceslawa avait pu
abjurer toutes ses répugnances et tous ses ressentiments par un effort
d'amour maternel, elle devait les retrouver, maintenant que le sacrifice
avait été inutilement accompli. Chaque regard de cette pauvre tante
semblait lui dire: «Tu as fait périr notre enfant; tu n'as pas su lui
rendre la vie; et maintenant, il ne nous reste que la honte de ton
alliance.»
Cette muette déclaration de guerre hâta la résolution qu'elle avait déjà
prise de consoler, autant que possible, la chanoinesse de ce dernier
malheur.
«Puis-je implorer de Votre Seigneurie, lui dit-elle avec soumission,
de me fixer l'heure d'un entretien particulier? Je dois partir demain
avant le jour, et je ne puis m'éloigner d'ici sans vous faire connaître
mes respectueuses intentions.
--Vos intentions! je les devine de reste, répondit la chanoinesse avec
aigreur. Soyez tranquille, Mademoiselle; tout sera en règle, et les droits
que la loi vous donne seront scrupuleusement respectés.
--Je vois qu'au contraire vous ne me comprenez nullement, Madame, reprit
Consuelo; il me tarde donc beaucoup...
--Eh bien, puisqu'il faut que je boive encore ce calice, dit la chanoinesse
en se levant, que ce soit donc tout de suite, pendant que je m'en sens
encore le courage. Suivez-moi, Signora. Mon frère aîné paraît sommeiller
en ce moment. M. Supperville, de qui j'ai obtenu encore une journée de
soins pour lui, voudra bien me remplacer pour une demi-heure.»
Elle sonna, et fit demander le docteur; puis, se tournant vers le baron:
«Mon frère, lui dit-elle, vos soins sont inutiles, puisque Christian
n'a pas encore recouvré le sentiment de ses infortunes. Peut-être cela
n'arrivera-t-il point, heureusement pour lui, malheureusement pour nous!
Peut-être cet accablement est-il le commencement de la mort. Je n'ai plus
que vous au monde, mon frère; soignez votre santé, qui n'est que trop
altérée par cette morne inaction où vous voilà tombé. Vous étiez habitué
au grand air et à l'exercice: allez faire un tour de promenade, prenez un
fusil: le veneur vous suivra avec ses chiens. Je sais bien que cela ne vous
distraira pas de votre douleur; mais, au moins, vous en ressentirez un bien
physique, j'en suis certaine. Faites-le pour moi, Frédéric: c'est l'ordre
du médecin, c'est la prière de votre soeur; ne me refusez pas. C'est la
plus grande consolation que vous puissiez me donner en ce moment, puisque
la dernière espérance de ma triste vieillesse repose sur vous.»
Le baron hésita, et finit par céder. Ses domestiques l'emmenèrent, et il
se laissa conduire dehors comme un enfant. Le docteur examina le comte