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résoudre à l'admiration, elle essaya d'insister.
«Que voulez-vous donc faire? dit-elle en regardant fixement Consuelo;
vous n'avez pas de fortune?
--Je vous demande pardon, Madame, je suis assez riche. J'ai des goûts
simples et l'amour du travail.
--Ainsi, vous comptez reprendre... ce que vous appelez votre travail?
--J'y suis forcée, Madame, et par des raisons où ma conscience n'a point
à balancer, malgré l'abattement où je me sens plongée.
--Et vous ne voulez pas soutenir autrement votre nouveau rang dans le
monde?
--Quel rang, Madame?
--Celui qui convient à la veuve d'Albert.
--Je n'oublierai jamais, Madame, que je suis la veuve du noble Albert, et
ma conduite sera digne de l'époux que j'ai perdu.
--Et cependant la comtesse de Rudolstadt va remonter sur les tréteaux!
--Il n'y a point d'autre comtesse de Rudolstadt que vous, madame la
chanoinesse, et il n'y en aura jamais d'autre après vous, que la baronne
Amélie, votre nièce.
--Est-ce par dérision que vous me parlez d'elle, Signora? s'écria la
chanoinesse, sur qui le nom d'Amélie parût faire l'effet d'une brûlure.
--Pourquoi cette demande, Madame? reprit Consuelo avec un étonnement
dont la candeur ne pouvait laisser de doute dans l'esprit de Wenceslawa;
au nom du ciel, dites-moi pourquoi je n'ai pas vu ici la jeune baronne!
Serait-elle morte aussi, mon Dieu?
--Non, dit la chanoinesse avec amertume. Plût au ciel qu'elle le fût!
Ne parlons point d'elle, il n'en est pas question.
--Je suis forcée pourtant, Madame de vous rappeler ce à quoi je n'avais pas
encore songé. C'est qu'elle est l'héritière unique et légitime des biens
et des titres de votre famille. Voilà ce qui doit mettre votre conscience
en repos sur le dépôt qu'Albert vous a confié, puisque les lois ne vous
permettent pas d'en disposer en ma faveur.
--Rien ne peut vous ôter vos droits à un douaire et à un titre que la
dernière volonté d'Albert ont mis à votre disposition.
--Rien ne peut donc m'empêcher d'y renoncer, et j'y renonce. Albert savait
bien que je ne voulais être ni riche, ni comtesse.
--Mais le monde ne vous autorise pas à y renoncer.
--Le monde, Madame! eh bien, voilà justement ce dont je voulais vous
parler. Le monde ne comprendrait pas l'affection d'Albert ni la
condescendance de sa famille pour une pauvre fille comme moi. Il en ferait
un reproche à sa mémoire et une tache à votre vie. Il m'en ferait à moi
un ridicule et peut-être une honte; car, je le répète, le monde ne
comprendrait rien à ce qui s'est passé ici entre nous. Le monde doit donc
à jamais l'ignorer, Madame, comme vos domestiques l'ignorent; car mon
maître et M. le docteur, seuls confidents, seuls témoins étrangers de ce
mariage secret, ne l'ont pas encore divulgué et ne le divulgueront pas.
Je vous réponds du premier, vous pouvez et vous devez vous assurer de la
discrétion de l'autre. Vivez donc en repos sur ce point, Madame. Il ne
tiendra qu'à vous d'emporter ce secret dans la tombe, et jamais, par mon
fait, la baronne Amélie ne soupçonnera que j'ai l'honneur d'être sa