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cheveux, et bondit dans l'escalier en chantant à pleine voix une phrase
éclatante de force et de fraîcheur. Le comte, par excès de courtoisie,
avait voulu l'attendre avec Anzoleto sur l'escalier. Elle le croyait
plus loin, et tomba presque dans ses bras. Mais, s'en dégageant avec
prestesse, elle prit sa main et la porta à ses lèvres, à la manière du
pays, avec le respect d'une inférieure qui ne veut point escalader les
distances: puis, se retournant, elle se jeta au cou de son fiancé, et
alla, toute joyeuse et toute folâtre, sauter dans la gondole, sans
attendre l'escorte cérémonieuse du protecteur un peu mortifié.
XV.
Le comte, voyant que Consuelo était insensible à l'appât du gain, essaya
de faire jouer les ressorts de la vanité, et lui offrit des bijoux et
des parures: elle les refusa. D'abord Zustiniani s'imagina qu'elle
comprenait ses intentions secrètes; mais bientôt il s'aperçut que
c'était uniquement chez elle une sorte de rustique fierté, et qu'elle ne
voulait pas recevoir de récompenses avant de les avoir méritées en
travaillant à la prospérité de son théâtre. Cependant il lui fit
accepter un habillement complet de satin blanc, en lui disant qu'elle ne
pouvait pas décemment paraître dans son salon avec sa robe d'indienne,
et qu'il exigeait que, par égard pour lui, elle quittât la livrée du
peuple. Elle se soumit, et abandonna sa belle taille aux couturières à
la mode, qui n'en tirèrent point mauvais parti et n'épargnèrent point
l'étoffe. Ainsi transformée au bout de deux jours en femme élégante,
forcée d'accepter aussi un rang de perles fines que le comte lui
présenta comme le paiement de la soirée où elle avait chanté devant lui
et ses amis, elle fut encore belle, sinon comme il convenait à son genre
de beauté, mais comme il fallait qu'elle le devînt pour être comprise
par les yeux vulgaires. Ce résultat ne fut pourtant jamais complètement
obtenu. Au premier abord, Consuelo ne frappait et n'éblouissait
personne. Elle fut toujours pâle, et ses habitudes studieuses et
modestes ôtèrent à son regard cet éclat continuel qu'acquièrent les yeux
des femmes dont l'unique pensée est de briller. Le fond de son caractère
comme celui de sa physionomie était sérieux et réfléchi. On pouvait la
regarder manger, parler de choses indifférentes, s'ennuyer poliment au
milieu des banalités de la vie du monde, sans se douter qu'elle fût
belle. Mais que le sourire d'un enjouement qui s'alliait aisément à
cette sérénité de son âme vînt effleurer ses traits, on commençait à la
trouver agréable. Et puis, qu'elle s'animât davantage, qu'elle
s'intéressât vivement à l'action extérieure, qu'elle s'attendrît,
qu'elle s'exaltât, qu'elle entrât dans la manifestation de son sentiment
intérieur et dans l'exercice de sa force cachée, elle rayonnait de tous
les feux du génie et de l'amour; c'était un autre rêve: on était ravi,
passionné, anéanti à son gré, et sans qu'elle se rendît compte du
mystère de sa puissance.
Aussi ce que le comte éprouvait pour elle l'étonnait et le tourmentait
étrangement. Il y avait dans cet homme du monde des fibres d'artiste qui
n'avaient pas encore vibré, et qu'elle faisait frémir de mouvements
inconnus. Mais cette révélation ne pouvait pénétrer assez avant dans
l'âme du patricien, pour qu'il comprît l'impuissance et la pauvreté des