37610.fb2 Cosm?tique de l’ennemi - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 10

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– J'aurais dû m'en douter.

– Elle s'est excusée à nouveau: «Ce nom ne me dit rien.» J'ai ajouté que j'étais hollandais. Elle m'écoutait avec une politesse charmante.

– Elle a eu droit à la totale, elle aussi? La bouffe des matous, la mort de votre petit camarade de classe, le jansénisme? Rien ne lui aura été épargné, à la malheureuse.

– Non. Car il y a eu un miracle. Elle a eu l'air de se souvenir: «Oui, monsieur Texel. C'était à Amsterdam, dans un restaurant. J'avais accompagné mon mari à ce déjeuner d'affaires» – j'étais un peu dégoûté de penser que son époux avait des déjeuners d'affaires mais je n'allais pas laisser passer cette occasion inespérée de lui inspirer confiance.

– Je trouve incroyable qu'elle ait pu oublier son agresseur.

– Attendez. Elle m'a demandé comment allait ma femme, une certaine Lieve, avec laquelle elle avait sympathisé pendant ce fameux déjeuner qui remontait à trois ou quatre années auparavant. Pris de court, j'ai répondu qu'elle allait très bien et qu'elle vivait avec moi à Paris désormais.

– C'est un vaudeville, votre histoire.

– Alors elle nous a invités, ma femme et moi, à venir prendre le thé chez elle le lendemain après-midi. Vous vous rendez compte? Etre convié par sa victime à prendre le thé! C'était tellement incongru que j'ai accepté. Le bon côté de l'affaire, c'est qu'elle me donna son adresse, sinon son nom que j'étais censé connaître.

– Et vous y êtes allé?

– Oui, après une nuit blanche. J'étais indiciblement heureux de l'avoir retrouvée, je ne parvenais même pas à m'inquiéter. Par ailleurs, j'espérais qu'il y aurait son nom sur la porte de son appartement, comme c'est souvent le cas, histoire de connaître enfin son identité. Hélas, le lendemain, aucun nom près de la sonnette. Elle m'a ouvert. Son visage s'est d'abord éclairé puis assombri. «Vous n'êtes pas venu avec Lieve!» Je lui ai raconté que ma femme était souffrante. Elle m'a installé au salon et est allée préparer le thé. J'ai pensé alors qu'elle n'avait pas de boniche et que ça m'arrangeait bien, de me retrouver seul avec elle dans son appartement.

– Vous aviez l'intention de la violer à nouveau?

– Il ne faut pas rééditer ce qui a été trop parfait. On ne pourrait qu'être déçu. Cela dit, si elle me l'avait proposé…

– En ce cas, ce n'aurait pas été un viol.

– Logique implacable. Voyez-vous, ma très courte expérience me donne l'intuition qu'avec le consentement de l'autre, le sexe doit être un jeu un peu fade.

– Vous parlez ex cathedra.

– Mettez-vous à ma place. Je n'ai baisé qu'une fois et c'était un viol. Je ne connais du sexe que sa violence. Enlevez au sexe sa violence: que reste-t-il?

– L'amour, le plaisir, la volupté…

– Oui; des choses mièvres, quoi. Je ne me suis jamais nourri que de tabasco et vous me proposez des gâteaux de riz.

– Oh, moi, je ne vous propose rien!

– Elle non plus, d'ailleurs, elle ne me proposait rien.

– Ça règle la question.

– En effet. C'était comique, se faire servir une tasse de thé par sa victime polie et charmante, dans son joli salon. «Encore un peu de thé, monsieur

Texel? – Appelez-moi Textor.» Hélas, elle n'eut pas la bonne idée de me révéler son prénom en retour. «Aimez-vous Paris?» Nous discutions très civilement. Je me régalais de son visage.

– Incroyable, qu'elle ne vous ait pas reconnu.

– Attendez. A un moment, elle a dit quelque chose de drôle, et j'ai ri. J'ai ri à gorge déployée. Et là, je l'ai vue changer de figure. Ses yeux sont devenus polaires et se sont figés sur mes mains, comme si elle les reconnaissait également. Il faut supposer que j'ai un rire caractéristique.

– Il faut aussi supposer que vous aviez ri en la violant, ce qui est un comble.

– Le comble du bonheur, oui. Elle a dit d'une voix glaciale: «C'est vous.» J'ai dit: «Oui, c'est moi. Je suis soulagé que vous ne m'ayez pas oublié.» Elle m'a d'abord longtemps regardé avec haine et horreur. Après un silence interminable, elle a repris: «Oui, c'est bien vous.» J'ai dit: «D'un cimetière l'autre, à dix ans d'intervalle. Je n'ai jamais cessé de penser à vous. Depuis dix ans, ma vie entière est consacrée à vous chercher.» Elle a dit: «Depuis dix ans, ma vie entière est consacrée à vous effacer de ma mémoire.» J'ai dit: «Ça n'a pas marché.» Elle a dit: «J'avais réussi à oublier votre visage mais votre ignoble rire a ressuscité le souvenir. Je n'ai jamais parlé de vous ni de ce qui m'était arrivé à personne, afin de mieux vous enterrer. Je me suis mariée et je m'efforce de vivre de façon outrageusement normale pour me préserver de la folie où vous m'avez plongée. Pourquoi faut-il que vous réapparaissiez dans mon existence juste au moment où j'étais en train de guérir?»

– Oui, c'est vrai, pourquoi?

– J'ai dit: «Par amour.» Elle a eu un haut-le-cœur.

– Comme je la comprends.

– J'ai dit: «Je vous aime. Je n'ai touché ni même voulu une autre femme que vous. J'ai fait l'amour une seule fois dans ma vie et c'était avec vous.» Elle a dit que ça ne s'appelait pas faire l'amour. J'ai dit: «Je n'ai jamais cessé de vous parler dans ma tête. Vais-je enfin avoir mes réponses?» Elle a dit non. Elle m'a ordonné de partir. Bien entendu, je ne lui ai pas obéi. J'ai dit: «Rassurez-vous, il est hors de question que je vous viole à nouveau.» Elle a dit: «Il est hors de question que vous me violiez, en effet. Nous ne sommes plus dans un cimetière mais chez moi. J'ai des couteaux dont je n'hésiterai pas à me servir.» J'ai dit: «Justement, j'étais venu ici pour ça.»

– Pardon?

– Elle a réagi comme vous. J'ai dit: «Je voulais vous revoir pour deux raisons. D'abord pour connaître enfin votre prénom. Ensuite pour que vous vous vengiez.» Elle a dit: «Vous n'aurez ni l'un ni l'autre. Sortez.» J'ai dit que je ne sortirais pas sans avoir mon dû. Elle a dit que rien ne m'était dû. J'ai dit: «N'avez-vous donc pas de désir de vengeance?» Elle a dit: «Je vous souhaite tout le mal de l'univers mais je ne veux pas m'en mêler. Je veux que vous disparaissiez de mon existence pour toujours.» J'ai dit: «Enfin, ça ne vous ferait pas du bien, de me tuer? C'est pour le coup que je disparaîtrais de votre existence!» Elle a dit: «Ça ne me ferait aucun bien et vu les ennuis que j'aurais ensuite avec la justice, ça vous incrusterait encore davantage dans ma vie.»

– Pourquoi n'a-t-elle pas appelé la police?

– Je ne l'aurais pas laissée faire. De toute façon, ça ne semblait pas son souhait: elle avait eu dix années pour avertir la police et n'avait pas usé de ce recours.

– Pourquoi?

– Elle ne voulait parler de ce viol à personne dans l'espoir qu'il quitte sa mémoire.

– Elle était forcée de constater son erreur puisque le violeur l'avait retrouvée.

– Moi, je ne voulais pas de cette justice au rabais. Je voulais une justice de première main, celle qu'elle aurait rendue elle-même en me tuant.

– Vous vouliez qu'elle vous tue?

– Oui. J'en avais besoin.

– Vous êtes un fou furieux.

– Je ne trouve pas. Pour moi, un fou, c'est un être dont les comportements sont inexplicables. Je peux vous expliquer tous les miens.

– Vous êtes bien le seul.

– Cela me suffit amplement.

– Si vous aviez tant besoin de mourir pour expier, pourquoi ne vous suicidiez-vous pas?

– Quel est ce charabia romantique? D'abord, je n'avais pas besoin de mourir, j'avais besoin d'être tué.

– Cela revient au même.

– La prochaine fois que vous aurez envie de faire l'amour, on devrait vous dire: «Masturbez-vous. Cela revient au même.» Ensuite, où allez-vous chercher que je désirais expier? Cela laisserait supposer que je regrettais ce viol, qui fut l'unique acte digne de ce nom de mon existence.

– Si vous n'aviez aucun remords, pourquoi vouliez-vous qu'elle vous tue?