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– C'est là que vous vous trompez. Moi, au moins, j'agis avec courage.
– Ah oui. Le viol, l'assassinat, des actes de grand courage, surtout perpétrés sur la personne d'une frêle jeune femme.
– Et vous, vous savez que j'ai tué et violé Isabelle – et vous ne faites rien.
– Que voulez-vous que je fasse?
– Il y a quelques minutes, vous parliez de me sauter à la gorge.
– C'est ça que vous voudriez?
– Oui.
– Je ne vous ferai pas ce plaisir. Je vais appeler la police.
– Lâche! Pauvre Isabelle! Vous ne la méritiez pas.
– Elle méritait encore moins d'être violée et assassinée.
– Moi au moins, je vais jusqu'au bout de mes actes. Vous, tout ce dont vous êtes capable, c'est d'appeler la police. La vengeance par procuration!
– Je me rallie au choix d'Isabelle.
– Faux cul! Isabelle avait le droit de ne pas me châtier, parce qu'elle était la victime. Vous n'avez pas cette liberté. On ne peut pardonner que quand on est l'offensé.
– Il ne s'agit en aucun cas de vous pardonner. Il s'agit de ne pas se rendre justice soi-même.
– Voyez les beaux mots civiques derrière lesquels il cache sa lâcheté!
– Vous avez déjà détruit ma vie. Hors de question que je la finisse en prison par votre faute.
– Comme tout cela est bien calculé!
– Aucune prise de risque. On ne se met pas en danger. Isabelle, vous étiez mariée à un homme qui vous aimait avec passion!
– Je suis contre la peine de mort.
– Pauvre nouille! On lui parle d'amour et il répond comme s'il participait à un débat de société.
– Il faut plus de courage que vous ne le pensez pour être contre la peine de mort.
– Qui vous parle de peine de mort, abruti? J'imagine que vous êtes contre le vol; il n'empêche que, si vous tombiez sur une mallette pleine de dollars, vous ne seriez pas assez stupide pour ne pas la prendre. Sautez sur l'occasion, espèce de larve!
– Il n'y a aucun point de comparaison. Vous tuer ne me rendrait pas ma femme.
– Mais ça contenterait un besoin sourd et profond dans vos tripes, ça vous soulagerait!
– Non.
– Qu'est-ce qui coule dans vos veines? De la tisane?
– Je n'ai rien à vous prouver, monsieur. Je vais chercher la police.
– Et vous supposez que je serai encore là à votre retour?
– J'ai eu le temps de vous observer. Je donnerai un signalement très précis.
– Mettons qu'ils me rattrapent. A votre avis, qu'est-ce qui se passe? Contre moi, vous n'avez que mon récit. Personne ne l'a entendu à part vous. Je n'ai pas l'intention de le répéter à la police. Bref, vous n'avez rien.
– Des empreintes d'il y a dix ans.
– Vous savez pertinemment que je n'en ai pas laissé.
– Il a dû rester de vous quelque chose, un cheveu, un cil, sur les lieux du crime.
– Ce genre de test d'ADN ne se pratiquait pas il y a dix ans. Ne vous obstinez pas, mon vieux. Je ne veux pas être pris par la police et il n'y a aucun risque que cela m'arrive.
– Je ne vous comprends pas. Vous semblez avoir besoin d'un châtiment: pourquoi pas une peine officielle et légale?
– Je ne crois pas en cette justice-là.
– C'est regrettable: il n'y en a pas d'autre.
– Bien sûr qu'il y en a une autre. Vous m'emmenez aux toilettes et vous m'y réglez mon compte.
– Pourquoi aux toilettes?
– Vous semblez ne pas vouloir être pincé par la police. Autant me tuer à l'abri des regards.
– Si on retrouvait votre cadavre aux toilettes, il y aurait mille témoins pour nous avoir vus en grande conversation auparavant. Vous m'avez abordé avec une discrétion rare.
– Je constate avec plaisir que vous commencez à examiner la faisabilité de la chose.
– Pour mieux vous démontrer l'inanité de vos projets.
– Vous oubliez un détail qui vous facilitera la tâche: c'est que je ne vous opposerai aucune résistance.
– Il y a quand même un élément de l'affaire qui m'échappe: pourquoi voulez-vous que je vous supprime? Qu'est-ce que vous avez à y gagner?
– Vous l'avez dit il y a quelques minutes: j'ai besoin d'un châtiment.
– Ça, je ne comprends pas.
– Il n'y a rien à comprendre.
– Ce n'est pas banal. La planète fourmille de criminels qui, au contraire, fuient leur châtiment. Cette attitude me paraît plus logique.