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– Quand nous nous sommes retrouvés à l'extérieur du cimetière, rue Rachel, je lui ai demandé comment elle s'appelait. Elle m'a craché au visage. Je lui ai dit que je l'aimais trop pour l'appeler crachat.
– Vous êtes un romantique.
– J'ai pris son portefeuille mais il ne contenait aucun papier d'identité. J'ai dit que c'était illégal de se promener sans papiers. Elle m'a proposé de l'amener à la police pour ce grief.
– Elle ne manquait pas d'humour.
– J'ai vu où elle voulait en venir.
– Vraiment? Quel esprit vif!
– J'ai cru sentir un peu d'impertinence dans votre remarque.
– Vous croyez? Je ne me permettrais pas.
– Je lui ai demandé où je pouvais la reconduire. Elle a répondu nulle part. Drôle de fille, hein?
– Oui. C'est bizarre, cette victime qui refuse de sympathiser avec son violeur.
– Elle aurait pu voir que je l'aimais, quand même!
– Vous le lui aviez prouvé d'une manière si douce.
– Dès qu'elle en a eu l'occasion, elle s'est enfuie en courant. Cette fois, je n'ai pas pu la rattraper. Elle a disparu dans la ville. Je ne l'ai plus retrouvée.
– Quel dommage. Une si belle histoire qui commençait si bien.
– J'étais fou d'amour et de bonheur.
– Quelle raison pouviez-vous donc avoir d'être heureux?
– Il m'était enfin arrivé quelque chose de grand.
– Quelque chose de grand? Un viol minable, oui.
– Je ne vous demande pas votre avis.
– Que nie demandez-vous, au juste?
– De m'écouter.
– Il y a des psy, pour ça.
– Pourquoi irais-je chez un psy quand il y a des aéroports pleins de gens désœuvrés tout disposés à m'écouter?
– Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd.
– Je me suis mis à rechercher cette fille partout. Au début, je passais mon temps au cimetière de Montmartre, dans l'espoir qu'elle y revienne. Elle n'y revint pas.
– Comme c'est curieux, cette victime si peu pressée de revoir le lieu de son supplice.
– A croire que cela lui avait laissé un mauvais souvenir.
– Vous parlez sérieusement?
– Oui.
– Vous êtes assez malade pour supposer qu'elle aurait pu aimer ça?
– C'est flatteur, un viol. Ça prouve qu'on est capable de se mettre hors la loi pour vous.
– La loi. Vous n'avez que ce mot à la bouche. Vous croyez que cette malheureuse pensait à la loi, quand vous…? Vous mériteriez d'être violé pour comprendre.
– J'aimerais beaucoup. Hélas, personne ne semble en avoir eu envie.
– Ça ne m'étonne pas.
– Suis-je donc si laid?
– Pas tant que ça. Ce n'est pas le problème.
– Où est-il, alors, le problème?
– Vous avez vu comment vous abordez les gens? Vous en êtes incapable autrement que par la violence. La première fille que vous avez désirée, vous l'avez violée. Et quand vous avez envie de parler à quelqu'un, à moi par exemple, vous vous imposez. Moi aussi, vous me violez, certes d'une façon moins infecte, mais quand même. Vous n'avez jamais envisagé d'avoir une forme de relation humaine avec quel qu'un de consentant?
– Non.
– Ah!
– Qu'est-ce que ça m'apporterait, le consentement d'autrui?
– Des tas de choses.
– Soyez concret, je vous prie.
– Essayez, vous verrez.
– Trop tard. J'ai quarante ans et, en amitié comme en amour, je n'ai jamais plu à personne. Je n'ai pas même inspiré de camaraderie ou de vague sympathie à quiconque.
– Faites un effort. Rendez-vous attrayant.
– Pourquoi ferais-je un effort? Je suis content comme ça, moi. Ça m'a plu, ce viol; ça me plaît, de vous forcer à m'écouter. Pour accepter l'effort, il faut ne pas être satisfait de son sort.
– Et ce qu'en pensent vos victimes, ça vous indiffère?
– Ça m'est égal.