37663.fb2 Dame aux camelias - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 13

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Je ne répondis rien. Alors, il se retourna vers moi, et me dit :

– Il faut pourtant que je vous raconte cette histoire ; vous en ferez un livre auquel on ne croira pas, mais qui sera peut-être intéressant à faire.

– Vous me conterez cela plus tard, mon ami, lui dis-je ; vous n'êtes pas encore assez bien rétabli.

– La soirée est chaude, j'ai mangé mon blanc de poulet, me dit-il en souriant ; je n'ai pas la fièvre, nous n'avons rien à faire, je vais tout vous dire.

– Puisque vous le voulez absolument, j'écoute.

– C'est une bien simple histoire, ajouta-t-il alors, et que je vous raconterai en suivant l'ordre des événements. Si vous en faites quelque chose plus tard, libre à vous de la conter autrement.

Voici ce qu'il me raconta, et c'est à peine si j'ai changé quelques mots à ce touchant récit.

– Oui, reprit Armand, en laissant retomber sa tête sur le dos de son fauteuil, oui, c'était par une soirée comme celle-ci ! J'avais passé ma journée à la campagne avec un de mes amis, Gaston R…

Le soir, nous étions revenus à Paris, et, ne sachant que faire, nous étions entrés au théâtre des Variétés.

Pendant un entr'acte nous sortîmes, et, dans le corridor, nous vîmes passer une grande femme que mon ami salua.

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– Qui saluez-vous donc là ? lui demandai-je.

– Marguerite Gautier, me dit-il.

– Il me semble qu'elle est bien changée, car je ne l'ai pas reconnue, dis-je avec une émotion que vous comprendrez tout à l'heure.

– Elle a été malade ; la pauvre fille n'ira pas loin.

Je me rappelle ces paroles comme si elles m'avaient été dites hier.

Il faut que vous sachiez, mon ami, que depuis deux ans la vue de cette fille, lorsque je la rencontrais, me causait une impression étrange.

Sans que je susse pourquoi, je devenais pâle et mon cœur battait violemment. J'ai un de mes amis qui s'occupe de sciences occultes, et qui appellerait ce que j'éprouvais l'affinité des fluides ; moi, je crois tout simplement que j'étais destiné à devenir amoureux de Marguerite, et que je le pressentais.

Toujours est-il qu'elle me causait une impression réelle, que plusieurs de mes amis en avaient été témoins, et qu'ils avaient beaucoup ri en reconnaissant de qui cette impression me venait.

La première fois que je l'avais vue, c'était place de la Bourse, à la porte de Susse. Une calèche découverte y stationnait, et une femme vêtue de blanc en était descendue. Un murmure d'admiration avait accueilli son entrée dans le magasin. Quant à moi, je restai cloué à ma place, depuis le moment où elle entra jusqu'au moment où elle sortit. À travers les vitres, je la regardai choisir dans la boutique ce qu'elle venait y acheter. J'aurais pu entrer, mais je n'osais. Je ne savais quelle était cette femme, et je craignais qu'elle ne devinât la cause de mon entrée dans le

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magasin et ne s'en offensât. Cependant je ne me croyais pas appelé à la revoir.

Elle était élégamment vêtue ; elle portait une robe de mousseline tout entourée de volants, un châle de l'Inde carré aux coins brodés d'or et de fleurs de soie, un chapeau de paille d'Italie et un unique bracelet, grosse chaîne d'or dont la mode commençait à cette époque.

Elle remonta dans sa calèche et partit.

Un des garçons du magasin resta sur la porte, suivant des yeux la voiture de l'élégante acheteuse. Je m'approchai de lui et le priai de me dire le nom de cette femme.

– C'est mademoiselle Marguerite Gautier, me répondit-il.

Je n'osai pas lui demander l'adresse, et je m'éloignai.

Le souvenir de cette vision, car c'en était une véritable, ne me sortit pas de l'esprit, comme bien des visions que j'avais eues déjà, et je cherchais partout cette femme blanche si royalement belle.

À quelques jours de là, une grande représentation eut lieu à l'Opéra-Comique. J'y allai. La première personne que j'aperçus dans une loge d'avant-scène de la galerie fut Marguerite Gautier.

Le jeune homme avec qui j'étais la reconnut aussi, car il me dit, en me la nommant :

– Voyez donc cette jolie fille.

En ce moment, Marguerite lorgnait de notre côté ; elle aperçut mon ami, lui sourit et lui fit signe de venir lui faire visite.

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– Je vais lui dire bonsoir, me dit-il, et je reviens dans un instant.

Je ne pus m'empêcher de lui dire :

– Vous êtes bien heureux !

– De quoi ?

– D'aller voir cette femme.

– Est-ce que vous en êtes amoureux ?

– Non, dis-je en rougissant, car je ne savais vraiment pas à quoi m'en tenir là-dessus ; mais je voudrais bien la connaître.

– Venez avec moi, je vous présenterai.

– Demandez-lui-en d'abord la permission.

– Ah ! Pardieu, il n'y a pas besoin de se gêner avec elle ; venez.

Ce qu'il disait là me faisait peine. Je tremblais d'acquérir la certitude que Marguerite ne méritait pas ce que j'éprouvais pour elle.

Il y a dans un livre d'Alphonse Karr, intitulé : Am Rauchen, un homme qui suit, le soir, une femme très élégante, et dont, à la première vue, il est devenu amoureux, tant elle est belle. Pour baiser la main de cette femme, il se sent la force de tout entreprendre, la volonté de tout conquérir, le courage de tout faire. À peine s'il ose regarder le bas de jambe coquet qu'elle dévoile pour ne pas souiller sa robe au contact de la terre.

Pendant qu'il rêve à tout ce qu'il ferait pour posséder cette

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femme, elle l'arrête au coin d'une rue et lui demande s'il veut monter chez elle.

Il détourne la tête, traverse la rue et rentre tout triste chez lui.

Je me rappelais cette étude, et moi qui aurais voulu souffrir pour cette femme, je craignais qu'elle ne m'acceptât trop vite et ne me donnât trop promptement un amour que j'eusse voulu payer d'une longue attente ou d'un grand sacrifice. Nous sommes ainsi, nous autres hommes ; et il est bien heureux que l'imagination laisse cette poésie aux sens, et que les désirs du corps fassent cette concession aux rêves de l'âme.