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– C'est vrai, reprit-elle. Figurez-vous que j'ai la mauvaise habitude de vouloir embarrasser les gens que je vois pour la première fois. C'est très sot. Mon médecin dit que c'est parce que je suis nerveuse et toujours souffrante : croyez mon médecin.
– Mais vous paraissez très bien portante.
– Oh ! j'ai été bien malade.
– Je le sais.
– Qui vous l'a dit ?
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– Tout le monde le savait ; je suis venu souvent savoir de vos nouvelles, et j'ai appris avec plaisir votre convalescence.
– On ne m'a jamais remis votre carte.
– Je ne l'ai jamais laissée.
– Serait-ce vous, ce jeune homme qui venait tous les jours s'informer de moi pendant ma maladie, et qui n'a jamais voulu dire son nom ?
– C'est moi.
– Alors, vous êtes plus qu'indulgent, vous êtes généreux. Ce n'est pas vous, comte, qui auriez fait cela, ajouta-t-elle en se tournant vers M. de N…, et après avoir jeté sur moi un de ces regards par lesquels les femmes complètent leur opinion sur un homme.
– Je ne vous connais que depuis deux mois, répliqua le comte.
– Et monsieur qui ne me connaît que depuis cinq minutes !
Vous répondez toujours des niaiseries.
Les femmes sont impitoyables avec les gens qu'elles n'aiment pas.
Le comte rougit et se mordit les lèvres.
J'eus pitié de lui, car il paraissait être amoureux comme moi, et la dure franchise de Marguerite devait le rendre bien malheureux, surtout en présence de deux étrangers.
– Vous faisiez de la musique quand nous sommes entrés, dis-je alors pour changer la conversation, ne me ferez-vous pas le
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plaisir de me traiter en vieille connaissance, et ne continuerez-vous pas ?
– Oh ! fit-elle en se jetant sur le canapé et en nous faisant signe de nous y asseoir, Gaston sait bien quel genre de musique je fais. C'est bon quand je suis seule avec le comte, mais je ne voudrais pas vous faire endurer pareil supplice.
– Vous avez cette préférence pour moi ? Répliqua M. de N…
avec un sourire qu'il essaya de rendre fin et ironique.
– Vous avez tort de me la reprocher ; c'est la seule.
Il était décidé que ce pauvre garçon ne dirait pas un mot. Il jeta sur la jeune femme un regard vraiment suppliant.
– Dites donc, Prudence, continua-t-elle, avez-vous fait ce que je vous avais priée de faire ?
– Oui.
– C'est bien, vous me conterez cela plus tard. Nous avons à causer, vous ne vous en irez pas sans que je vous parle.
– Nous sommes sans doute indiscrets, dis-je alors, et, maintenant que nous avons ou plutôt que j'ai obtenu une seconde présentation pour faire oublier la première, nous allons nous retirer, Gaston et moi.
– Pas le moins du monde ; ce n'est pas pour vous que je dis cela. Je veux au contraire que vous restiez.
Le comte tira une montre fort élégante, à laquelle il regarda l'heure :
– Il est temps que j'aille au club, dit-il.
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Marguerite ne répondit rien.
Le comte quitta alors la cheminée, et venant à elle :
– Adieu, madame.
Marguerite se leva.
– Adieu, mon cher comte, vous vous en allez déjà ?
– Oui, je crains de vous ennuyer.
– Vous ne m'ennuyez pas plus aujourd'hui que les autres jours. Quand vous verra-t-on ?
– Quand vous le permettrez.
– Adieu, alors !
C'était cruel, vous l'avouerez.
Le comte avait heureusement une fort bonne éducation et un excellent caractère. Il se contenta de baiser la main que Marguerite lui tendait assez nonchalamment, et de sortir après nous avoir salués.
Au moment où il franchissait la porte, il regarda Prudence.
Celle-ci leva les épaules d'un air qui signifiait :
– Que voulez-vous, j'ai fait tout ce que j'ai pu.
– Nanine ! cria Marguerite, éclaire M. le comte.