37663.fb2
– Et quand verrons-nous ?
– Plus tard.
– Pourquoi ?
– Parce que, dit Marguerite en se dégageant de mes bras et en prenant dans un gros bouquet de camélias rouges apporté le matin un camélia qu'elle passa à ma boutonnière, parce qu'on ne peut pas toujours exécuter les traités le jour où on les signe. C'est facile à comprendre.
– Et quand vous reverrai-je ? dis-je en la pressant dans mes bras.
– Quand ce camélia changera de couleur.
– Et quand changera-t-il de couleur ?
– Demain, de onze heures à minuit. Êtes-vous content ?
– Vous me le demandez ?
– Pas un mot de tout cela ni à votre ami, ni à Prudence, ni à qui que ce soit.
– Je vous le promets.
– 112 –
– Maintenant, embrassez-moi et rentrons dans la salle à manger.
Elle me tendit ses lèvres, lissa de nouveau ses cheveux, et nous sortîmes de cette chambre, elle en chantant, moi à moitié fou.
Dans le salon elle me dit tout bas, en s'arrêtant :
– Cela doit vous paraître étrange que j'aie l'air d'être prête à vous accepter ainsi tout de suite ; savez-vous d'où cela vient ?
Cela vient, continua-t-elle en prenant ma main et en la posant contre son cœur, dont je sentis les palpitations violentes et répétées, cela vient de ce que, devant vivre moins longtemps que les autres, je me suis promis de vivre plus vite.
– Ne me parlez plus de la sorte, je vous en supplie.
– Oh ! consolez-vous, continua-t-elle en riant. Si peu de temps que j'aie à vivre, je vivrai plus longtemps que vous ne m'aimerez.
Et elle entra en chantant dans la salle à manger.
– Où est Nanine ? dit-elle en voyant Gaston et Prudence seuls.
– Elle dort dans votre chambre, en attendant que vous vous couchiez, répondit Prudence.
– La malheureuse ! Je la tue ! Allons, messieurs, retirez-vous ; il est temps.
Dix minutes après, Gaston et moi nous sortions. Marguerite me serrait la main en me disant adieu et restait avec Prudence.
– 113 –
– Eh bien, me demanda Gaston, quand nous fûmes dehors, que dites-vous de Marguerite ?
– C'est un ange, et j'en suis fou.
– Je m'en doutais ; le lui avez-vous dit ?
– Oui.
– Et vous a-t-elle promis de vous croire.
– Non.
– Ce n'est pas comme Prudence.
– Elle vous l'a promis ?
– Elle a fait mieux, mon cher ! On ne le croirait pas, elle est encore très bien, cette grosse Duvernoy !
– 114 –
Chapitre XI
En cet endroit de son récit, Armand s'arrêta.
– Voulez-vous fermer la fenêtre ? me dit-il, je commence à avoir froid. Pendant ce temps, je vais me coucher.
Je fermai la fenêtre. Armand, qui était très faible encore, ôta sa robe de chambre et se mit au lit, laissant pendant quelques instants reposer sa tête sur l'oreiller comme un homme fatigué d'une longue course ou agité de pénibles souvenirs.
– Vous avez peut-être trop parlé, lui dis-je ; voulez-vous que je m'en aille et que je vous laisse dormir ? Vous me raconterez un autre jour la fin de cette histoire.
– 115 –
– Est-ce qu'elle vous ennuie ?
– Au contraire.
– Je vais continuer alors ; si vous me laissiez seul, je ne dormirais pas.
– Quand je rentrai chez moi, reprit-il, sans avoir besoin de se recueillir, tant tous ces détails étaient encore présents à sa pensée, je ne me couchai pas ; je me mis à réfléchir sur l'aventure de la journée. La rencontre, la présentation, l'engagement de Marguerite vis-à-vis de moi, tout avait été si rapide, si inespéré, qu'il y avait des moments où je croyais avoir rêvé. Cependant ce n'était pas la première fois qu'une fille comme Marguerite se promettait à un homme pour le lendemain du jour où il le lui demandait.
J'avais beau me faire cette réflexion, la première impression produite par ma future maîtresse sur moi avait été si forte qu'elle subsistait toujours. Je m'entêtais encore à ne pas voir en elle une fille semblable aux autres, et, avec la vanité si commune à tous les hommes, j'étais prêt à croire qu'elle partageait invinciblement pour moi l'attraction que j'avais pour elle.
Cependant j'avais sous les yeux des exemples bien contradictoires, et j'avais entendu dire souvent que l'amour de Marguerite était passé à l'état de denrée plus ou moins chère, selon la saison.
Mais comment aussi, d'un autre côté, concilier cette réputation avec les refus continuels faits au jeune comte que nous avions trouvé chez elle ?