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Madame Duvernoy sortit.
Marguerite ouvrit son étagère et jeta dedans les billets de banque.
– Vous permettez que je me couche ! dit-elle en souriant et en se dirigeant vers son lit.
– Non seulement je vous le permets, mais encore je vous en prie.
Elle rejeta sur le pied de son lit la guipure qui le couvrait et se coucha.
– Maintenant, dit-elle, venez vous asseoir près de moi et causons.
– 128 –
Prudence avait raison : la réponse qu'elle avait apportée à Marguerite l'égayait.
– Vous me pardonnez ma mauvaise humeur de ce soir ? me dit-elle en me prenant la main.
– Je suis prêt à vous en pardonner bien d'autres.
– Et vous m'aimez ?
– À en devenir fou.
– Malgré mon mauvais caractère ?
– Malgré tout.
– Vous me le jurez !
– Oui, lui dis-je tout bas.
Nanine entra alors portant des assiettes, un poulet froid, une bouteille de bordeaux, des fraises et deux couverts.
– Je ne vous ai pas fait faire du punch, dit Nanine, le bordeaux est meilleur pour vous. N'est-ce pas, monsieur ?
– Certainement, répondis-je, tout ému encore des dernières paroles de Marguerite et les yeux ardemment fixés sur elle.
– Bien, dit-elle, mets tout cela sur la petite table, approche-la du lit ; nous nous servirons nous-mêmes. Voilà trois nuits que tu passes, tu dois avoir envie de dormir, va te coucher ; je n'ai plus besoin de rien.
– 129 –
– Faut-il fermer la porte à double tour ?
– Je le crois bien ! Et surtout dis qu'on ne laisse entrer personne demain avant midi.
– 130 –
Chapitre XII
À cinq heures du matin, quand le jour commença à paraître à travers les rideaux, Marguerite me dit :
– Pardonne-moi si je te chasse, mais il le faut. Le duc vient tous les matins ; on va lui répondre que je dors, quand il va venir, et il attendra peut-être que je me réveille.
Je pris dans mes mains la tête de Marguerite, dont les cheveux défaits ruisselaient autour d'elle, et je lui donnai un dernier baiser, en lui disant :
– Quand te reverrai-je ?
– 131 –
– Écoute, reprit-elle, prends cette petite clef dorée qui est sur la cheminée, va ouvrir cette porte ; rapporte la clef ici et va-t'en.
Dans la journée, tu recevras une lettre et mes ordres, car tu sais que tu dois obéir aveuglément.
– Oui, et si je demandais déjà quelque chose ?
– Quoi donc ?
– Que tu me laissasses cette clef.
– Je n'ai jamais fait pour personne ce que tu me demandes là.
– Eh bien, fais-le pour moi, car je te jure que, moi, je ne t'aime pas comme les autres t'aimaient.
– Eh bien, garde-la ; mais je te préviens qu'il ne dépend que de moi que cette clef ne te serve à rien.
– Pourquoi ?
– Il y a des verrous en dedans de la porte.
– Méchante !
– Je les ferai ôter.
– Tu m'aimes donc un peu ?
– Je ne sais pas comment cela se fait, mais il me semble que oui. Maintenant va-t'en ; je tombe de sommeil.
Nous restâmes quelques secondes dans les bras l'un de l'autre, et je partis.
– 132 –
Les rues étaient désertes, la grande ville dormait encore, une douce fraîcheur courait dans ces quartiers que le bruit des hommes allait envahir quelques heures plus tard.
Il me sembla que cette ville endormie m'appartenait ; je cherchais dans mon souvenir les noms de ceux dont j'avais jusqu'alors envié le bonheur ; et je ne m'en rappelais pas un sans me trouver plus heureux que lui.