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J'étais plus fort devant ses menaces que devant ses prières.
– Qui vous a dit que je dusse lui abandonner cette somme ?
Repris-je.
– Mon notaire. Un honnête homme eût-il fait un acte semblable sans me prévenir ? Eh bien, c'est pour empêcher votre ruine en faveur d'une fille que je suis venu à Paris. Votre mère vous a laissé en mourant de quoi vivre honorablement et non pas de quoi faire des générosités à vos maîtresses.
– Je vous le jure, mon père, Marguerite ignorait cette donation.
– Et pourquoi la faisiez-vous alors ?
– Parce que Marguerite, cette femme que vous calomniez et que vous voulez que j'abandonne, fait le sacrifice de tout ce qu'elle possède pour vivre avec moi.
– Et vous acceptez ce sacrifice ? Quel homme êtes-vous donc, monsieur, pour permettre à une mademoiselle Marguerite de vous sacrifier quelque chose ? Allons, en voilà assez. Vous quitterez cette femme. Tout à l'heure je vous en priais, maintenant je vous l'ordonne ; je ne veux pas de pareilles saletés dans ma famille. Faites vos malles, et apprêtez-vous à me suivre.
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– Pardonnez-moi, mon père, dis-je alors, mais je ne partirai pas.
– Parce que ?...
– Parce que j'ai déjà l'âge où l'on n'obéit plus à un ordre.
Mon père pâlit à cette réponse.
– C'est bien, monsieur, reprit-il ; je sais ce qu'il me reste à faire.
Il sonna.
Joseph parut.
– Faites transporter mes malles à l'hôtel de Paris, dit-il à mon domestique. Et en même temps il passa dans sa chambre, où il acheva de s'habiller.
Quand il reparut, j'allai au-devant de lui.
– Vous me promettez, mon père, lui dis-je, de ne rien faire qui puisse causer de la peine à Marguerite ?
Mon père s'arrêta, me regarda avec dédain, et se contenta de me répondre :
– Vous êtes fou, je crois.
Après quoi, il sortit en fermant violemment la porte derrière lui.
Je descendis à mon tour, je pris un cabriolet et je partis pour Bougival.
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Marguerite m'attendait à la fenêtre.
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Chapitre XXI
– Enfin ! s'écria-t-elle en me sautant au cou. Te voilà !
Comme tu es pâle !
Alors je lui racontai ma scène avec mon père.
– Ah ! mon dieu ! je m'en doutais, dit-elle. Quand Joseph est venu nous annoncer l'arrivée de ton père, j'ai tressailli comme à la nouvelle d'un malheur. Pauvre ami ! et c'est moi qui te cause tous ces chagrins. Tu ferais peut-être mieux de me quitter que de te brouiller avec ton père. Cependant je ne lui ai rien fait. Nous vivons bien tranquilles, nous allons vivre plus tranquilles encore.
Il sait bien qu'il faut que tu aies une maîtresse, et il devrait être heureux que ce fût moi, puisque je t'aime et n'ambitionne pas
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plus que ta position ne le permet. Lui as-tu dit comment nous avons arrangé l'avenir ?
– Oui, et c'est ce qui l'a le plus irrité, car il a vu dans cette détermination la preuve de notre amour mutuel.
– Que faire alors ?
– Rester ensemble, ma bonne Marguerite, et laisser passer cet orage.
– Passera-t-il ?
– Il le faudra bien.
– Mais ton père ne s'en tiendra pas là.
– Que veux-tu qu'il fasse ?
– Que sais-je, moi ? tout ce qu'un père peut faire pour que son fils lui obéisse. Il te rappellera ma vie passée et me fera peut-
être l'honneur d'inventer quelques nouvelles histoires pour que tu m'abandonnes.
– Tu sais bien que je t'aime.
– Oui, mais ce que je sais aussi, c'est qu'il faut tôt ou tard obéir à son père, et tu finiras peut-être par te laisser convaincre.
– Non, Marguerite, c'est moi qui le convaincrai. Ce sont les cancans de quelques-uns de ses amis qui causent cette grande colère ; mais il est bon, il est juste, et il reviendra sur sa première impression. Puis, après tout, que m'importe !
– Ne dis pas cela, Armand ; j'aimerais mieux tout que de laisser croire que je te brouille avec ta famille ; laisse passer cette
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