38090.fb2 Elle sappelait Sarah - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 37

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« Il y a quelque chose que je voulais vous demander, monsieur Lévy. Quelque chose qui n'a rien à voir avec mon article. »

Il me regarda et retourna s'asseoir à son bureau.

« Je vous en prie. Dites. »

Je me penchai vers lui.

« Si je vous donne l'adresse exacte d'une famille arrêtée le 16 juillet 1942, pourrez-vous m'aider à retrouver sa trace ?

— Une famille du Vél d'Hiv ?

— Oui, dis-je. C'est important. »

Il observait mon visage fatigué, mes yeux gonflés. J'avais la sensation qu'il lisait en moi et savait mon chagrin, ainsi que toutes les choses que j'avais découvertes sur l'appartement. Oui, j'étais sûre qu'il voyait tout ce que je portais en moi ce matin-là, assise en face de lui.

« Depuis quarante ans, Miss Jarmond, j'ai répertorié la vie de chaque personne juive déportée de ce pays entre 1941 et 1944. C'est un travail long et douloureux, mais c'est un travail nécessaire. Oui, je peux vous donner le nom de cette famille. Tout est dans cet ordinateur, juste là. Nous pouvons trouver ce nom en quelques secondes. Mais pouvez-vous me dire pourquoi vous vous intéressez à cette famille précisément ? Est-ce juste une curiosité de journaliste ou y a-t-il autre chose ? »

Je me sentis rougir.

« C'est personnel, dis-je. Et pas très simple à expliquer.

— Essayez tout de même », dit-il.

J'hésitai un instant, puis je lui racontai l'histoire de l'appartement de la rue de Saintonge, ce que Mamé m'avait dit, ce que mon beau-père m'avait dit. Je finis par lui avouer, et sans aucune hésitation cette fois, que je pensais sans cesse à cette famille, que je voulais savoir qui ils étaient et ce qui leur était arrivé. Il m'écoutait, en hochant parfois la tête. Puis il me dit :

« Vous savez, Miss Jarmond, faire revivre le passé n'est pas chose facile. On a parfois des surprises désagréables. La vérité est plus terrible que l'ignorance.

— Je sais, dis-je. Mais je veux savoir. »

Il me fixa sans ciller.

« Je vais vous donner ce nom. Mais pour vous seule. Pas pour votre magazine. J'ai votre parole ?

— Oui », répondis-je, surprise par son ton solennel.

Il se dirigea vers l'ordinateur.

« Vous me redonnez l'adresse, s'il vous plaît ? »

Je m'exécutai.

Ses doigts volaient sur le clavier. Puis l'ordinateur émit un petit bruit. Mon cœur s'arrêta. L'imprimante cracha une feuille de papier que Franck Lévy me tendit et où je lus :

26, rue de Saintonge 75003 Paris

STARZYNSKI

Wladyslaw, né à Varsovie en 1910. Arrêté le 16 juillet 1942. Garage, rue de Bretagne. Véld'Hiv. Beaune-la-Rolande. Convoi n° 15, 5 août 1942. Rywka, née à Okuniew en 1912. Arrêtée le 16 juillet 1942. Garage, rue de Bretagne. Vél d'Hiv. Beaune-la-Rolande. Convoi n° 15, 5 août 1942. Sarah, née à Paris dans le 12e arrondissement en 1932. Arrêtée le 16 juillet 1942. Garage, rue de Bretagne. Vél d'Hiv. Beaune-la-Rolande.

L'imprimante sortit un autre document. « C'est une photographie », dit Franck Lévy. Il la regarda avant de me la donner.

Il s'agissait d'une fillette d'une dizaine d'années. La légende disait : juin 1942, école de la rue des Blancs-Manteaux. Juste à côté de la rue de Saintonge.

La fillette avait des yeux clairs en amande. Bleus ou verts, c'était difficile à dire. Des cheveux blonds aux épaules, légèrement ondulés. Un beau sourire timide. Un visage en forme de cœur. Elle était assise à son pupitre d'écolière, un livre ouvert devant elle. Sur sa poitrine, l'étoile jaune.

Sarah Starzynski. Un an plus jeune que Zoë. Je relus la fiche. Je n'avais pas besoin de demander à Franck Lévy où le convoi n° 15 avait fini. Je savais que c'était à Auschwitz.

« C'est quoi, ce garage de la rue de Bretagne ? demandai-je.

— C'est là que la plupart des Juifs du 3e arrondissement furent regroupés avant d'être emmenés rue Nélaton, au vélodrome. »

Quelque chose m'intriguait. Pour Sarah, la fiche ne mentionnait pas de numéro de convoi. Je m'en ouvris à Franck Lévy.

« Cela veut dire qu'elle n'est montée dans aucun train pour la Pologne. Voilà tout ce que je peux en dire.

— Aurait-elle pu s'échapper ? dis-je.

— C'est difficile à dire. Quelques enfants, en effet, se sont échappés de Beaune-la-Rolande et ont été recueillis par des fermiers des alentours. D'autres, beaucoup plus jeunes que Sarah, ont été déportés sans qu'on puisse vraiment enregistrer leurs identités. Dans ce cas, on trouve la chose suivante : « Garçon, Pithiviers. » Hélas, je ne peux pas vous dire ce qui est arrivé à Sarah Starzynski, Miss Jarmond. La seule certitude, c'est qu'elle n'est pas arrivée à Drancy avec les autres enfants de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers. Elle n'apparaît pas dans les registres. »

Je regardai de nouveau le beau visage innocent.

« Qu'a-t-il bien pu lui arriver ? murmurai-je.

— La dernière trace que nous ayons d'elle, c'est à Beaune. Peut-être s'est-elle sauvée, peut-être a-t-elle été recueillie par une famille du coin et est-elle restée cachée jusqu'à la fin de la guerre sous un nom d'emprunt.

— Cela était-il fréquent ?

— Oui. Un grand nombre d'enfants juifs ont survécu de cette façon, grâce à l'aide et à la générosité de familles françaises ou d'institutions religieuses. »

J'insistai.

« Pensez-vous que Sarah Starzynski a été sauvée ? Pensez-vous qu'elle a survécu ? »

Il baissa le regard sur la photographie de cette charmante enfant au sourire timide.

« Je l'espère. À présent, vous avez l'information que vous désiriez. Vous savez qui vivait dans votre appartement.

— Oui, dis-je. Merci, merci beaucoup. Mais je me demande toujours comment la famille de mon mari a pu vivre à cet endroit en sachant que les Starzynski avaient été arrêtés. Cela m'est totalement incompréhensible.

— Ne les jugez pas trop vite, me mit en garde Franck Lévy. Bien sûr, il y avait beaucoup d'indifférence chez les Parisiens, mais n'oubliez pas que Paris était occupé. Les gens avaient peur pour leur vie. C'était une époque très particulière. »

En quittant son bureau, je me sentis soudain très fragile. J'étais au bord des larmes. Cette journée avait été épuisante. J'étais littéralement vidée. Comme si le monde se resserrait autour de moi, faisant pression de tous côtés. Bertrand. Le bébé. La décision impossible que je devais prendre. La discussion que je serais obligée d'avoir ce soir avec mon époux.

Et aussi, le mystère de l'appartement de la rue de Saintonge. L'emménagement de la famille Tézac, juste après l'arrestation des Starzynski. Mamé et Édouard qui ne voulaient pas en parler. Pourquoi ? Que s'était-il passé ? Pourquoi refusaient-ils de me le dire ?

En marchant en direction de la rue Marbeuf, je me sentis submergée par quelque chose d'énorme et d'incontrôlable.