38090.fb2 Elle sappelait Sarah - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 45

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Le trajet en métro jusqu'à la rue de Saintonge avait été bref. Seulement quelques stations et un changement à Bastille. Quand ils prirent la rue de Bretagne, Sarah sentit son cœur battre plus fort. Elle rentrait chez elle. Dans quelques minutes, elle serait dans sa maison. Peut-être, pendant son absence, son père ou sa mère étaient-ils rentrés et peut-être la famille au complet attendait-elle son retour dans l'appartement. Michel, Papa, Maman. Était-ce une pensée folle ? Délirait-elle ? N'avait-elle pas le droit d'espérer ? N'était-ce pas permis ? Elle n'avait que dix ans et elle voulait espérer, y croire, plus que tout, plus qu'à la vie elle-même.

Elle tirait sur la main de Jules. Elle voulait marcher plus vite. Elle sentait l'espoir grandir à chaque pas, comme une plante folle impossible à maîtriser. En elle, une petite voix grave lui disait : « Sarah, n'espère pas, n'y crois pas, prépare-toi, imagine que personne ne t'attende, imagine que Papa et Maman ne soient pas là, que l'appartement soit tout poussiéreux et sale, et que Michel… Michel… »

Le numéro 26 apparut devant eux. Rien n'avait changé dans la rue. C'était la même petite rue calme et étroite qu'elle avait toujours connue. Comment se pouvait-il que des existences changent si radicalement, soient détruites et que les rues et les immeubles restent les mêmes ?

Jules poussa la lourde porte. La cour n'avait pas changé non plus, toujours verte, avec ce parfum de renfermé, de poussière, d'humidité. Comme ils traversaient la cour, Mme Royer ouvrit la porte de sa loge et sortit la tête. Sarah lâcha la main de Jules et partit en courant dans l'escalier. Faire vite, elle devait faire vite. Elle était rentrée chez elle, il n'y avait pas une minute à perdre.

Elle entendit la concierge demander d'un air inquisiteur : « Vous cherchez quelqu'un ? » Elle était déjà au premier étage et à bout de souffle. Elle continua à monter au son de la voix de Jules : « Nous cherchons la famille Starzynski. » Sarah entendit le rire de Mme Royer, dérangeant, qui l'écorchait presque : « Partis, monsieur ! Envolés ! Vous n'les trouverez pas ici, ça, c'est sûr. »

Sarah fit une pause au deuxième étage et jeta un coup d'œil dans la cour. Elle vit Mme Royer avec son tablier bleu pas très net, la petite Suzanne jetée sur l'épaule. Partis… Envolés… Que voulait-elle dire ? Partis où ? Quand ?

Il n'y avait pas de temps à perdre, pas de temps pour ce genre de pensées, songea-t-elle. Il restait deux étages à monter. La voix de la concierge la poursuivait dans l'escalier : « Les flics sont venus les arrêter, monsieur. Ils ont pris tous les Juifs du quartier. Les ont emmenés dans un grand bus. C'est plein de logements vides, maintenant, monsieur. Vous cherchez un endroit à louer ? L'appartement des Starzynski a trouvé preneur, mais je pourrais peut-être vous aider… Il y en a un très beau au deuxième. Si vous êtes intéressés, je peux vous le faire visiter ! »

Haletante, la fillette parvint au quatrième étage. Elle n'arrivait pas à reprendre son souffle. Elle s'adossa contre le mur et appuya sur ses côtes. Elle avait un point de côté.

Elle frappa à la porte de l'appartement de ses parents, donna des petits coups secs et rapides de la paume de la main. Pas de réponse. Elle recommença, plus fort, en frappant avec les poings.

Elle entendit alors des pas derrière la porte. On ouvrit.

Un jeune garçon de douze ou treize ans apparut.

« Oui ? »

Qui était-ce ? Que faisait-il dans sa maison ?

« Je viens chercher mon frère, bégaya-t-elle. Qui êtes-vous ? Où est Michel ?

— Votre frère ? dit lentement le garçon. Il n'y a pas de Michel ici. »

Elle le poussa brutalement pour entrer, en remarquant à peine les tableaux inconnus qui ornaient les murs de l'entrée, la nouvelle étagère, l'étrange tapis vert et rouge. Le garçon, sous le choc, se mit à crier, mais elle ne s'arrêta pas. Elle courut dans le long couloir familier, puis tourna à gauche, dans sa chambre. Elle ne remarqua pas le nouveau papier peint, le nouveau lit, les livres, toutes ces choses qui ne lui appartenaient pas.

Le garçon appela son père et des pas s'affolèrent dans la pièce d'à côté.

Sarah sortit rapidement la clef de sa poche et, d'une pression de la main, révéla la serrure dissimulée.

Elle entendit sonner, des voix basses et inquiètes se rapprochaient. La voix de Jules, de Geneviève et d'un inconnu.

Faire vite, elle devait faire vite à présent. Elle murmurait le nom de son frère sans arrêt. Michel, Michel, Michel, c'est moi, Sirka… Ses doigts tremblaient tellement qu'elle lâcha la clef

Le garçon arriva en courant. Il était essoufflé.

« Que faites-vous ? Que faites-vous dans ma chambre ? »

Elle l'ignora, ramassa la clef, l'introduisit dans la serrure. Elle était trop nerveuse, trop impatiente. Cela prit du temps. La serrure finit par céder. Et la porte du placard secret s'ouvrit.

Une odeur de pourriture la frappa comme un coup de poing. Elle s'écarta. Le garçon recula, effrayé. Sarah tomba à genoux.

Un grand homme aux cheveux poivre et sel surgit dans la pièce, suivi de Jules et Geneviève.

Sarah était incapable de dire un mot. Elle ne faisait que trembler, les mains plaquées sur les yeux et le nez pour couvrir l'odeur.

Jules s'approcha. Il mit la main sur son épaule et jeta un coup d'œil dans le placard. Puis il la prit dans ses bras et essaya de l'éloigner.

Il lui murmura à l'oreille :

« Viens, Sarah, viens avec moi… »

Elle se débattit de toutes ses forces, bec et ongles, griffant, donnant des coups de pied, et réussit à revenir devant la porte ouverte.

Au fond de la cachette, elle aperçut un petit corps immobile et recroquevillé, puis le visage chéri, bleui, méconnaissable.

Elle s'effondra en criant. Elle appela dans un hurlement de désespoir, sa mère, son père. Michel.