38090.fb2 Elle sappelait Sarah - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 74

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L'appartement de la rue de Saintonge était quasiment prêt. Bertrand avait tout organisé pour que Zoë et moi y emménagions après la naissance du bébé, en février. Tout avait changé et c'était très beau. Son équipe avait fait du bon travail. L'empreinte de Mamé avait disparu, et j'imaginais que l'appartement était maintenant différent de celui qu'avait connu Sarah.

Cependant, en me promenant dans ces pièces vides à la peinture encore fraîche, dans la cuisine, le bureau, je me demandais comment je pourrais supporter de vivre dans ce lieu. Là où le petit frère de Sarah était mort. Le placard secret n'existait plus, il avait été détruit quand on avait abattu une cloison pour rassembler deux chambres. Pourtant, cela ne changeait rien pour moi.

C'était là que tout s'était passé. Je ne pouvais effacer cela de mon esprit. Je n'avais pas raconté à ma fille la tragédie qui avait eu lieu entre ces murs, mais elle le sentait d'une manière qui lui était particulière, dans l'émotion et l'intuition.

Par un matin humide de novembre, je me rendis à l'appartement pour faire le point sur les rideaux, les papiers peints, les tapis. Isabelle avait été d'une aide précieuse. Elle m'avait accompagnée dans les boutiques et les magasins de décoration. Pour le plus grand plaisir de Zoë, j'avais décidé de laisser tomber les tons neutres que j'affectionnais par le passé, et d'oser de nouvelles couleurs plus audacieuses. Bertrand avait signifié son indifférence d'un geste de la main : « C'est comme vous voulez, c'est votre maison, après tout. » Zoë avait voulu une chambre citron vert et lilas. Cela ressemblait tellement aux goûts de Charla que je ne pus m'empêcher de sourire.

Un régiment de catalogues m'attendait sur le parquet verni. J'étais en train de les feuilleter consciencieusement quand mon téléphone sonna. Je reconnus le numéro. C'était la maison de retraite de Mamé. Mamé avait été fatiguée ces derniers temps, irritable, parfois insupportable. On avait du mal à lui arracher un sourire, même Zoë n'y arrivait pas. Elle montrait de l'impatience avec tout le monde. Lui rendre visite, en ce moment, tenait de la corvée.

« Mademoiselle Jarmond ? C'est Véronique, de la maison de retraite. Je dois vous annoncer de mauvaises nouvelles. Mme Tézac ne va pas bien, elle a eu une attaque. »

Je me redressai, sous le choc. « Une attaque ?

— Elle va un peu mieux, c'est le Dr Roche qui s'en occupe maintenant, mais il faudrait que vous veniez. Nous avons prévenu votre beau-père. Mais nous n'arrivons pas à joindre votre mari. »

Je raccrochai en proie à un sentiment de trouble et de panique. Dehors, la pluie tapait sur les carreaux. Où était Bertrand ? Je composai son numéro et tombai sur sa messagerie. Dans ses bureaux, près de la Madeleine, personne ne semblait savoir où il pouvait être, même pas Antoine à qui je dis que je me trouvai rue de Saintonge et demandai, s'il l'avait en ligne, de dire à Bertrand de m'appeler le plus vite possible. C'était très urgent.

« Mon Dieu, c'est le bébé ? balbutia-t-il.

— Non, Antoine, ce n'est pas le bébé, c'est sa grand-mère », répondis-je. Puis je raccrochai.

Je jetai un coup d'œil dehors. La pluie tombait comme un grand rideau gris et luisant. J'allais être trempée. Oh non ! Et après tout, peu importait. Mamé. Merveilleuse Mamé, Mamé chérie. Ma Mamé. Non, Mamé ne pouvait pas nous quitter maintenant, j'avais besoin d'elle. C'était trop tôt. Je n'étais pas prête. Je ne serais jamais prête à la voir mourir d'ailleurs. Je regardai autour de moi, ce salon où je l'avais rencontrée pour la première fois. Et à nouveau, je me sentis submergée par le poids des événements qui avaient eu lieu ici et qui revenaient sans cesse me hanter.

Je décidai d'appeler Cécile et Laure pour réassurer qu'elles étaient prévenues et en chemin pour la maison de retraite. Laure me répondit en femme pressée qu'elle était déjà dans sa voiture et qu'elle me verrait là-bas. Cécile avait l'air plus émue, fragile, les larmes perçaient dans sa voix.

« Oh, Julia, je ne supporte pas l'idée que Mamé… Tu sais… C'est trop affreux… »

Je lui dis que je n'arrivais pas à joindre Bertrand. Elle eut l'air surprise.

« Mais je viens de lui parler, dit-elle.

— Tu l'as eu sur son portable ?

— Non, répondit-elle d'une voix hésitante.

— Au bureau alors ?

— Il vient me chercher dans une minute pour m'emmener à la maison de retraite.

— Je n'ai pas réussi à lui parler.

— Ah bon ? dit-elle prudemment. Je vois. »

Je compris. La colère me prit.

« Il est chez Amélie, c'est ça ?

— Amélie ? répéta-t-elle, sans conviction.

— Oh, arrête, Cécile. Tu sais très bien de quoi je parle.

— C'est l'interphone, je te laisse, c'est Bertrand. »

Elle raccrocha. Je restai au milieu du salon, mon téléphone à la main comme si je tenais un revolver. J'appuyai mon front contre la fenêtre. C'était froid. J'avais envie de gifler Bertrand. Ce n'était pas son histoire à rebondissements avec Amélie qui me mettait dans cet état, mais le fait que ses sœurs aient le numéro de cette femme et sachent comment le joindre dans un cas d'urgence comme celui-ci, alors que moi, je ne savais pas. Le fait que même si notre mariage était moribond, il aurait pu avoir le courage de me dire qu'il la voyait toujours. Comme d'habitude, j'étais la dernière au courant. L'éternelle figure vaudevillesque de la femme trompée.

Je restai ainsi un moment, sans bouger. Je sentais le bébé me donner des coups de pied. J'hésitais entre le rire et les larmes.

Tenais-je encore à Bertrand, était-ce pour cela que j'avais si mal ? Ou était-ce juste ma fierté blessée ? Amélie et son glamour parisien, son côté femme parfaite, son appartement si absolument moderne sur le Trocadéro, ses enfants bien élevés qui disaient toujours bonjour à la dame, son parfum capiteux qui s'accrochait aux cheveux et aux vêtements de Bertrand. S'il l'aimait et qu'il ne m'aimait plus, pourquoi avait-il peur de me le dire ? Redoutait-il de me faire du mal ? De faire du mal à Zoë ? Qu'est-ce qui lui faisait si peur ? Quand comprendrait-il que ce n'était pas son infidélité que je trouvais insupportable, mais sa lâcheté ?

J'allai dans la cuisine. J'avais la bouche sèche. Je me penchai au-dessus du lavabo et bus directement au robinet, mon ventre encombrant frottant contre le rebord. Je jetai de nouveau un coup d'œil à l'extérieur. La pluie semblait s'être calmée. J'enfilai mon imperméable, attrapai mon sac à main et me dirigeai vers la porte.

Quelqu'un cogna. Trois coups brefs.

Ce devait être Bertrand. J'étais amère. Antoine ou Cécile avait dû lui dire de m'appeler ou de passer.

Cécile attendait probablement en bas, dans la voiture. J'imaginais son embarras. Le silence tendu, plein de nervosité qui prendrait place dès que je monterais dans l'Audi.

J'étais bien décidée à leur montrer de quel bois je me chauffais. Je n'avais pas l'intention de jouer les gentilles épouses timides à la française. J'allais demander à Bertrand de me dire la vérité dorénavant.

J'ouvris brutalement la porte.

Mais l'homme qui m'attendait sur le seuil n'était pas Bertrand.

Je reconnus immédiatement la taille, les épaules larges, les cheveux blond cendré, encore foncés par la pluie et plaqués contre son crâne.

William Rainsferd.

Je fis un pas en arrière.

« Je vous dérange ? dit-il.

— Non », mentis-je.

Que diable faisait-il ici ? Que voulait-il ?

Nous nous regardâmes droit dans les yeux. Son visage avait changé depuis la dernière fois. Il semblait plus émacié, hagard. Ce n'était plus le gourmet avenant et bronzé.

« Je dois vous parler. C'est urgent. Je suis désolé, je ne trouvais pas votre numéro. Alors je suis venu ici. Comme vous n'étiez pas là hier soir, je me suis dit que je reviendrais ce matin.

— Comment avez-vous eu l'adresse ? demandai-je, troublée. Nous ne sommes pas encore dans l'annuaire, nous n'avons pas déménagé. »

Il sortit une enveloppe de sa veste.

« L'adresse était là. La rue dont vous m'aviez parlé à Lucca. Rue de Saintonge.

— Je ne comprends pas. »

Il me tendit l'enveloppe. Elle était vieille, déchirée dans les coins. Rien n'était écrit dessus.

« Ouvrez-la », dit-il.

À l'intérieur se trouvaient un mince carnet très abîmé, un dessin à moitié effacé et une longue clef de cuivre. Elle tomba sur le plancher et William se pencha pour la ramasser. Il la déposa dans sa paume pour me la montrer.

« C'est quoi tout ça ? demandai-je, méfiante.

— Quand vous avez quitté Lucca, j'étais en état de choc. Je ne pouvais chasser cette photo de mon esprit. J'y pensais sans arrêt.

— Oui ? dis-je le cœur battant.

— J'ai pris l'avion pour Roxbury pour voir mon père. Il est très malade, je crois que vous êtes au courant. Cancer. Il ne peut plus parler. J'ai trouvé cette enveloppe dans son bureau. Il l'avait gardée là, toutes ces années. Il ne me l'avait jamais montrée.

— Pourquoi êtes-vous là ? » murmurai-je.

Il y avait de la souffrance dans son regard, de la souffrance et de la peur.

« Parce que je veux que vous me disiez ce qui s'est passé. Ce qui est arrivé à ma mère lorsqu'elle était enfant. Je dois tout savoir. Vous êtes la seule à pouvoir m'aider. »

Je regardai la clef. Puis le dessin. Un portrait maladroit d'un petit garçon avec des cheveux blonds et bouclés, qui semblait être assis dans un placard, avec un livre sur les genoux et un nounours à ses côtés. Au dos, une légende : « Michel, 26, rue de Saintonge. » Je feuilletai le carnet. Aucune date. Des phrases courtes écrites sous forme de poèmes, en français, difficiles à déchiffrer. Quelques mots me sautèrent au visage : le camp, la clef, ne jamais oublier, mourir.

« L'avez-vous lu ? demandai-je.

— J'ai essayé. Mais je ne parle pas très bien français. Je ne comprends que des bribes. »

Dans ma poche, le téléphone sonna. Cela nous fît sursauter. C'était Édouard.

« Où êtes-vous, Julia ? dit-il d'une voix douce. Elle est très mal. Elle veut vous voir.

— J'arrive », répondis-je.

William Rainsferd m'interrogea du regard.

« Vous devez partir ?

— Oui, une urgence familiale. La grand-mère de mon mari. Elle a eu une attaque.

— Je suis désolé. »

Il hésita, puis posa la main sur mon épaule.

« Quand puis-je vous voir pour que nous parlions ? »