38090.fb2 Elle sappelait Sarah - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 77

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William Rainsferd et moi restâmes seuls dans le hall de la maison de retraite. Dehors, dans la rue de Courcelles, il pleuvait toujours.

« Vous voulez prendre un café ? » dit-il.

Il avait un beau sourire.

Nous marchâmes dans le crachin jusqu'au café le plus proche. Nous commandâmes deux expressos. Pendant un moment, nous restâmes assis sans rien nous dire.

Puis il me demanda :

« Êtes-vous proche de cette vieille dame ?

— Oui, dis-je. Très proche.

— Je vois que vous attendez un enfant. »

Je tapotai mon ventre rebondi.

« L'accouchement est prévu en février. »

Enfin, il me dit lentement :

« Racontez-moi l'histoire de ma mère.

— Cela ne va pas être facile.

— Oui, mais j'ai besoin de l'entendre. S'il vous plaît, Julia. »

Je commençai dans un murmure, lentement, ne le regardant qu'à de rares occasions. En déroulant l'histoire de Sarah, je pensais à Édouard. Il devait faire la même chose que moi, assis dans son élégant salon vieux rose de la rue de l'Université, raconter la même histoire à sa femme et à ses filles, à son fils. La rafle. Le Vél d'Hiv. Le camp. La fuite. Le retour de la petite fille. L'enfant mort dans le placard. Deux familles liées par la mort et un secret. Deux familles liées par le chagrin. Une partie de moi désirait que cet homme connaisse la vérité. Une autre voulait le protéger, le mettre à l'abri d'une réalité émoussée par le temps. Lui éviter l'image atroce d'une petite fille dans la souffrance. Sa douleur, ce qu'elle avait perdu. Qui deviendrait sa douleur à lui, un intense sentiment de perte. Plus je parlais, plus je lui donnais des détails, plus je répondais à ses questions, plus je sentais que mes mots le transperçaient comme des épées.

Quand j'eus terminé, je levai les yeux vers lui. Son visage, ses lèvres, avaient pâli. Il sortit le carnet de son enveloppe et me le tendit sans dire un mot. La petite clef de cuivre était posée sur la table entre nous deux.

Je tenais le carnet entre les mains. D'un regard, il m'incita à l'ouvrir.

Je lus silencieusement la première phrase. Puis je continuai à voix haute, en traduisant directement le français dans notre langue maternelle. Je n'allais pas très vite. L'écriture, fine et penchée, était difficile à lire.

Où es-tu, mon petit Michel ? Mon beau Michel.

Où es-tu maintenant ?

Te souviens-tu de moi ?

Moi, Sarah, ta sœur.

Celle qui n'est jamais revenue. Celle qui t'a abandonné dans ce placard.

Celle qui croyait que tu étais à l'abri.

Michel.

Les années ont passé et j'ai toujours la clef. La clef de notre cachette.

Je l'ai gardée, jour après jour. Et jour après jour, je l'ai caressée en me souvenant de toi. Elle ne m'a pas quittée depuis ce 16 juillet 1942. Personne ne le sait. Personne ne sait pour la clef, pour toi.

Toi, dans le placard. Et Maman. Et Papa. Et le camp. Et l'été 1942.

Personne ne sait qui je suis vraiment.

Michel.

Pas un jour ne passe sans que je pense à toi. Sans que je me souvienne du 26, rue de Saintonge. Je porte le poids de ta mort comme je porterais un enfant.

Je le porterai jusqu'à ma mort.

Parfois, je voudrais m'en aller.

Le poids de ta mort m'est trop insupportable.

Comme l'est celui de la mort de Maman et de

Papa.

Je revois les wagons de bestiaux les emportant vers la mort.

J'entends le train. Je l'entends depuis trente ans. Je ne supporte plus le poids de mon passé. Pourtant, je ne me résous pas à me débarrasser de la clef de ton placard.

C'est la seule chose concrète qui me lie à toi, avec ta tombe.

Michel.

Comment prétendre être ce que je ne suis pas ? Comment leur faire croire que je suis une autre femme ?

Non, je ne peux oublier. Le vélodrome. Le camp. Le train.

Jules et Geneviève. Alain et Henriette. Nicolas et Gaspard.

Mon enfant n'efface rien. Je l'aime. Il est mon fils.

Mon époux ignore qui je suis vraiment.

Quelle est mon histoire.

Mais je ne peux pas oublier.

Venir dans ce pays était une erreur.

Je pensais que tout serait différent, que je pourrais être différente. Je pensais tout laisser en arrière.

Ce n'est pas le cas.

On les a emmenés à Auschwitz. On les a tués. Mon frère ? Mort dans un placard. Il ne me reste rien.

Je pensais qu'il me resterait quelque chose. J'avais tort.

Un enfant et un époux ne sont pas assez.

Ils ne savent rien.

Ils ne savent pas qui je suis.

Ils ne sauront jamais.

Michel.

Dans mes rêves, tu viens me chercher. Tu me prends par la main et tu m'emportes. Cette vie est trop dure à supporter.

Je regarde la clef et je voudrais remonter le temps et que tu sois là.

Je voudrais que reviennent ces jours d'innocence et d'insouciance d'avant la guerre.

Je sais que mes blessures ne se refermeront jamais.

J'espère que mon fils me pardonnera.

Il ne saura jamais.

Personne ne saura jamais.

Zakhor, Al Tichkah. Souviens-toi. N'oublie jamais.