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- Tu veux que mon Léopold, il te fasse le succès
garanti et l'attraction de clientèle aussi ?
- Non. Je voudrais que tu poses pour moi...
— Que je pose quoi ?
- Ben, toi ! Que tu me serves de modèle...
— Moi?
— Oui.
— Tu te moques ou quoi dis donc ?
— Depuis le premier jour où je t'ai vue, à l'époque on travaillait à Neuilly, je me souviens... J'ai envie de faire ton portrait...
— Arrête Camille ! Je ne suis même pas belle, moi !
— Pour moi si.
Silence.
— Pour toi si ?
— Pour moi si...
— Qu'est-ce qui est beau là-deudans ? demanda-t-elle en avisant du doigt son reflet dans la vitre noire. Hein ? Où c'est ce que tu dis ?
— Si j'arrive à faire ton portrait, si je le réussis, on verra dedans tout ce que tu m'as raconté depuis qu'on se connaît... Tout... On verra ta mère et ton père. Et tes enfants. Et la mer. Et... comment elle s'appelait déjà ?
— De qui ?
— Ta petite chèvre ?
— Bouli...
— On verra Bouli. Et ta cousine qui est morte et... Et tout le reste...
- Tu parles comme mon frère, toi ! Tu jacasses des drôles deu fantaisies dis donc !
Silence.
- Mais... je ne suis pas sûre de le réussir...
- Ah bon ? Note que si on voit pas ma Bouli sur ma tête ça m'arrange aussi ! rigola-t-elle. Mais... Ce que tu me demandes, là, c'est long, non ?
- Oui.
- Alors je peux pas...
- Tu as mon numéro... Dépose un jour ou deux chez Touclean et viens me voir. Je te payerai tes heures... On paye toujours ses modèles... C'est un métier, tu sais... Bon, je te quitte, là. On... on s'embrasse pas?
L'autre l'étouffa sur son cœur.
— Comment tu t'appelles Mamadou ?
— Je te le dirai pas. Je l'aime pas mon nom...
Camille courut le long du quai en mimant un téléphone contre son oreille. Son ancienne collègue fit un geste las de la main. Oublie-moi, petite toubab, oublie-moi. Tu m'as déjà oubliée d'ailleurs...
Les premiers jours, Paulette ne quitta pas sa chambre. Elle avait peur de déranger, elle avait peur de se perdre, elle avait peur de tomber (ils avaient oublié son déambulateur) et surtout, elle avait peur de regretter son coup de tête.
Souvent, elle s'emmêlait les pinceaux, affirmait qu'elle passait de très bonnes vacances et leur demandait quand ils avaient l'intention de la ramener chez elle...
— C'est où chez toi ? s'agaçait Franck.
— Voyons tu sais bien... à la maison... chez moi...
Il quittait la pièce en soupirant :
— Je vous l'avais dit que c'était une connerie... En plus, elle perd la boule maintenant...
Camille regardait Philibert et Philibert regardait ailleurs.
— Paulette ?
- Ah, c'est toi, mon petit... Tu... comment tu t'appelles déjà ?
- Camille...
- C'est ça ! Qu'est-ce que tu veux, ma petite fille ?
Camille s'adressa à elle sans détour et lui parla assez durement. Lui rappela d'où elle venait, pourquoi elle était avec eux, ce qu'ils avaient et allaient encore changer dans leurs modes de vie pour lui tenir compagnie. Elle ajouta mille autres détails cinglants qui laissèrent la vieille dame totalement démunie :
— Je ne retournerai jamais chez moi, alors ?
— Non.
— Ah?
— Venez avec moi, Paulette...
Camille la prit par la main et recommença la visite. Plus lentement cette fois. Elle enfonça quelques clous au passage :
— Ici, ce sont les toilettes... Vous voyez, Franck est en train d'installer des poignées sur le mur pour que vous puissiez vous tenir...