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je voudrais pas de scandale dans l'immeuble, vous comprenez ?
— C'est Camille, tu m'ouvres ?
Aboiements et confusions.
— Tu m'ouvres ou je demande qu'on défonce la porte ?
— Nan, là je peux pas... fit une voix rauque. Je suis trop mal... Reviens plus tard...
— Plus tard quand ?
— Ce soir.
— T'as besoin de rien ?
— Nan. Laisse-moi.
Camille revint sur ses pas :
— Tu veux que je te sorte ton chien ?
Pas de réponse.
Elle descendit les escaliers lentement.
Elle était dans la merde.
Elle n'aurait jamais dû le faire venir ici... être généreuse avec le bien d'autrui, c'était facile... Ah, c'est sur. elle l'avait sa belle auréole aujourd'hui ! Un camé au septième, une mémé dans son lit, tout ce petit monde sous sa responsabilité et elle qui était toujours obligeé de se tenir à la rampe pour ne pas se casser la gueule. Super comme tableau... Clap, clap. Quelle gloire, vraiment. T'es contente de toi, là ? Elles te gênent pas tes ailes quand tu marches ?
Oh, vos gueules... C'est sûr quand on ne fait rien, hein?
Nan, mais on te dit ça euh... le prends pas mal, mais v en a d'autres des clodos dans la rue... Y en a un juste devant la boulangerie, tiens... Pourquoi tu le ramasses pas lui ? Parce qu'il a pas de chien ? Merde, s'il avait su...
Tu me fatigues... répondit Camille à Camille. Tu me fatigues énormément...
Allez, on va lui dire... Mais pas un gros, hein ? Un petit. Un petit bichon frisé qui tremble de froid. Ah ouais, ça serait bien ça... Ou un chiot, alors ? Un chiot recroquevillé dans son blouson... Alors là, tu craques direct. En plus, il en reste plein, des chambres, chez Philibert...
Accablée, Camille s'assit sur une marche et posa sa tête sur ses genoux.
Récapitulons.
Elle avait pas vu sa mère depuis presque un mois. Il fallait qu'elle se bouge sinon l'autre allait encore lui faire une crise de foie chimique avec Samu et sonde gastrique à la clef. Elle avait l'habitude depuis le temps, mais bon, ce n'était jamais une partie de plaisir... Après elle mettait du temps à s'en remettre... Ttt tt... Encore trop sensible cette petite...
Paulette assurait parfaitement entre 1930 et 1990 mais perdait pied entre hier et aujourd'hui et ça n'allait pas en s'arrangeant. Trop de bonheur, peut-être? C'était comme si elle se laissait aller tranquillement vers le fond... En plus, elle n'y voyait vraiment que dalle... Bon. Jusque-là ça allait... Là, elle était en train de faire la sieste et tout à l'heure Philou viendrait regarder Questions pour un champion avec elle en donnant toutes les réponses sans se tromper. Ils adoraient ça tous les deux. Parfait.
Philibert, parlons-en, c'était Louis Jouvet et Sacha Guitry dans le même frac. Il écrivait maintenant, il s'enfermait pour écrire et répétait deux soirs par semaine. Pas de nouvelles sur le front des amours? Bon. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles.
Franck... Rien de spécial. Rien de nouveau. Tout allait bien. Sa même était au chaud et sa moto aussi. Il ne revenait que l'après-midi pour dormir et continuait de travailler le dimanche. « Encore un peu, tu comprends ? Je peux pas les planter comme ça... Faut que je me trouve un remplaçant... »
Ben voyons... Un remplaçant ou une moto encore plus grosse ? Très malin, le garçon. Très malin... Pourquoi il se gênerait d'ailleurs ? Où était le problème ? Il n'avait rien demandé, lui. Et, passé les premiers jours d'euphorie, il était retombé le nez dans sa marmite. La nuit, il devait appuyer sur la tête de sa copine pendant qu'elle se relevait pour éteindre la télé de la vieille. Mais... pas de problème. Pas de problème... Elle préférerait encore ça, les documentaires sur la vessie natatoire des grondins et le dernier pissou de la tisanière à son boulot chez Touclean. Bien sûr, elle aurait pu ne pas travailler du tout, mais elle n'était pas assez forte pour assumer ça... La société l'avait bien dressée... Était-ce parce qu'elle manquait de confiance en elle ou était-ce le contraire, justement ? La peur de se retrouver dans une situation où elle pouvait gagner sa vie en la piétinant ? Il lui restait quelques contacts... Mais quoi? Se cracher dessus encore une fois ? Refermer ses carnets et reprendre une loupe ? Elle n'en avait plus le courage. Elle n'était pas devenue meilleure, elle avait vieilli. Ouf.
Non, le problème, il était trois étages plus haut... Pourquoi il avait refusé de lui ouvrir d'abord ? Parce qu'il était en transe ou parce qu'il était en manque?
Est-ce que c'était vrai cette histoire de cure? A d'autres... Du pipeau pour charmer les petites bourges et leurs concierges, oui ! Pourquoi il ne sortait que la nuit ? Pour aller se faire mettre avant de s'en coller une sous le garrot? Tous les mêmes... Des menteurs qui vous jetaient de la poudre aux yeux et festoyaient à genoux pendant que vous vous mordiez les poings jusqu'au sang, ces salauds...
Quand elle avait eu Pierre au téléphone il y a quinze jours, elle avait recommencé ses conneries : elle s'était remise à mentir, elle aussi.
« Camille. Kessler à l'appareil. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Qui c'est ce type qui vit chez moi ? Rappelle-moi immédiatement. »
Merci la grosse Perreira, merci.
Notre-Dame de Fatima, priez pour nous.
Elle avait pris les devants :
— C'est un modèle, avait-elle annoncé avant même de le saluer, on travaille ensemble...
Coupée, la chique.
— C'est un modèle ?
- Oui.
— Tu vis avec lui ?
— Non. Je viens de vous le dire : je travaille.
— Camille... Je... J'ai tellement envie de te faire confiance aujourd'hui... Est-ce que je peux ?
—
— C'est pour qui ?
— Pour vous.
— Ah?
— ...
- Tu... tu...
- Je ne sais pas encore. Sanguine, j'imagine...
- Bon...
- Ben salut...