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— Oui ?
- Qu'est-ce que t'as comme papier ?
- Du bon.
— T'es sûre ?
— C'est Daniel qui m'a servie...
— Très bien. Et sinon, ça va, toi ?
— Je m'adresse au marchand, là. Pour les risettes je vous rappellerai sur l'autre ligne.
Clic.
Elle secoua sa boîte d'allumettes en soupirant. Elle n'avait plus le choix.
Ce soir, après avoir bordé une petite vieille qui n'aurait pas sommeil de toute façon, elle remonterait ces marches et viendrait lui parler.
La dernière fois qu'elle avait essayé de retenir un toxico à la tombée de la nuit, elle s'était mangé un coup de couteau dans l'épaule... OK. C'était différent. C'était son mec, elle l'aimait et tout, mais quand même... Ça lui avait fait mal, cette petite faveur...
Merde. Plus d'allumettes. Oh misère... Notre-Dame-de Fatima et Hans Christian Andersen, restez là, bordel. Restez encore un peu.
Et comme dans l'histoire, elle se releva, tira sur les jambes de son pantalon et alla rejoindre sa grand-mère au paradis...
— C'est quoi ?
— Oh... dodelina Philibert, presque rien en vérité...
— Un drame antique ?
— Nooon...
— Un vaudeville ?
Il attrapa son dictionnaire :
— varice... vasouillard... vau... vaudeville... Comédie légère, fondée sur les rebondissements de l'intrigue, les quiproquos et les bons mots... Oui. C'est exactement ça, fit-il en le refermant d'un coup sec. Une comédie légère avec des bons mots.
— Ça parle de quoi ?
— De moi.
- De toi ? s'étrangla Camille, mais je croyais que c'était tabou chez vous de parler de soi ?
- Ma foi, je prends du recul, ajouta-t-il en prenant la pause.
- Et... euh... Et la barbichette, là... C'est ... C'est pour le rôle?
- Tu n'aimes pas ?
- Si, si... c'est... c'est dandy... On dirait un peu Les Brigades du Tigre, non ?
- Les quoi ?
- C'est vrai que tu découvres la télévision avec Julien Lepers, toi... Dis donc euh... Il faut que je monte là... Je vais voir mon locataire du septième... Je peux te confier Paulette ?
Il hocha la tête en lissant ses petites moustaches:
— Va, cours, vole et monte vers ton destin, mon enfant...
— Philou ?
— Oui?
— Si je suis pas redescendue dans une heure, tu pourras venir voir ?
La chambre était impeccablement rangée. Le lit était fait et il avait posé deux tasses et un paquet de sucre sur la table de camping. Il était assis sur une chaise, dos au mur et referma son livre quand elle gratta à la porte.
Il se leva. Ils étaient aussi embarrassés l'un que l'autre. C'était la première fois qu'ils se voyaient finalement... Un ange passa.
— Tu... Tu veux boire quelque chose ?
— Volontiers...
- Thé ? Café ? Coca ?
— Café, c'est parfait.
Camille prit place sur le tabouret et se demanda comment elle avait fait pour vivre ici pendant si longtemps. C'était si humide, si sombre, tellement... inexorable. Le plafond était si bas et les murs si sales... Non, ce n'était pas possible... Ce devait être une autre, alors ?
Il s'activait devant les plaques électriques et lui indiqua le pot de Nescafé. Barbès dormait sur le lit en ouvrant un œil de temps en temps.
Il finit par tirer la chaise et s'assit en face d'elle:
— Je suis content de te voir... Tu aurais pu venir plus tôt...
— Je n'osais pas.
— Ah?
— Tu regrettes de m'avoir amené ici, n'est-ce pas?
— Non.
— Si. Tu regrettes. Mais ne t'en fais pas... J'attends un feu vert et je partirai... C'est une question de jours maintenant.