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— Viens mon Philou, viens. Viens me parler de ton amoureuse que je t'explique où est le moulinet...
Philibert fit les gros yeux à Camille.
— Hé ! J'ai rien dit, moi ! se défendit-elle.
— Mais non, c'est pas elle. C'est mon petit doigt...
Le grand Croquignol avec son nœud pap' et son monocle et le petit Filochard avec son bandeau de pirate s'éloignèrent bras dessus, bras dessous...
— Alors, dis-moi mon gars, dis à tonton Franck ce que t'as comme appât... Très important l'appât, tu sais ? Parce que c'est pas con ces bêtes-là... Oooh, nooon... C'est pas con du tout...
Quand Paulette se réveilla, elles firent le tour du hameau en voiture à bras puis Camille la força à prendre un bain pour la réchauffer.
Elle se mordait les joues.
Tout cela n'était pas très raisonnable...
Passons.
Philibert fit du feu et Franck prépara le dîner.
Paulette se coucha tôt et Camille les dessina en train de jouer aux échecs.
- Camille ?
- Mmm...
- Pourquoi tu dessines tout le temps ?
- Parce que je sais rien faire d'autre...
— Et là ? Tu fais qui ?
— Le Fou et le Cavalier.
Il fut décidé que les garçons dormiraient dans le canapé et Camille dans le petit lit de Franck.
— Euh... rétorqua Philibert, ne vaudrait-il pas mieux que Camille, hum, prenne le grand lit, hum...
Ils le regardèrent en souriant.
— Je suis myope certes, mais pas à ce point tout de même...
— Non, non, répliqua Franck, elle va dans ma chambre... On fait comme tes cousins... Jamais avant le mariage...
C'est parce qu'il voulait dormir avec elle dans son lit d'enfant. Sous ses posters de foot et ses coupes de motocross. Ce ne serait pas très confortable ni très romantique mais c'était la preuve que la vie était une bonne fille malgré tout.
Il s'était tellement ennuyé dans cette chambre... Tellement ennuyé...
Si on lui avait dit qu'un jour il ramènerait une princesse ici et qu'il s'allongerait, là, à côté d'elle, dans ce petit lit en laiton où il y avait un trou autrefois, où il se perdait enfant et où il se frottait ensuite en rêvant à des créatures tellement moins jolies qu'elle... Il s'y aurait jamais cru... Lui, le boutonneux avec ses grands pieds et sa cassolette de bronze au-dessus de la tête... Non, ce n'était pas gagné d'avance, cette affaire...
Oui, la vie était une drôle de cuisinière... Des années en chambre froide et tac ! du jour au lendemain, sur le gril mon gars !
— À quoi tu penses ? demanda Camille
— À rien... Des conneries... Ça va, toi ?
— J'arrive pas à croire que t'aies grandi ici...
- Pourquoi ?
- Pff... C'est tellement paumé... C'est même pas un village— c'est... C'est rien... Que des petites maisons avec des petits vieux aux fenêtres... Et cette baraque, là... Où rien n'a changé depuis les années 50... J'avais jamais vu une cuisinière comme ça... Et le poêle qui prend toute la place ! Et les cabinets dans le jardin ! Comment un enfant peut-il s'épanouir ici ? Comment t'as fait ? Comment t'as fait pour t'en sortir ?
— Je te cherchais...
— Arrête... Pas de ça, on a dit...
— Tu as dit...
— Allez...
— Tu sais bien comment j'ai fait, t'as connu la même chose... Sauf que moi, j'avais la nature... J'ai eu cette chance... J'étais tout le temps dehors... Et Philou a beau dire ce qu'il veut, c'était un rossignol. Je le sais, c'est mon pépé qui me l'a dit et mon pépé c'était la pie qui chante... Il avait pas besoin d'appeaux, lui...
— Et comment tu fais pour vivre à Paris ?
— Je ne vis pas...
— Il n'y a pas de travail par ici ?
— Non. Rien d'intéressant. Mais si j'ai des gosses un jour, je te jure que je les laisserai pas pousser au milieu des voitures, ça non... Un enfant qu'a pas une paire de bottes, une canne à pêche et un lance-pierre, c'est pas un vrai. Pourquoi tu souris ?
—Rien. Je te trouve mignon.
- J'aimerais mieux que tu me trouves autre chose...
- T'es jamais content.
- T'en voudras combien ?
- Pardon ?
- Des gamins ?
- Hé... râla-t-elle. Tu le fais exprès ou quoi ?
- Attends, mais je te dis ça, c'est pas forcément avec moi!