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— Mes té... moinsdemariage ?
La voiture pila et Paulette se mangea l'appuie-tête.
Il ne voulut pas leur en dire davantage.
— Je vous préviendrai quand j'en saurai plus...
— Hein ? Mais euh... Rassure-nous... T'as une copine au moins ?
— Une copine, s'indigna-t-il, jamais de la vie ! Une copine... Quel vilain mot... Une fiancée, mon cher...
— Mais euh... Elle le sait, elle ?
— Pardon ?
— Que vous êtes fiancés ?
— Pas encore... avoua-t-il en piquant du nez.
Franck soupira :
— Je vois le travail... Du pur concentré de Philou, ça... Bon, ben... T'attends pas la veille pour nous inviter, hein ? Que j'aie le temps de m'acheter un beau costard quand même...
— Et moi une robe ! ajouta Camille.
— Et moi un chapeau... répliqua Paulette.
Les Kessler vinrent dîner un soir. Ils firent le tour de l'appartement en silence. Deux vieux bobos sur le cul... Un spectacle très jouissif en vérité.
Franck n'était pas là et Philibert fut exquis.
Camille leur montra son atelier. Paulette s'y trouvait dans toutes les positions, toutes les techniques et tous les formats. Un temple à sa gaieté, à sa douceur et aux remords et aux souvenirs qui lui fissuraient le visage quelquefois...
Mathilde était troublée et Pierre confiant :
— C'est bien ça ! C'est très bien ! Avec la canicule de l'été dernier, le vieux est devenu très tendance, tu sais ? Ça va marcher... J'en suis sûr.
Camille était accablée.
A-cca-blée.
— Laisse... ajouta sa femme, c'est de la provocation... Il est ému ce petit bonhomme...
— Oh ! Et ça ! C'est sublime ça !
— Ce n'est pas fini...
— Tu me le gardes hein ? Tu me le réserves ?
Camille acquiesça.
Mais non. Elle ne lui donnerait jamais parce que ce ne serait jamais fini et ce ne serait jamais fini parce que son modèle ne reviendrait jamais... Elle le savait...
Tant pis.
Tant mieux.
Cette esquisse ne la quitterait donc plus... Elle n'était pas finie.... Elle resterait en suspens.... Comme leur impossible amitié.... Comme tout ce qui les séparait ici-bas...
C'était un samedi matin, il y a quelques semaines... Camille travaillait. Elle n'avait même pas entendu le carillon de la sonnette quand Philibert toqua à sa porte :
— Camille ?
— Oui?
— La... La Reine de Saba est ici... Dans mon salon...
Mamadou était magnifique. Elle avait mis son plus beau boubou et tous ses bijoux. Ses cheveux étaient épilés jusqu'aux deux tiers de son crâne et elle portait un petit fichu assorti à son pagne.
— Je te l'avais dit que je viendrais mais il faut teu dépêcher parce que je vais à un mariage dans ma famille à quatre heures... C'est là que tu habites alors ? C'est là que tu travailles ?
— Je suis tellement contente de te revoir !
— Allez... Perds pas deu temps, je te dis...
Camille l'installa bien confortablement.
— Voilà. Tiens-toi droite.
— Mais je me tiens toujours droite d'abord !
Au bout de quelques croquis, elle posa son crayon sur son bloc :
- Je ne peux pas te dessiner si je ne sais pas comment tu t'appelles...
L'autre leva la tête et soutint son regard avec un dédain magnifique :
- Je m'appelle Marie-Anastasie Bamundela M'Bayé.
Marie-Anastasie Bamundela M'Bayé ne reviendrait jamais dans ce quartier habillée en reine de Diouloulou, le village de son enfance, Camille en avait la certitude. Son portrait ne serait jamais fini et il ne serait jamais pour Pierre Kessler qui était bien incapable de deviner la petite Bouli dans les bras de cette « belle négresse »...
À part ces deux visites, à part une sauterie où ils se rendirent tous les trois pour fêter les trente ans d'un collègue de Franck et où Camille se déchaîna en hurlant j'ai plus d'appé-tiiiiit qu'un barra-couda, ba ra cou daaaa, il ne se passa rien d'extraordinaire.
Les journées s'allongeaient, le Sunrise se culottait, Philibert répétait, Camille travaillait et Franck perdait chaque jour un peu plus confiance en lui. Elle l'aimait bien mais ne l'aimait pas, elle s'offrait mais ne se donnait pas, elle essayait pourtant mais n'y croyait pas.
Un soir, il découcha. Pour voir.