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— Je peux vous payer vos heures, vous savez...
— Ne recommence pas avec tes grossièretés, petit bezot, je veux bien t'aider, mais c'est toi qui dois lui annoncer. C'est à toi de lui expliquer la situation...
— Vous viendrez avec moi ?
— Je veux bien, si ça t'arrange, mais tu sais, moi, elle sait parfaitement ce que j'en pense... Depuis le temps que je lui monte le bourrichon...
— Il faut lui trouver quelque chose de classe, hein ? Avec une belle chambre et un grand parc surtout...
— C'est très cher, ça, tu sais...
— Cher comment ?
— Plus d'un million par mois...
— Euh... Attendez, Yvonne, vous parlez en quoi, là ? C'est les euros maintenant...
— Oh, les euros... Moi, je te parle comme j'ai l'habitude de parler et pour une bonne maison, il faut compter plus d'un million ancien par mois...
— Franck ?
— C'est... C'est ce que je gagne...
— Tu dois aller à la CAF pour demander une allocation logement, voir ce que représente la retraite de ton grand-père, et puis monter un dossier APA auprès du Conseil général...
— C'est quoi l'apa ?
— C'est une aide pour les personnes dépendantes ou handicapées.
— Mais... Elle est pas vraiment handicapée, si ?
— Non, mais il faudra qu'elle joue le jeu quand ils lui enverront un expert. Faudra pas qu'elle ait l'air trop vaillante, sinon vous toucherez pas grand-chose...
— Oh, putain, quel bordel... Pardon.
— Je me bouche les oreilles.
— J'aurai jamais le temps de remplir tous ces papiers... Vous voulez bien débroussailler un peu le terrain pour moi ?
— Ne t'inquiète pas, je vais lancer le sujet au Club vendredi prochain, et je suis sûre de faire un tabac !
— Je vous remercie, madame Carminot...
— Penses-tu... C'est bien le moins, va...
— Bon, ben, je vais aller bosser, moi...
— Y paraît que tu cuisines comme un chef maintenant ?
— Qui c'est qui vous a dit ça ?
— Madame Mandel...
— Ah...
— Oh, là là, si tu savais... Elle en parle encore ! Tu leur avais fait un lièvre à la royale, ce soir-là...
— Je me rappelle plus.
— Elle, elle s'en souvient, tu peux me croire ! Dis-moi, Franck ?
— Oui?
— Je sais bien que ce ne sont pas mes affaires, mais... Ta mère ?
— Ma mère, quoi ?
— Je ne sais pas, mais je me disais qu'il faudrait peut-être la contacter, elle aussi... Elle pourrait peut-être t'aider à payer...
— Là, c'est vous qui êtes grossière Yvonne, c'est pas faute de l'avoir connue, pourtant...
— Tu sais, les gens changent quelquefois...
— Pas elle.
— Non. Pas elle... Bon, j'y vais, je suis à la bourre...
— Au revoir, mon petit.
— Euh?
— Oui?
— Essayez de trouver un peu moins cher quand même...
— Je vais voir, je te dirai...
— Merci.
Il faisait si froid ce jour-là que Franck fut content de retrouver la chaleur de la cuisine et son poste de galérien. Le chef était de bonne humeur. On avait encore refusé du monde et il venait d'apprendre qu'il aurait une bonne critique dans un magazine de bourges.
— Avec ce temps, mes enfants, on va en dépoter du foie gras et des grands crus ce soir ! Ah, c'est fini les salades, les chiffonnades et toutes ces conneries ! C'est bien fini ! Je veux du beau, je veux du bon et je veux que les clients ressortent d'ici avec dix degrés de plus ! Allez ! Mettez-moi le feu, mes petits gars !
Camille eut du mal à descendre les escaliers. Elle était percluse de courbatures et souffrait d'une migraine épouvantable. Comme si quelqu'un lui avait enfoncé un couteau dans l'œil droit et s'amusait à tourner délicatement la lame au moindre de ses mouvements. Arrivée dans le hall, elle se tint au mur pour retrouver l'équilibre. Elle grelottait, elle étouffait. Elle songea un moment à retourner se coucher mais l'idée de remonter ses sept étages lui parut moins surmontable encore que celle d'aller travailler. Au moins, dans le métro, elle pourrait s'asseoir...
Au moment où elle franchissait le porche, elle buta contre un ours. C'était son voisin vêtu d'une longue pelisse.