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— Oui.
— Moi aussi. Allez viens. Je te paye un chocolat en bas...
Alors qu'ils étaient déjà dans la cour, Franck sortit sa dernière cartouche :
— En plus, on sait même pas qui c'est... On sait même pas d'où elle sort, cette fille-là...
— Je vais te montrer d'où elle sort... Suis-moi.
— Ttt... Compte pas sur moi pour me taper les sept étages à pied...
— Si. Je compte sur toi justement. Suis-moi. Depuis qu'ils se connaissaient, c'était la première fois que Philibert lui demandait quelque chose. Il maugréa tant qu'il put et le suivit dans l'escalier de service.
— Putain, mais qu'est-ce qu'y caille là-dedans !
— Ce n'est rien... Attends d'être sous les toits...
Philibert défit le cadenas et poussa la porte. Franck resta silencieux quelques secondes.
— C'est là qu'elle crèche ?
— Oui.
— T'en es sûr ?
— Viens, je vais te montrer autre chose...
Il le mena au fond du couloir, donna un coup de pied dans une autre porte déglinguée et ajouta :
— Sa salle de bains... En bas, les W-C et au-dessus, la douche... Avoue que c'est ingénieux...
Ils descendirent les escaliers en silence.
Franck ne recouvra la parole qu'après son troisième café :
— Bon, juste une chose alors... Tu lui expliqueras bien pour moi, comment c'est important que je dorme l'après-midi et tout ça...
— Oui, je lui dirai. On lui dira tous les deux. Mais à mon avis, cela ne devrait pas poser de problème parce qu'elle dormira aussi...
— Pourquoi ?
— Elle travaille la nuit.
— Qu'est-ce qu'elle fait ?
— Des ménages.
— Pardon ?
— Elle est femme de ménage...
— T'es sûr ?
— Pourquoi me mentirait-elle ?
— J'sais pas, moi... Ça se trouve, elle est call-girl...
— Elle aurait plus de... De rondeurs, non ?
— Ouais, t'as raison... Hé, t'es pas con, toi ! ajouta-t-il en lui donnant une grande claque dans le dos.
— A... attention, tu... tu m'as fait lâcher mon croissant, i... idiot... Regarde, on dirait une vieille mé... méduse maintenant...
Franck s'en fichait, il lisait les titres du Parisien posé sur le comptoir.
Ils s'ébrouèrent ensemble.
— Dis-moi ?
— Quoi ?
— Elle a pas de famille, cette nana ?
— Tu vois, ça, répondit Philibert en nouant son écharpe, c'est une question que je me suis toujours refusé à te poser...
L'autre leva les yeux pour lui sourire.
En arrivant devant ses fourneaux, il demanda à son commis de lui mettre du bouillon de côté.
— Hé?
— Quoi ?
— Du bon, hein ?
Camille avait décidé de ne plus prendre le demi-comprimé de Lexpmil que le médecin lui avait prescrit chaque soir. D'une part, elle ne supportait plus cette espèce d'état semi-comateux dans lequel elle vasouillait, d'autre part, elle ne voulait pas prendre le risque de la moindre accoutumance. Pendant toute son enfance, elle avait vu sa mère hystérique à l'idée de dormir sans ses cachets et ces crises l'avaient durablement traumatisée.
Elle venait de sortir d'une énième sieste, n'avait pas la moindre idée de l'heure qu'il était mais décida de se lever, de se secouer, de s'habiller enfin pour monter chez elle et voir si elle était prête à reprendre le cours de sa petite vie dans l'état où elle l'avait laissée en partant.
En traversant la cuisine pour rejoindre l'escalier des bonnes, elle vit un mot glissé sous une bouteille remplie d'un liquide jaunâtre.
A réchauffé dans une casserole, surtout ne le faites pas bouillir. Ajouté les pâtes quand ça frémi et laissé cuire 4 minutes en remuant doucement.
Ce n'était pas l'écriture de Philibert...
Son cadenas avait été arraché et le peu qu'elle possédait sur cette terre, ses dernières attaches, son minuscule royaume, tout avait été dévasté.