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Elle descendit les marches du camion en tâtant sa veste à la recherche d'une cigarette. La grosse Mamadou et Carine étaient assises sur un banc à commenter les passants et à râler parce qu'elles voulaient rentrer chez elles.
— Alors ? a rigolé Mamadou, qu'est-ce que tu trafiquais là-deu-dans ? J'ai mon RER, moi ! Il t'a maraboutée ou quoi ?
Camille s'est assise sur le sol et lui a souri. Pas le même genre. Un sourire transparent, cette fois. Sa Mamadou, elle ne faisait pas sa maligne avec elle, elle était bien trop forte...
— Il est sympa ? a demandé Carine en crachant une rognure d'ongle.
— Super.
— Ah, je le savais bien ! exulta Mamadou, je m'en doutais bien de ça ! Hein que je te l'ai dit à toi et à Sylvie, qu'elle était toute nue là-deu-dans !
— Il va te faire monter sur sa balance...
— Qui ? Moi ? a crié Mamadou. Moi ? Il croit que je vais monter sur sa balance !
Mamadou devait peser dans les cent kilos au bas mot, elle se frappait les cuisses :
— Jamais de la vie ! Si je grimpe là-deu-ssus, je l'écrabouille et lui avec ! Et quoi d'autre encore ?
— Il va te faire des piqûres, a lâché Carine.
— Des piqûres deu quoi d'abord ?
— Mais non, la rassura Camille, mais non, il va juste écouter ton cœur et tes poumons...
— Ça, ça va.
— Il va te toucher le ventre aussi...
— Mais voyons, se renfrognait-elle, mais voyons, bonjour chez lui. S'il touche à mon ventre, je le mange tout cru... C'est bon les petits docteurs blancs...
Elle forçait son accent et se frottait le boubou.
— Oh oui, c'est du bon miam-miam ça... C'est mes ancêtres qui me l'ont dit. Avec du manioc et des crêtes
de poule... Mmm...
— Et la Bredart, qu'est-ce qu'il va lui faire à elle ?
La Bredart, Josy de son prénom, était leur garce, leur vicieuse, leur chieuse de service et leur tête de Turc à toutes. Accessoirement c'était aussi leur chef. Leur « Chef principale de chantier » comme il était clairement indiqué sur son badge. La Bredart leur pourrissait l'existence, dans la limite de ses moyens disponibles certes, mais déjà, c'était relativement fatigant...
— À elle, rien. Quand il sentira son odeur, il lui demandera de se rhabiller illico.
Carine n'avait pas tort. Josy Bredart, en plus de toutes les qualités énumérées ci-dessus, transpirait beaucoup.
Puis ce fut le tour de Carine et Mamadou sortit de son cabas une liasse de papiers qu'elle posa sur les genoux de Camille. Celle-ci lui avait promis d'y jeter un œil et essayait de déchiffrer tout ce merdier :
— C'est quoi ça ?
— C'est la CAF !
— Non, mais tous ces noms, là ?
— Ben c'est ma famille dis donc !
— Ta quelle famille ?
— Ma quelle famille, ma quelle famille ? Ben, la mienne ! Réfléchis dans ta tête Camille !
— Tous ces noms, c'est ta famille ?
— Tous, opina-t-elle fièrement.
— Mais t'en as combien de gamins ?
— À moi j'en ai cinq et mon frère, il en a quatre...
— Mais pourquoi ils sont tous là ?
— Où, là ?
— Euh... Sur le papier.
— C'est plus commode parce que mon frère et ma belle-sœur habitent chez nous et comme on a la même boîte aux lettres alors...
— Non mais, ça va pas là... Ils disent que ça ne va pas... Que tu peux pas avoir neuf enfants...
— Et pourquoi je pourrais pas ? s'indigna-t-elle, ma mère, elle en a bien douze, elle !
— Attends, t'excite pas Mamadou, je te dis juste ce qu'il y a marqué. Ils te demandent d'éclaircir la situation et de venir te présenter avec ton livret de famille.
— Et pourquoi alors ?
— Ben je pense que c'est pas légal votre truc... Je ne crois pas que ton frère et toi, vous ayez le droit de réunir vos enfants sur la même déclaration...
— Oui, mais mon frère, il a rien, lui !
— Il travaille ?
— Bien sûr qu'il travaille ! Il fait les autoroutes !
— Et ta belle-sœur ?
Mamadou plissa du nez :
— Elle, elle fait rien, elle ! Rien de rien, je te dis. Elle bouge pas, cette méchante grognasse, elle remue jamais son gros cul !