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Elle cacha son sourire derrière les trous de son écharpe.
— Tu es bête...
— Non, je suis jaloux. T'en mets jamais du rouge à lèvres pour moi...
— C'est pas du rouge, c'est un truc pour les lèvres gercées...
— Menteuse. Montre...
— Non. Tu es toujours en vacances ?
— Je recommence demain soir...
— Ah?
— Elle va bien ta grand-mère ?
— Oui.
— Tu lui as donné mon cadeau ?
— Oui.
— Et alors ?
— Alors elle a dit que pour me dessiner aussi bien, c'est que tu devais être folle de moi...
— Ben voyons...
— On va boire quelque chose ?
— Non. Je suis restée enfermée toute la journée... Je vais m'asseoir là, à regarder les gens...
— Je peux mater avec toi ?
Ils se pelotonnèrent donc sur un banc entre un kiosque à journaux et un composteur et observèrent le Grand Carrousel des usagers affolés.
— Allez ! Cours mon gars ! Cours ! Hop... Trop taaard...
— Un euro ? Non. Une clope si tu veux...
— Est-ce que tu pourrais m'expliquer pourquoi c'est toujours les filles les plus mal foutues qui portent des pantalons taille basse ? Je comprends pas, là...
— Un euro ? Hé, mais tu m'as déjà tapé tout à l'heure, vieux !
— Avise la petite mamie avec sa coiffe bigoudène, t'as ton carnet, là ? Non ? C'est dommage... Et lui ? Regarde comme il a l'air content de retrouver sa femme...
— C'est louche, fit Camille, ça doit être sa maîtresse...
— Pourquoi tu dis ça ?
— Un homme qui déboule en ville avec son baise-en-ville et qui se précipite sur une femme en manteau de fourrure en l'embrassant dans le cou... Euh, crois-moi, c'est louche...
— Pff... C'est peut-être sa femme ?
— Meuh non ! Sa femme, elle est à Quimper et elle couche les mômes à l'heure qu'il est ! Tiens, en voilà un de couple, ricana-t-elle en lui indiquant deux beaufs qui s'engueulaient devant une borne à TGV...
Il secoua la tête :
— T'es nulle...
— T'es trop sentimental...
Deux petits vieux passèrent ensuite devant eux à deux à l'heure, voûtés, tendres, précautionneux et se tenant par le bras. Franck lui donna un coup de coude :
— Ah!
— Je m'incline...
— J'adore les gares.
— Moi aussi, répondit Camille.
— Pour connaître un pays, t'as pas besoin de faire le couillon dans un autocar, y suffit de visiter les gares et les marchés et t'as tout compris...
— Tout à fait d'accord avec toi... T'es allé où déjà?
— Nulle part...
— Tu n'as jamais quitté la France ?
— J'ai passé deux mois en Suède... Cuisinier à l'ambassade... Mais c'était pendant l'hiver et j'ai rien vu. Tu peux pas boire là-bas... Y a pas de bars, y a rien...
— Ben... et la gare ? Et les marchés ?
— J'ai pas vu le jour...
— C'était bien ? Pourquoi tu te marres ?
— Pour rien...
— Raconte-moi.
— Non.
— Pourquoi ?