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Ils se rejoignirent au fond :
— C'est quoi comme race ?
— On est obligé de faire la conversation aussi ?
— Non.
— J'ai remis un cadenas mais c'est symbolique... Tiens, prends la clef. La perds pas surtout, j'en ai qu'une...
Elle poussa la porte et ajouta calmement :
— Y a encore des réserves dans les cartons... Du riz, de la sauce tomate et des gâteaux secs, je crois... Là tu trouveras des couvertures... Ici le radiateur électrique... Ne le mets pas trop fort sinon il saute... Il y a un chiotte à la turque sur le palier. Normalement, t'es tout seul à l'utiliser... Je dis normalement parce que j'ai déjà entendu du bruit en face, mais je n'ai jamais vu personne... Euh... Quoi encore ? Ah si ! J'ai vécu avec un toxico autrefois donc je sais exactement comment ça va se passer. Je sais qu'un jour, demain peut-être, tu auras disparu et vidé tout ce qu'il y a ici. Je sais que tu vas essayer de tout fourguer pour te payer du bon temps. Le radiateur, les plaques, le matelas, le paquet de sucre, les serviettes, tout... Bon... Je le sais. La seule chose que je te demande, c'est d'être discret. C'est pas vraiment chez moi non plus, ici... Donc je te prie de ne pas me mettre dans la merde... Si t'es encore là demain, j'irai voir la gardienne pour t'éviter des embrouilles. Voilà.
— C'est qui qui a dessiné ça ? demanda-t-il en désignant le trompe-l'œil.
Une immense fenêtre ouverte sur la Seine avec une mouette perchée sur le balcon...
— Moi...
— T'as vécu là ?
— Oui.
Barbes inspecta les lieux avec défiance puis se roula en boule sur le matelas.
— J'y vais...
— Hé?
— Oui.
— Pourquoi ?
— Parce qu'il m'est arrivé exactement la même chose... J'étais dehors et quelqu'un m'a amenée ici...
— Je resterai pas longtemps...
— Je m'en fous. Ne dis rien. Vous ne dites jamais la vérité de toute façon...
— Je suis suivi à Marmottan...
— C'est ça... Allez... Fais de beaux rêves...
Trois jours plus tard, madame Perreira souleva ses sublimes voilages et l'interpella dans le hall :
— Dites, mademoiselle...
Merde, ça n'avait pas traîné. Fait chier... Ils lui avaient filé cinquante euros quand même...
— Bonjour.
— Oui bonjour, dites voir...
Elle grimaçait.
— C'est bien votre ami, l'autre goret ?
— Pardon ?
— Le motard, là ?
— Euh... Oui, répondit-elle soulagée. Il y a un problème ?
— Pas un ! Cinq ! Y commence à me chauffer ce garçon ! Ah ça, oui ! Y commence à me plaire ! Venez plutôt voir par là !
Elle la suivit dans la cour.
— Alors ?
— Je... Je ne vois pas...
— Les taches d'huile...
En effet, avec une bonne loupe on pouvait distinguer très nettement cinq petits points noirs sur les pavés...
— La mécanique c'est bien joli mais ça salit, alors vous lui direz de ma part que les journaux, c'est pas fait pour les chiens, compris ?
Ce problème réglé, elle se radoucit. Un petit commentaire sur le temps : « C'est très bien. Ça nous débarrasse de la vermine. » Sur le brillant des poignées en laiton : « Ça c'est sûr que pour les ravoir... Faut y aller hein ? » Sur les roues des poussettes pleines de crottes de chien. Sur la dame du cinquième qui venait de perdre son mari, la pauvre. Et elle était tout à fait calmée.
— Madame Perreira...
— C'est moi.
— Je ne sais pas si vous l'avez vu, mais j'héberge un ami au septième...
— Oh ! Je me mêle pas de vos affaires, moi ! Ça va, ça vient... Je dis pas que je comprends tout, mais enfin...
— Je vous parle de celui qui a un chien...
— Vincent ?
— Euh...
— Si, Vincent ! Le sidatique avec son petit griffon ?
Camille ne savait plus quoi dire.