38114.fb2 Ensemble, c’est tout - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 90

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Il n'eut pas le courage de finir.

La vieille dame était assise sur son lit et regardait fixement la porte. Elle avait mis son manteau, ses souliers, son foulard et même son petit bibi noir. Une valise mal fermée était posée à ses pieds.

« Ça me fend le cœur... » Encore une expression impeccable songea Camille qui sentit le sien s'effriter soudain.

Elle était si mignonne avec ses yeux clairs et son visage pointu... Une petite souris... Une petite Célestine aux abois...

Franck fit comme si de rien n'était :

— Ben alors ! T'es encore trop couverte, toi ! plaisantait-il en la déshabillant vite fait. Pourtant c'est pas faute de chauffer... Combien y fait là-dedans ? Au moins vingt-cinq... Je leur ai dit pourtant en bas, je leur ai dit qu'y chauffaient trop, mais y m'écoutent jamais... On revient de la tue-cochon chez Jeannine et je peux te dire que même dans la pièce où y fument leurs saucisses, y fait moins chaud qu'ici... Ça va, toi ? Ben dis donc, t'en as un beau dessus-de-lit ! Ça veut dire que t'as enfin reçu ton colis de la Redoute, ça ? C'est pas trop tôt... Et pour les bas, c'est bon ? Je m'étais pas trompe ? Faut dire, t'écris si mal aussi... Moi, j'avais pas l'air d'un con quand j'ai demandé à la vendeuse de l'Eau de toilette de Monsieur Michel... La bonne femme, elle m'a regardé de travers, alors je lui ai montré ton papier. Il a fallu qu'elle aille chercher ses lunettes et tout... Oh, je te dis pas le bazar, et puis elle a trouvé finalement c'était Mont-Saint-Michel... Fallait comprendre, hein? Tiens la v'ià d'ailleurs... Une chance qu'elle soit pas cassée...

Il lui remettait ses chaussons, racontait n'importe quoi, se saoulait de paroles pour ne pas la regarder.

— C'est vous la petite Camille ? lui demanda-t-elle dans un merveilleux sourire.

— Euh... oui...

— Venez par là que je vous regarde...

Camille s'assit près d'elle.

Elle lui prit les mains :

— Mais vous êtes gelée...

— C'est la moto...

— Franck?

— Oui.

— Ben, prépare-nous un thé, voyons ! Faut la réchauffer, cette petite !

Il souffla. Merci mon Dieu. Le plus dur était passé... Il planqua ses affaires dans l'armoire et chercha la bouilloire.

— Prends des biscuits à la cuillère dans ma table de nuit... Puis se retournant : Alors, c'est vous... C'est vous, Camille... Oh, que je suis contente de vous voir...

— Moi aussi... Merci pour l'écharpe...

— Ah ben, justement, tenez...

Elle se leva et revint avec un sac plein de vieux catalogues Phildar.

— C'est Yvonne, une amie, qui me les a amenés pour vous... Dites-moi ce qui vous ferait plaisir... Mais pas de point de riz, hein ? Celui-là, je sais pas le faire...

Mars 1984. D'accord...

Camille tourna lentement les pages défraîchies.

— Celui-là, il est plaisant, non ? Elle lui indiquait un cardigan mochissime avec des torsades et des boutons dorés.

— Euh... Je préférerais un gros pull plutôt...

— Un gros pull ?

— Oui.

— Mais gros comment ?

— Ben vous savez, un genre de col roulé...

— Tournez, allez chez les hommes alors !

— Celui-là...

— Franck, mon lapin, mes lunettes...

Qu'est-ce qu'il était heureux de l'entendre parler comme ça. C'est bien, mémé, continue. Donne-moi des ordres, ridiculise-moi devant elle en me traitant comme un bébé mais ne chiale pas. Je t'en supplie. Ne chiale plus.

— Tiens... Bon ben... Je vous laisse. Je vais pisser...

— C'est ça, c'est ça, laisse-nous.

Il souriait.

Quel bonheur, mais quel bonheur...

Il referma la porte et fit des bonds dans le couloir. Il aurait embrassé la première grabataire venue. Quel pied, putain ! Il n'était plus tout seul. Il n'était plus tout seul ! « Laisse-nous », qu'elle avait dit. Mais oui les filles, je vous laisse ! Putain, je demande que ça, moi ! Je demande que ça !

Merci Camille, merci. Même si tu ne viens plus, on a trois mois de sursis avec ton putain de pull ! La laine, les couleurs, les essayages... Conversations assurées pour un bon bout de temps... Bon, c'est par où les chiottes déjà ?

Paulette s'installa dans son fauteuil et Camille se mit dos au radiateur.

— Vous êtes bien par terre ?

— Oui.

— Franck aussi, il s'installe toujours là...

— Vous avez pris un biscuit ?

— Quatre !

— C'est bien...

Elles se dévisagèrent et se dirent une foule de choses en silence. Elles se parlèrent de Franck bien sûr, des distances, de la jeunesse, de certains paysages, de la mort, de la solitude, du temps qui passe, du bonheur d'être ensemble et du cahin-caha de la vie sans prononcer la moindre parole.

Camille avait très envie de la dessiner. Son visage lui évoquait les petites herbes des talus, les violettes sauvages, les myosotis, les boutons-d'or... Son visage état ouvert, doux, lumineux, fin comme du papier japonais. Les rides du chagrin disparaissaient dans les volutes du thé et laissaient place à des milliers de petites bontés au coin des yeux.