38114.fb2
Revint à pied.
Tapait dans ses mains pour les réchauffer.
Relevait la tête.
Réfléchissait.
Et plus elle réfléchissait, plus elle marchait vite.
Courait presque.
Il était deux heures du matin quand elle secoua Philibert:
— Il faut que je te parle.
— Maintenant ?
— Oui.
— M... mais, il est quelle heure, là ?
— On s'en fout, écoute-moi !
— Passe-moi mes lunettes, je te prie...
— T'as pas besoin de lunettes, on est dans le noir.
— Camille... S'il te plaît.
— Ah, merci... Avec mes lorgnons, j'entends mieux... Alors soldat ? Que me vaut cette embuscade ?
Camille prit sa respiration et vida son sac. Elle parla pendant un très long moment.
— Fin du rapport, mon colonel...
Philibert resta coi.
— Tu ne dis rien ?
— Ma foi, pour une offensive, c'est une offensive.
— Tu ne veux pas ?
— Attends, laisse-moi réfléchir...
— Un café ?
— Bonne idée. Va te faire un café que je rétrouve mes esprits...
— Et pour toi ?
Il ferma les yeux en lui faisant signe de lever le camp.
— Alors ?
— Je... Je te le dis franchement : je ne pense pas que ce soit une bonne idée...
— Ah ? fit Camille en se mordant la lèvre.
— Non.
— Pourquoi ?
— Parce que c'est trop de responsabilités.
— Trouve autre chose. J'en veux pas de cette réponse. Elle est nulle. On en crève des gens qui ne veulent pas prendre leurs responsabilités... On en crève, Philibert... Toi, tu te l'es pas posée cette question quand t'es venu me chercher là-haut alors que j'avais rien mangé depuis trois jours...
— Si. Je me la suis posée, figure-toi...
— Et alors ? Tu regrettes ?
— Non. Mais ne compare pas. Là, c'est pas du tout le même cas de figure...
— Si ! C'est exactement le même ! Silence.
— Tu sais bien que je ne suis pas chez moi, ici... On vit en sursis... Je peux recevoir une lettre recommandée demain matin me sommant de quitter les lieux dans la semaine qui suit...
— Pff... Tu sais bien comment ça se passe ces histoires de succession... Ça se trouve, t'es encore là pour dix ans...
— Pour dix ans ou pour un mois... Va savoir... Quand il y a beaucoup d'argent en jeu, même les plus grands procéduriers finissent par trouver un terrain d'entente, tu sais...
— Philou...
— Ne me regarde pas comme ça. Tu m'en demandes trop...
— Non, je te demande rien. Je te demande juste de me faire confiance...
— Camille...
— Je... Je ne vous en ai jamais parlé mais je... J'ai vraiment eu une vie de merde jusqu'à ce que je vous rencontre. Bien sûr, comparé à l'enfance de Franck, c'est peut-être pas grand-chose, mais quand même, j'ai l'impression que ça se vaut bien... Que c'était plus insidieux peut-être... Comme un goutte-à-goutte... Et puis je... Je ne sais pas comment j'ai fait... Je m'y suis prise comme une idiote probablement, mais je...
— Mais tu...
— Je... J'ai perdu tous les gens que j'aimais en cours de route et...
— Et?