38354.fb2 Hygi?ne de l’assassin - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 6

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– En tout cas, une chose ressort clairement de ton interview ratée: ce type est formidable! Quelle intelligence!

– Quelle éloquence!

– Quelle finesse chez cet obèse!

– Quelle concision dans la méchanceté!

– Vous reconnaissez au moins qu'il est méchant? s'écria le malheureux, s'agrippant à cela comme à une dernière planche de salut.

– Pas assez, si tu veux mon avis.

– Je l'ai même trouvé bonhomme avec toi.

– Et drôle. Quand tu as été – excuse-moi – assez niais pour lui dire que tu le comprenais, il aurait pu, en toute légitimité, te sortir une injure bien sonnée. Lui s'est contenté de répliquer avec un humour et un second degré que tu semblés n'avoir même pas été capable de déceler.

– Margaritas ante porcos.

C'était la curée. La victime commanda à nouveau un triple porto flip.

Prétextat Tach, lui, préférait les alexandra. Il buvait peu mais quand il voulait s'imbiber un rien, c'était toujours à l'alexandra. Il tenait à se les préparer lui-même, car il ne faisait pas confiance aux proportions des autres. Cet obèse intransigeant avait coutume de répéter, jouissant de hargne, un adage de son cru: «On mesure la mauvaise foi d'un individu à sa manière de doser un alexandra.»

Si l'on appliquait cet axiome à Tach lui-même, on était acculé à conclure qu'il était l'incarnation de la bonne foi. Une seule gorgée de son alexandra eût suffi à mettre knock-out le lauréat d'un concours d'absorption de jaunes d'œufs crus ou de lait concentré sucré. Le romancier en digérait des hanaps sans l'ombre d'une indisposition. A Gravelin qui s'en émerveillait, il avait dit: «Je suis le Mithridate de l'alexandra.

– Mais peut-on encore parler d'alexandra? avait répliqué Ernest.

– C'est la quintessence de l'alexandra, dont la pègre ne connaîtra jamais que d'indignes dilutions.»

A d'aussi augustes sentences, il n'y a rien à ajouter.

– Monsieur Tach, avant toute chose, je tiens à vous présenter les excuses de la profession entière au nom de ce qui s'est passé hier.

– Que s'est-il donc passé hier?

– Eh bien, ce journaliste qui nous a déshonorés en vous importunant.

– Ah, je me souviens. Un garçon bien sympathique. Quand le reverrai-je?

– Jamais, rassurez-vous. Si cela peut vous faire plaisir, il est malade comme un chien aujourd'hui.

– Le pauvre garçon! Que lui est-il arrivé?

– Trop de porto flip.

– J'ai toujours su que le porto flip était une crasse. Si j'avais eu connaissance de son goût pour les breuvages revigorants, je lui aurais préparé un bon alexandra: rien de tel pour le métabolisme. Voulez-vous un alexandra, jeune homme?

– Jamais pendant le service, merci.

Le journaliste ne remarqua pas le regard de suspicion intense que lui valut ce refus.

– Monsieur Tach, il ne faut pas en vouloir à notre collègue d'hier. Rares sont les journalistes, il faut bien le dire, qui ont été formés à rencontrer des êtres tels que vous…

– Il ne manquerait plus que ça. Former de braves gens à me rencontrer! Une discipline qui s'appellerait «l'Art d'aborder les génies»! Quelle horreur!

– N'est-ce pas? J'en conclus que vous n'en voulez pas à notre confrère. Merci pour votre indulgence.

– Vous êtes venu pour me parler de votre collègue ou pour me parler de moi?

– De vous, bien sûr, ce n'était qu'un préambule.

– Dommage. Ma foi, cette perspective m'accable tant que j'ai besoin d'un alexandra. Veuillez attendre quelques instants – c'est de votre faute, après tout, vous n'aviez qu'à ne pas me parler d'alexandra, vous m'en avez donné envie avec vos histoires.

– Mais je ne vous ai pas parlé d'alexandra!

– Ne soyez pas de mauvaise foi, jeune homme. Je ne supporte pas la mauvaise foi. Vous ne voulez toujours pas de mon breuvage?

Il ne se rendit pas compte que Tach lui tendait la perche de la dernière chance, et il la laissa passer. Haussant ses grosses épaules, le romancier dirigea son fauteuil roulant vers une sorte de cercueil dont il souleva le couvercle, dévoilant des bouteilles, des boîtes de conserve et des hanaps.

– C'est une bière mérovingienne, expliqua l'obèse, que j'ai aménagée en bar.

Il s'empara de l'une des grandes coupes métalliques, y versa une belle dose de crème de cacao, puis de cognac. Ensuite, il eut un regard futé pour le journaliste.

– Et maintenant, vous allez connaître le secret du chef. Le commun des mortels incorpore un dernier tiers de crème fraîche. Je trouve ça un peu lourd, alors j'ai remplacé cette crème par une dose équivalente de… (il empoigna une boîte de conserve) lait concentré sucré (il joignit le geste à la parole).

– Mais ce doit être atrocement écœurant! s'exclama le journaliste, aggravant son cas.

– Cette année, l'hiver est doux. Quand il est rude, j'agrémente mon alexandra d'une grosse noix de beurre fondu.

– Pardon?

– Oui. Le lait concentré est moins gras que la crème, alors il faut compenser. En fait, comme nous sommes quand même le 15 janvier, j'aurais théoriquement droit à ce beurre, mais il faudrait pour cela que j'aille à la cuisine et que je vous laisse seul, ce qui serait inconvenant. Je me passerai donc de beurre.

– Je vous en prie, ne vous gênez pas pour moi.

– Non, tant pis. En l'honneur de l'ultimatum qui expire ce soir, je me priverai de beurre.

– Vous vous sentez concerné par la crise du Golfe?

– Au point de ne pas ajouter de beurre dans mon alexandra.

– Vous suivez les nouvelles à la télévision?

– Entre deux séquences de publicités, il m'arrive de subir quelques informations.

– Que pensez-vous de la crise du Golfe?

– Rien.

– Mais encore?