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les femmes se disputaient les étoffes et les pierres que les marchands avaient apportées. Le silence du désert semblait mainte-123

nant un rêve lointain; tout le monde par-revolver chromé, qu'il remit à l'homme lait sans discontinuer, riait, s'égosillait, chargé de collecter les armes.

comme si l'on avait quitté un monde de

«Pourquoi un revolver? demanda le purs esprits pour se retrouver parmi les jeune homme.

hommes. Les gens étaient joyeux et satis-

— Pour m'aider à me fier aux gens», faits.

répondit l'Anglais. Il était heureux d'être En dépit des précautions prises la veille, parvenu au terme de sa quête.

le chamelier expliqua au jeune homme que Le jeune homme, pour sa part, songeait les oasis, dans le désert, étaient toujours à son trésor. Plus il se rapprochait de son considérées comme des terrains neutres, rêve, plus les choses devenaient difficiles.

parce que la majeure partie de ceux qui y Ce que le vieux roi avait appelé la Chance vivaient étaient des femmes et des enfants.

du Débutant ne se manifestait plus. C'était Et il y avait des oasis aussi bien d'un côté

maintenant, il le savait, l'épreuve de l'obs-que de l'autre; de sorte que les guerriers tination et du courage pour qui est à la allaient combattre au milieu des sables recherche de sa Légende Personnelle. Aussi du désert et laissaient les oasis en paix, ne devait-il pas se précipiter, se montrer comme des lieux d'asile.

impatient. Autrement, il risquerait de ne Le Chef de la Caravane rassembla tout pas voir les signes que Dieu avait mis sur son monde, non sans quelque difficulté, et sa route.

commença à donner ses instructions. On

« C'est Dieu qui les a placés sur mon che-allait rester là tant que durerait la guerre min», pensa-t-il, s'étonnant lui-même. Jus-entre les clans. En tant que visiteurs, les que-là, il avait considéré les signes comme gens de la caravane seraient hébergés sous quelque chose qui appartenait au monde.

les tentes des habitants de l'Oasis, qui leur Quelque chose comme de manger ou dor-offriraient les meilleures places. C'était mir, comme de partir en quête de l'amour, la loi de l'hospitalité traditionnelle. Puis ou à la recherche d'un emploi. Mais il il demanda à tous, y compris ses propres n'avait jamais pensé que ce pouvait être sentinelles, de remettre leurs armes aux un langage employé par Dieu pour lui hommes désignés par les chefs de tribus.

montrer ce qu'il devait faire.

«Ce sont les règles de la guerre, expli-

«Ne sois pas impatient, répéta-t-il qua-t-il. De cette façon, les oasis ne peu-encore, à sa propre adresse. Comme l'a dit vent servir de refuge à des combattants. »

le chamelier, mange quand c'est l'heure de A la grande surprise du jeune homme, manger. Et quand c'est l'heure de mar-l'Anglais sortit d'une poche de sa veste un cher, marche. »

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tant. Finalement, il donna son accord Le premier jour, cédant à la fatigue, tout et demanda au jeune garçon, qui parlait le monde dormit, y compris l'Anglais. Le l'arabe mieux que lui, de se charger jeune homme se trouvait plus loin, dans de l'affaire. Ce dernier s'approcha donc une tente occupée par cinq autres garçons d'une femme qui venait d'arriver au puits à peu près de son âge. C'étaient des habi-pour remplir une outre en peau de mou-tants du désert, et ils voulaient entendre ton.

raconter des histoires des grandes cités. Le

«Madame, bonsoir! Je voudrais savoir jeune homme parla de sa vie de berger, et où demeure un Alchimiste, qui vit dans il allait commencer à évoquer son expé-cette Oasis », demanda-t-il.

rience de la boutique aux cristaux, quand La femme répondit qu'elle n'en avait l'Anglais entra.

jamais entendu parler, et s'en fut aussitôt.

«Je vous ai cherché toute la matinée, dit-Toutefois, elle prit le temps d'avertir le il, tout en emmenant son compagnon à

jeune homme qu'il ne devait pas adresser l'extérieur. Il faut que vous m'aidiez à

la parole aux femmes habillées de noir, car découvrir où loge l'Alchimiste. »

c'étaient des femmes mariées. Il fallait res-Ils essayèrent d'abord de le trouver par pecter la Tradition.

leurs propres moyens. Un Alchimiste devait L'Anglais fut extrêmement déçu. Ainsi, il sans doute vivre de façon différente des avait fait tout ce voyage pour rien! Son autres habitants de l'Oasis, et il était bien compagnon en fut également attristé. L'An-probable que, sous sa tente, il y eût un glais, lui aussi, poursuivait sa Légende Per-fourneau allumé en permanence. Ils fini-sonnelle. Et, quand une personne est dans rent par se rendre compte, après avoir beaucoup marché, que l'Oasis était bien ce cas, l'Univers tout entier s'efforce de plus vaste qu'ils ne l'avaient imaginée, et lui faire obtenir ce qu'elle cherche: ainsi qu'il y avait là des centaines et des cen-avait dit le vieux roi. Il ne pouvait pas se taines de tentes.

tromper.

« Presque toute une journée perdue ! dit

«Je n'avais jusqu'ici jamais entendu parl'Anglais en s'asseyant, avec son compa-ler d'alchimistes, dit le jeune homme.

gnon, près de l'un des puits de l'Oasis.

Sinon, j'essaierais de vous aider. »

— Il vaudrait peut-être mieux deman-Un éclair illumina le regard de l'Anglais.

der», dit le jeune homme.

«Mais bien sûr! s'exclama-t-il. Peut-être L'Anglais n'avait pas envie de révéler bien que personne ici ne sait ce qu'est un sa présence à Fayoum, et se montra hési-alchimiste. Informez-vous donc plutôt de 126

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l'homme qui soigne toutes les maladies du dans la vie de l'Oasis», conclut-il en s'éloi-village ! »

gnant.

Plusieurs femmes vêtues de noir vinrent Mais l'Anglais exulta. Ils étaient sur la chercher de l'eau au puits, mais l'Anglais bonne piste.

eut beau insister, le jeune homme ne vou-C'est alors qu'apparut une jeune fille lut pas leur adresser la parole. Finalement, qui n'était pas habillée de vêtements noirs.

un homme s'approcha.

Elle portait une jarre qui reposait sur son

«Connaissez-vous quelqu'un qui soigne épaule, et avait un voile autour de la tête ; les maladies dans le village ? lui demanda mais son visage était découvert. Le jeune le jeune homme.

homme s'avança vers elle pour l'interroger au sujet de l'Alchimiste.

— C'est Allah qui soigne toutes les maladies, répondit l'homme, visiblement Et ce fut comme si le temps s'arrêtait, effrayé par ces étrangers. Vous cherchez comme si l'Ame du Monde surgissait de des sorciers, vous deux ! »

toute sa force devant le jeune homme.

Et, après avoir récité quelques versets Quand il vit ses yeux noirs, ses lèvres qui du Coran, il passa son chemin.

hésitaient entre le sourire et le silence, il Un autre homme survint. Il était plus comprit la partie la plus essentielle et la âgé, et portait seulement un petit seau. Le plus savante du Langage que parlait le garçon lui posa la même question.

monde, et que tous les êtres de la terre

« Pourquoi voulez-vous donc connaître un étaient capables d'entendre en leur cœur.

homme comme celui-là? demanda l'Arabe Et cela s'appelait l'Amour, quelque chose pour toute réponse.

de plus vieux que les hommes et que le

— Parce que mon ami que voici a fait désert même, et qui pourtant resurgissait un voyage de plusieurs mois pour le ren-toujours avec la même force, partout où

contrer.

deux regards venaient à se croiser comme

— Si cet homme existe, ici dans l'Oasis, se croisèrent alors ces deux regards près il doit être très puissant, dit le vieil d'un puits. Les lèvres enfin se décidèrent homme, après avoir réfléchi un instant.

pour un sourire, et c'était là un signe, le Même les chefs de tribus ne pourraient pas signe qu'il avait attendu sans le savoir pen-le voir à leur guise en cas de besoin. Il fau-dant un si long temps de sa vie, qu'il avait drait que ce soit lui qui le décide. Attendez cherché dans les livres et auprès de ses plutôt la fin de la guerre, et repartez avec brebis, dans les cristaux et dans le silence la caravane. Ne cherchez pas à entrer du désert.

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Voilà, c'était le pur Langage du Monde, sans aucune explication, parce que l'Uni-L'Anglais, qui était assis, se releva, et vers n'avait besoin d'aucune explication secoua son compagnon.

pour continuer sa route dans l'espace

« Allez ! Demandez-lui. »

infini. Tout ce qu'il comprenait en cet ins-Le jeune homme s'approcha de la jeune tant, c'était qu'il se trouvait devant la fille. Elle sourit à nouveau. Il sourit aussi.

femme de sa vie, et sans la moindre néces-

«Comment t'appelles-tu? demanda-t-il.

sité de paroles, elle aussi devait le savoir.

— Mon nom est Fatima, répondit-elle, Il en était plus sûr que de n'importe quoi les yeux baissés.

au monde, même si ses parents, et les

— C'est un nom que portent certaines parents de ses parents, avaient toujours dit femmes dans le pays d'où je viens.

qu'il fallait d'abord faire sa cour et se fian-

— C'est le nom de la fille du Prophète, cer, connaître l'autre et avoir de l'argent dit Fatima. Nos guerriers l'ont transporté

avant de se marier. Qui disait cela n'avait là-bas. »

sans doute jamais connu le langage uniLa douce jeune fille parlait de guerriers versel, car lorsqu'on se baigne dans ce lan-avec fierté. L'Anglais, à côté, insistait, et le gage, il est facile de comprendre qu'il y a jeune homme demanda si elle savait toujours dans le monde une personne qui quelque chose de l'homme qui guérissait en attend une autre, que ce soit en plein toutes les maladies.

désert ou au cœur des grandes villes. Et

«C'est un homme qui connaît les secrets quand ces deux personnes se rencontrent, du monde. Il parle avec les djinns du et que leurs regards se croisent, tout le désert», dit-elle.

passé et tout le futur sont désormais sans la moindre importance, seul existe ce Les djinns étaient les génies du Bien et moment présent, et cette incroyable certi-du Mal. Et la jeune fille montra d'un geste tude que toute chose sous la voûte du ciel la direction du sud, où habitait cet étrange a été écrite par la même Main. La Main personnage. Puis elle emplit sa cruche et qui fait naître l'Amour, et qui a créé une partit. L'Anglais s'en alla aussi, à la âme sœur pour chaque être qui travaille, recherche de l'Alchimiste. Et le jeune se repose, et cherche des trésors sous la homme resta un long moment assis à côté

lumière du soleil. Parce que, s'il n'en était du puits, comprenant qu'un jour le levant pas ainsi, les rêves de l'espèce humaine avait laissé sur son visage le parfum de n'auraient aucun sens.

cette femme, et qu'il l'aimait avant même

« Mektoub », se dit-il.

de savoir qu'elle existait. Et que l'amour 130

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qu'il avait pour elle lui ferait découvrir chercher un trésor qui se trouve à proxi-tous les secrets du monde.

mité des Pyramides. La guerre était pour moi une malédiction. C'est maintenant Le lendemain, il retourna au puits, pour une bénédiction, puisqu'elle m'immobilise y attendre la jeune fille. Il fut surpris d'y ici près de toi.

trouver l'Anglais qui, pour la première fois,

— La guerre va bien finir un jour», dit contemplait le désert.

la jeune fille.

«J'ai attendu tout l'après-midi et toute Il regarda les palmiers dattiers de l'Oa-la soirée, dit l'Anglais. Il est arrivé au sis. Il avait été berger. Et il y avait là des moment où apparaissaient les premières quantités de moutons. Fatima avait plus étoiles. Je lui ai dit ce que je cherchais. Et il d'importance que le trésor.

m'a demandé si j'avais déjà transformé du

«Les guerriers cherchent leurs trésors, plomb en or. J'ai répondu que c'était préci-dit-elle, comme si elle devinait ses pensées.

sément ce que je souhaitais apprendre.

Et les femmes du désert sont fières de Alors, il m'a dit d'essayer. Il ne m'a rien dit leurs guerriers. »

d'autre que ces mots : "Va essayer." »

Puis elle emplit à nouveau sa cruche et Le jeune homme demeura silencieux.

s'en fut.

Ainsi, l'Anglais avait fait tout ce trajet pour s'entendre dire ce qu'il savait déjà. Et il se Tous les jours, le jeune homme allait au souvint que lui-même avait donné six mou-puits attendre la venue de Fatima. Il lui tons au vieux roi pour un résultat sem-raconta son existence de berger, la ren-blable.

contre du roi, la boutique aux cristaux. Ils

« Eh bien ! essayez, dit-il à l'Anglais.

devinrent amis et, sauf pendant la quin-

— C'est bien ce que je vais faire. Et je zaine de minutes qu'il passait en sa com-vais m'y mettre tout de suite. »

pagnie, il trouvait le temps terriblement Peu après son départ, Fatima arriva au long tout le reste de la journée.

puits pour remplir sa cruche.

Alors qu'il se trouvait dans l'Oasis depuis

«Je suis venu te dire une chose toute près d'un mois, le Chef de la Caravane simple, lui dit le jeune homme. Je veux que convoqua tout le monde à une réunion.

tu sois ma femme. Je t'aime. »

«Nous ne savons pas quand va finir la La jeune fille laissa déborder le réci-guerre, et nous ne pouvons reprendre pient.

notre voyage, dit-il. Les combats vont sans

«Je vais t'attendre ici chaque jour, re-doute durer très longtemps encore, peut-prit-il. J'ai traversé le désert pour venir être des années. Il y a, d'un côté comme de 132

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l'autre, des guerriers pleins de courage et du trésor. Tu m'as parlé des signes. Voilà

de vaillance, et chacune des deux armées pourquoi je ne crains rien, parce que ce est fière de se battre. Ce n'est pas là

sont ces signes qui t'ont amené à moi. Et je une guerre entre les bons et les méchants.

fais partie de ton rêve, de ta Légende PerC'est une guerre entre des forces qui lut-sonnelle, comme tu le dis si souvent. Pour tent pour la conquête du même pouvoir, et cette raison même, je veux que tu pour-lorsque s'engage une bataille de ce genre, suives ta route en direction de ce que tu es elle dure plus longtemps que les autres, venu chercher. S'il te faut attendre la fin parce que, dans ce cas, Allah est des deux de la guerre, c'est très bien. Mais si tu dois côtés à la fois. »

partir plus tôt, alors pars vers ta Légende.

Les gens se dispersèrent. Le jeune Les dunes changent sous l'action du vent, homme, ce soir-là, revit Fatima et lui rap-mais le désert reste toujours le même.

porta ce qui s'était dit lors de la réunion.

Ainsi en sera-t-il de notre amour.

«A notre deuxième entrevue, dit la jeune

«Mektoub, dit-elle encore. Si je fais par-fille, tu m'as parlé de ton amour. Ensuite, tie de ta Légende, tu reviendras un jour. »

tu m'as appris des choses très belles, comme le Langage et l'Ame du Monde. Et Il se sentit triste lorsqu'il la quitta. Il tout cela, peu à peu, fait de moi une part pensait à bien des gens qu'il avait connus.

de toi-même. »

Les bergers qui étaient mariés avaient Le garçon écoutait sa voix, et la trouvait beaucoup de mal à convaincre leurs épou-plus belle que le bruissement du vent dans ses de la nécessité où ils se trouvaient de les palmes des dattiers.

courir la campagne. L'amour exigeait la

« Il y a bien longtemps que je suis venue présence auprès de l'objet aimé.

ici auprès de ce puits pour t'attendre. Je Le lendemain, il parla de toutes ces n'arrive pas à me rappeler mon passé, choses à Fatima.

la Tradition, la façon dont les hommes

«Le désert nous prend nos hommes, dit-veulent que se comportent les femmes du elle, et ne les ramène pas toujours. Nous désert. Toute petite, je rêvais que le désert devons nous y faire. Dès lors, ils sont pré-m'apporterait un jour le plus beau présent sents dans les nuages qui passent sans de mon existence. Et ce présent m'est enfin donner de pluie, dans les bêtes qui se offert, et c'est toi. »

cachent au milieu des pierres, dans l'eau Il voulut prendre sa main. Mais Fatima généreuse qui sourd de la terre. Ils sont tenait les anses de la jarre.

désormais une partie de tout, ils devien-

«Tu m'as parlé de tes rêves, du vieux roi, nent l'Ame du Monde. Quelques-uns 134

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reviennent. Et alors toutes les autres l'heure où le désert prit une coloration femmes sont heureuses, parce que les rosée dans la lumière du couchant. Il res-hommes qu'elles attendent peuvent eux sentit alors une envie impérieuse d'aller aussi revenir un jour. Avant, je regardais jusque là-bas, pour voir si le silence pou-ces femmes et j'enviais leur bonheur.

vait répondre à ses interrogations.

Maintenant, je vais avoir de même quel-Il marcha sans but pendant un certain qu'un à attendre. Je suis une femme du temps, sans perdre de vue les palmiers de désert et j'en suis fière. Je veux que mon l'Oasis. Il écoutait le vent et sentait les homme chemine, lui aussi, libre comme le cailloux sous ses pieds. Parfois, il trouvait vent qui fait bouger les dunes. Je veux qu'il un coquillage, et savait que ce désert, à

me soit donné de le voir dans les nues, une lointaine époque, avait été une vaste dans les bêtes et dans l'eau. »

mer. Il s'assit sur une grosse pierre et se Le jeune homme alla trouver l'Anglais. Il laissa hypnotiser par l'horizon qu'il avait voulait lui parler de Fatima. Non sans en face de lui. Il ne pouvait concevoir surprise, il constata que l'Anglais avait l'Amour sans y mêler l'idée de possession.

construit un petit four à côté de sa tente.

Mais Fatima était une femme du désert.

C'était un four curieux, sur lequel était Si quelque chose pouvait l'aider à composé un flacon transparent. L'Anglais ali-prendre, c'était bien le désert.

mentait le feu avec du bois, et contemplait Il demeura ainsi, sans penser à rien, jus-le désert. Ses yeux semblaient plus bril-qu'au moment où il eut l'impression que lants que lorsqu'il passait tout son temps quelque chose bougeait au-dessus de sa plongé dans les livres.

tête. En regardant en l'air, il vit deux éper-

« C'est la première phase du travail, dit-il.

viers qui volaient très haut dans le ciel.

Je dois séparer le soufre impur. Et, pour y Il observa les rapaces, et les figures parvenir, il faut que je ne craigne pas qu'ils dessinaient en volant. C'étaient d'échouer. Ma crainte d'échouer est ce qui apparemment des lignes désordonnées, m'a empêché jusqu'ici de tenter le Grand mais elles avaient cependant un sens pour Œuvre. C'est maintenant que je commence lui. Simplement, il n'arrivait pas à déce que j'aurais pu commencer il y a déjà dix chiffrer leur signification. Il décida donc ans. Mais je suis heureux de n'avoir pas de suivre du regard les évolutions des deux attendu encore vingt ans. »

oiseaux, peut-être pourrait-il y lire quelque Et il continua à entretenir le feu tout en message. Peut-être le désert pourrait-il lui regardant le désert. Le jeune homme resta expliquer l'amour sans possession.

auprès de lui pendant un moment, jusqu'à

Il sentit venir le sommeil. Son cœur, 136

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pourtant, lui demanda de ne pas dormir; se mit en marche dans la direction des pal-et, tout au contraire, il devait s'abandon-miers. Une nouvelle fois, il percevait les ner. « Me voici qui pénètre à l'intérieur du multiples langages des choses: mainte-Langage du Monde, dit-il ; et tout, ici-bas, nant, c'était le désert qui était la sécurité, a un sens, jusqu'au vol même des éper-tandis que l'Oasis était devenue un péril.

viers. » Il se sentit plein de reconnaissance Le chamelier était assis auprès d'un pour cet amour qu'il portait à une femme : palmier dattier, à regarder lui aussi le cou-

« Quand on aime, pensa-t-il, les choses ont cher de soleil. Il vit le jeune homme arri-encore davantage de sens. »

ver de derrière une dune.

Subitement, l'un des éperviers descendit

« Il y a une armée qui approche, dit aus-en piqué pour attaquer l'autre. A ce sitôt ce dernier. J'ai eu une vision.

moment précis, le jeune homme eut une

— Le désert emplit de visions le cœur soudaine et brève vision: une troupe des hommes », répondit le chamelier.

armée envahissait l'Oasis, l'épée au poing.

Mais le jeune homme lui parla des éper-La vision s'effaça tout aussitôt, mais viers: il observait leur vol et, tout d'un lui laissa une vive impression. Il avait coup, avait plongé dans l'Ame du Monde.

entendu parler des mirages, et en avait Le chamelier ne répondit rien; il com-déjà vu quelques-uns : c'étaient des désirs prenait ce que lui disait son interlocuteur.

qui se matérialisaient sur le sable du Il savait que n'importe quelle chose, à la désert. Et pourtant, il ne désirait certaine-surface de la terre, peut conter l'histoire ment pas voir une armée s'emparer de de toutes les choses. En ouvrant un livre l'Oasis.

à une page quelconque, en examinant Il voulut oublier tout cela et revenir à sa les mains d'une personne, ou le vol des méditation, il essaya de se concentrer à

oiseaux, ou encore des cartes à jouer, ou nouveau sur le désert d'ocre rose et sur les quoi que ce soit d'autre, chacun de nous pierres. Mais quelque chose en son cœur peut découvrir un lien avec ce qu'il est en ne le laissait pas en repos.

train de vivre. A la vérité, les choses ne

«Suis toujours les signes», avait dit le révélaient rien par elles-mêmes; c'étaient vieux roi. Il pensa à Fatima. Puis il se rap-les gens qui, en observant les choses, pela la vision qu'il avait eue et pressentit découvraient la façon de pénétrer l'Ame qu'elle n'était pas loin de devenir une réa-du Monde.

lité.

Le désert était peuplé d'hommes qui Non sans mal, il parvint à surmonter gagnaient leur vie parce qu'ils pouvaient l'angoisse qui l'avait étreint. Il se releva et pénétrer aisément l'Ame du Monde. On les 138

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connaissait sous le nom de devins, et ils

— Si ce sont de bonnes choses, ce sera étaient redoutés des femmes et des vieil-une surprise agréable, dit le devin. Et si ce lards. Les Guerriers ne les consultaient sont de mauvaises choses, tu en souffriras que rarement, car il ne pouvait être ques-bien avant qu'elles n'arrivent.

tion d'aller au combat en sachant d'avance

— Je veux connaître l'avenir parce que à quel moment on devra mourir. Les Guer-je suis un homme, dit alors le chamelier.

riers préféraient la saveur de la lutte et Et les hommes vivent en fonction de leur l'émotion de l'inconnu; l'avenir avait été

avenir. »

écrit par Allah et, quoi qu'il eût écrit, Le devin demeura un moment sans rien c'était toujours pour le bien des hommes.

dire. Sa spécialité était le jeu des baguettes Alors, les Guerriers vivaient simplement le qu'on lance à terre: il interprétait la présent, car le présent était rempli de sur-manière dont elles tombaient. Mais, ce prises, et ils devaient être attentifs à quan-jour-là, il ne se servit pas de ses baguettes.

tité de choses : où était l'épée de l'ennemi, Il les enroula dans un linge et les remit où était son cheval, quel était le coup qu'ils dans sa poche.

allaient devoir porter pour échapper à la

«Je gagne ma vie en prévoyant l'avenir mort.

des gens, dit-il. Je connais la science des Le chamelier n'était pas un Guerrier, et baguettes, et je sais comment les utiliser il lui était déjà arrivé de consulter des pour pénétrer dans cet espace où tout est devins. Beaucoup d'entre eux lui avaient déjà écrit. Là, je peux lire le passé, décou-dit des choses vraies, d'autres des choses vrir ce qui a été oublié, et comprendre fausses. Jusqu'au jour où l'un d'eux, le les signes du présent. Quand les gens me plus âgé (et le plus redouté), lui avait consultent, je ne lis pas le futur: je le demandé pourquoi il s'intéressait telle-devine. Car le futur appartient à Dieu, et ment à connaître le futur.

Lui seul le révèle, et seulement dans des

«Pour pouvoir faire certaines choses, occasions extraordinaires. Comment estrépondit le chamelier. Et faire tourner ce que j'arrive à deviner le futur? Grâce autrement ce que je ne voudrais pas voir aux signes du présent. C'est dans le prése produire.

sent que réside le secret; si tu fais atten-

— Alors, ce ne sera plus ton avenir, tion au présent, tu peux le rendre meilleur.

rétorqua le devin.

Et si tu améliores le présent, ce qui viendra

— Mais peut-être que je veux connaître ensuite sera également meilleur. Oublie le le futur pour me préparer à ce qui doit futur et vis chaque jour de ta vie selon les advenir..

enseignements de la Loi, et en te fiant à la 140

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sollicitude de Dieu à l'égard de Ses enl'immense tente blanche dressée au centre fants. Chaque jour porte en lui l'Eternité. »

de l'Oasis. Je veux parler aux chefs. »

Le chamelier voulut savoir quelles Le garde ne répondit rien. Il entra sous étaient ces circonstances exceptionnelles la tente et y demeura un long moment.

dans lesquelles Dieu permettait de voir le Puis il ressortit en compagnie d'un Arabe, futur :

jeune, habillé de blanc et d'or. Le jeune

«C'est quand Lui-même le révèle. Et homme lui raconta ce qu'il avait vu.

Dieu le révèle rarement, et cela pour une L'Arabe lui demanda d'attendre un peu et seule raison : c'est un futur qui a été écrit rentra.

pour être changé. »

La nuit tomba. Des Arabes, des marchands, entrèrent et sortirent en grand Dieu avait montré un futur au jeune nombre. Peu à peu, les foyers s'éteignirent, homme, pensa le chamelier. Parce qu'il et l'Oasis devint bientôt aussi silencieuse voulait que le jeune homme fût son instru-que le désert. Seule restait allumée la ment.

lumière de la grande tente. Pendant tout

«Va trouver les chefs de tribus, dit le ce temps, le jeune homme ne cessait de chamelier. Parle-leur des guerriers qui penser à Fatima, sans bien comprendre approchent.

encore la conversation qu'ils avaient eue

— Ils vont se moquer de moi.

dans l'après-midi.

— Ce sont des hommes du désert.

Finalement, au terme de plusieurs Les hommes du désert ont l'habitude des heures d'attente, le garde le fit entrer.

signes.

Ce qu'il vit le plongea dans l'extase.

— Alors, ils doivent déjà savoir.

Jamais il n'aurait imaginé qu'en plein

— Ce n'est pas leur souci. Ils croient milieu du désert pût exister une tente que s'ils doivent être mis au courant de comme celle-là. Le sol était recouvert des quelque chose qu'Allah veuille leur faire plus beaux tapis sur lesquels il eût jamais savoir, quelqu'un viendra les en informer.

marché ; en hauteur, étaient suspendus des Cela s'est produit bien des fois. Mais lustres de métal doré et ciselé qui portaient aujourd'hui, c'est toi qui es ce messager. »

des bougies allumées. Les chefs de tribus Le jeune homme pensa à Fatima. Et il se tenaient assis au fond de la tente, en décida d'aller trouver les chefs de tribus.

demi-cercle, jambes et bras reposant sur des coussins de soie richement brodés.

«J'apporte un message du désert, dit-il Des domestiques allaient et venaient avec au garde qui était en faction à la porte de des plateaux d'argent chargés de mets déli-142

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cats et offraient du thé. D'autres veillaient Un silence total s'abattit sur la tente, à maintenir incandescentes les braises suivi d'un conciliabule animé entre les des narguilés. Un suave parfum de tabac chefs de tribus. Ils parlaient un dialecte embaumait l'atmosphère.

arabe que le jeune homme ne comprenait Il y avait là huit chefs, mais il comprit pas, mais lorsqu'il fit mine de vouloir tout de suite lequel était le plus haut placé : sortir, le garde lui dit de rester. Il com-un Arabe vêtu de blanc et d'or, assis au mença à éprouver une certaine crainte ; les centre du demi-cercle. A côté de lui se signes lui disaient que quelque chose n'al-trouvait le jeune homme avec qui il avait lait pas. Il regretta d'avoir parlé de cette parlé peu auparavant.

affaire avec le chamelier.

«Qui est l'étranger qui parle de mes-Soudain, l'homme âgé qui se trouvait au sage ? demanda l'un des chefs, en le regar-centre eut un sourire presque impercep-dant.

tible, et il se rassura. Le vieillard n'avait

— C'est moi», répondit-il.

pas pris part à la discussion et n'avait pas Et il raconta ce qu'il avait vu.

encore dit un mot. Mais le jeune homme

«Pourquoi le désert dirait-il donc ces était déjà habitué au Langage du Monde et choses à un homme venu d'ailleurs, quand il put ressentir une vibration de Paix qui il sait que nous sommes ici depuis plu-traversait la tente de part en part. Son sieurs générations? dit un autre chef de intuition lui disait qu'il avait bien fait de tribu.

venir.

— Parce que mes yeux ne sont pas encore habitués au désert, de sorte que Le débat prit fin. Tous se turent pour je peux voir des choses que les yeux trop écouter parler le vieil homme. Ensuite, habitués n'arrivent plus à voir. »

celui-ci se tourna vers l'étranger. Main-

« Et aussi parce que je sais ce qu'est l'Ame tenant, l'expression de son visage était du Monde », pensa-t-il. Mais il n'ajouta rien, froide et distante.

parce que les Arabes ne croient pas à ces

« Il y a deux mille ans, dans un pays loin-choses-là.

tain, on jeta dans un puits et l'on vendit

«L'Oasis est un terrain neutre. Personne comme esclave un homme qui croyait aux ne va attaquer une oasis, dit un troisième songes, dit-il. Des marchands de chez nous chef.

l'achetèrent et l'emmenèrent en Egypte. Et

— Je raconte seulement ce que j'ai vu., nous savons tous que celui qui croit aux Si vous ne voulez pas y croire, ne faites songes sait aussi les interpréter. »

rien. »

« Encore qu'il ne parvienne pas toujours 144

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à les réaliser », pensa le jeune homme, en nous attendrons l'ennemi. Quand le soleil se remémorant la vieille gitane.

déclinera sur l'horizon, les hommes me

«Grâce aux rêves de vaches maigres et rendront leurs armes. Pour chaque dizaine de vaches grasses qu'avait faits le Pharaon, d'ennemis tués, tu recevras une pièce d'or.

cet homme délivra l'Egypte de la famine. Il

«Toutefois, les armes ne peuvent être se nommait Joseph. C'était aussi, comme sorties sans aller au combat. Elles sont toi, un étranger en terre étrangère, et il capricieuses comme le désert et, si nous devait avoir à peu près ton âge. »

les sortons pour rien, elles peuvent ensuite Le silence se prolongea. Le regard du refuser de faire feu. Si aucune d'elles n'a vieil homme restait froid.

été utilisée demain, il y en aura au moins

«Nous suivons toujours la Tradition, une qui servira : contre toi. »

reprit-il. La Tradition a sauvé l'Egypte de la famine en ce temps-là, et a fait de son peuple le plus riche d'entre les peuples. La Tradition enseigne comment les hommes doivent traverser le désert et marier leurs filles. La Tradition dit qu'une oasis est un terrain neutre, parce que les deux camps ont des oasis et sont vulnérables. »

Personne ne prononça le moindre mot tandis que le vieil homme parlait.

«Mais la Tradition nous dit aussi de croire aux messages du désert. Tout ce que nous savons, c'est le désert qui nous l'a enseigné. »

Il fit un signe, et tous les Arabes se mirent debout. La réunion allait s'achever.

Les narguilés furent éteints, et les gardes rectifièrent la position. Le jeune homme se prépara à quitter les lieux, mais le vieillard reprit la parole :

«Demain, nous allons rompre l'accord qui dit que nul ne doit porter une arme à

l'intérieur de l'Oasis. Durant la journée, 146

de ses jours depuis qu'il était parti de chez lui, il y avait si longtemps de cela.

S'il devait mourir le lendemain; ses yeux auraient vu beaucoup plus de choses que les yeux des autres bergers, et il en était fier.

Soudain, il entendit comme un grondement et fut jeté brusquement à terre, sous le choc d'une rafale de vent d'une violence inouïe. L'endroit fut envahi par un nuage Lorsqu'il ressortit, l'Oasis n'était éclai-de poussière qui arriva presque à masquer rée que par la pleine lune. Il y avait vingt le clair de lune. Devant lui, un cheval minutes de marche jusqu'à sa tente, et il se blanc de taille gigantesque se cabra, avec mit en route.

un hennissement effrayant.

Il était tourmenté par tout ce qui s'était Il distinguait à peine ce qui se passait passé. Il s'était immergé dans l'Ame du mais, quand la poussière se fut un peu dis-Monde, et le prix à payer pouvait être sa sipée, il ressentit une terreur qu'il n'avait propre vie. Une grosse mise. Mais il avait encore jamais éprouvée. Montant le chemisé gros du jour où il avait vendu ses val, se tenait en face de lui un homme moutons pour suivre sa Légende Person-tout habillé de noir, avec un faucon sur nelle. Et, comme le disait le chamelier, l'épaule gauche. Il était coiffé d'un turban mourir demain valait tout autant que mou-et un voile lui masquait tout le visage, rir n'importe quel autre jour. Chaque jour ne laissant voir que les yeux. Il semblait était fait pour être vécu ou pour quitter ce être le messager du désert, mais il avait monde. Tout ne dépendait que d'un mot: davantage de présence que quiconque au

« Mektoub. »

monde.

Il chemina en silence. Il ne regrettait L'étrange cavalier tira hors du fourreau rien. S'il devait mourir le lendemain, ce la grande épée à lame courbe qui était serait parce que Dieu n'avait pas envie de accrochée à sa selle. L'acier étincela dans changer le futur. Mais il serait mort après la clarté de la lune.

avoir traversé le détroit, après avoir tra-

«Qui a osé lire dans le vol des éper-vaillé dans un magasin de cristaux, après viers?» demanda-t-il, d'une voix si forte avoir connu le désert et les yeux de qu'elle sembla répercutée par les cin-Fatima. Il avait vécu intensément chacun quante mille palmiers de Fayoum.

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«Moi, j'ai osé», dit le jeune homme. Et il hommes de l'Oasis sont plus nombreux se rappela aussitôt la statue de saint Jacque vous. »

ques Pourfendeur des Maures, écrasant La pointe de l'épée était toujours sur son les Infidèles sous les sabots de son cheval front.

blanc. C'était exactement la même chose,

«Qui es-tu, pour changer le destin tracé

sauf que la situation se trouvait mainte-par Allah ?

nant inversée.

— Allah a fait les armées, et Il a fait

«J'ai osé», répéta-t-il. Et il baissa la tête aussi les oiseaux. Allah m'a montré le lan-pour recevoir le coup de sabre. « De nom-gage des oiseaux. Tout a été écrit par la breuses vies vont être sauvées, parce que même Main», dit le jeune homme, en se vous aviez compté sans l'Ame du Monde. »

souvenant de ce qu'avait dit le chamelier.

L'arme, cependant, ne s'abaissa pas bru-Finalement, le cavalier releva son épée.

talement. La main du cavalier descendit Le jeune homme en éprouva du soulage-lentement, et la pointe de la lame vint toument. Mais il ne pouvait pas s'enfuir.

cher le front du jeune homme. Elle était si

«Prends garde aux divinations. Quand aiguisée qu'une goutte de sang perla.

les choses sont écrites, il ne peut être ques-Le cavalier était parfaitement immobile.

tion de les éviter.

Le jeune homme aussi. L'idée ne lui vint

— J'ai seulement vu une armée, dit le même pas de fuir. Au fond de son cœur, jeune homme. Je n'ai pas vu l'issue d'une une étrange allégresse s'empara de lui : il bataille. »

allait mourir pour sa Légende Personnelle.

Le cavalier sembla satisfait de la ré-Et pour Fatima. Les signes, enfin, avaient ponse. Mais il gardait son épée à la main.

dit vrai. Voici que l'Ennemi était là, et il

«Que fait un étranger sur une terre étrangère ? demanda-t-il.

n'avait donc pas à se soucier de la mort, puisqu'il y avait une Ame du Monde. D'ici

— Je cherche ma Légende Personnelle.

Quelque chose que tu ne pourras jamais peu, il en ferait partie. Et demain l'Ennemi comprendre. »

aussi en ferait partie.

Le cavalier remit son épée au fourreau, L'étranger, cependant, se contentait de et le faucon, sur son épaule, poussa un cri maintenir la pointe de l'épée sur son front.

étrange. Le jeune homme commença à se

«Pourquoi as-tu lu le vol des oiseaux?

détendre.

— J'ai seulement lu ce que les oiseaux

«Je devais éprouver ton courage, dit le voulaient conter. Ils veulent sauver l'Oasis, cavalier. Le courage est la vertu majeure et vous et les vôtres allez mourir. Les pour qui cherche le Langage du Monde.»

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Le jeune homme fut surpris. Cet homme parlait de choses que peu de gens connaissaient.

«Il ne faut jamais se relâcher, même quand on est parvenu aussi loin, poursuivit-il. Il faut aimer le désert, mais ne jamais s'y fier entièrement. Car le désert est une pierre de touche pour tous les hommes: il éprouve chacun de leurs pas, et tue qui se laisse distraire. »

Ses paroles rappelaient celles du vieux Le lendemain matin, il y avait deux mille roi.

hommes sous les armes au milieu des pal-

« Si les guerriers arrivent, et si ta tête est miers dattiers de Fayoum. Avant que le encore sur tes épaules demain après le cou-soleil ne parvînt au zénith, cinq cents cher du soleil, viens me voir », dit encore le guerriers apparurent à l'horizon. Les cava-cavalier.

liers entrèrent dans l'Oasis par le nord.

La même main qui avait tenu le sabre se Apparemment, c'était une expédition paci-saisit d'une cravache. Le cheval se cabra fique, mais des armes étaient cachées sous de nouveau, soulevant un nuage de pous-les burnous blancs. Lorsqu'ils arrivèrent sière.

près de la grande tente dressée au centre

« Où habitez-vous ? » cria le jeune homme, de l'Oasis, ils mirent au jour les cimeterres tandis que le cavalier s'éloignait.

et les fusils. Et attaquèrent une tente vide.

La main qui tenait la cravache désigna Les hommes de l'Oasis encerclèrent la direction du sud.

les cavaliers du désert. En l'espace d'une Le jeune homme venait de rencontrer demi-heure, il y avait quatre cent quatre-l'Alchimiste.

vingt-dix-neuf cadavres disséminés sur le sol. Les enfants se trouvaient à l'autre extrémité de la palmeraie et ne virent rien.

Les femmes priaient pour leurs maris sous les tentes et ne virent rien non plus. N'eus-sent été les corps qui gisaient partout, l'Oasis aurait paru vivre une journée normale.

Un seul guerrier fut épargné, celui qui 153

commandait la troupe des assaillants. Au soir, il fut amené devant les chefs de tribus, qui lui demandèrent pourquoi il avait violé

la Tradition. Il répondit que ses hommes souffraient de la faim et de la soif, épuisés par tant de jours de combat, et qu'ils avaient donc résolu de s'emparer d'une oasis pour pouvoir reprendre la lutte.

Le chef suprême de l'Oasis dit qu'il regrettait pour les guerriers, mais que la Tradition devait être respectée en toute Quand le soleil eut complètement dis-circonstance. La seule chose qui change paru et que les premières étoiles commen-dans le désert, ce sont les dunes, quand cèrent à paraître (elles ne brillaient pas souffle le vent.

beaucoup, du fait de la pleine lune), le Puis il condamna le chef adverse à une jeune homme se mit en marche vers le mort déshonorante. Au lieu d'être tué à

sud. Il n'y avait là qu'une tente; et, l'arme blanche ou d'une balle de fusil, il selon quelques Arabes qui se trouvaient à

fut pendu à un tronc de palmier desséché.

passer, l'endroit était peuplé de djinns.

Son cadavre resta à se balancer dans le Mais il s'assit et attendit pendant un long vent du désert.

moment.

Le chef de tribu convoqua le jeune L'Alchimiste apparut alors que la lune étranger et lui remit cinquante pièces d'or.

était déjà haut dans le ciel. Il portait à

Puis il rappela de nouveau l'histoire de l'épaule deux éperviers morts.

Joseph en Egypte et demanda au jeune

«Me voici, dit le jeune homme.

homme d'être désormais le Conseiller de

— Tu ne devrais pas être ici, répondit l'Oasis.

l'Alchimiste. Ou est-ce que ta Légende Personnelle voulait que tu viennes jusqu'en ce lieu?

— Il y a une guerre entre les clans. Il n'est pas possible de traverser le désert. »

L'Alchimiste descendit de cheval et fit un signe pour inviter le jeune homme à

entrer avec lui. C'était une tente semblable à toutes celles qu'il avait pu voir dans l'Oa-155

sis — à l'exception de la grande tente cen-Le jeune homme comprit. Ainsi, un trale, dont le luxe évoquait les contes de autre homme était là, sur sa route, pour le fées. Il chercha du regard des appareils et conduire jusqu'à sa Légende Personnelle.

des fours d'alchimie, mais ne vit rien de

«Vous allez donc m'apprendre?

semblable. Il y avait seulement quelques

— Non. Tu sais déjà tout ce qu'il y a à

piles de livres, un fourneau pour faire la savoir. Je vais simplement te mettre sur la cuisine, et des tapis ornés de dessins mys-voie, dans la direction de ton trésor.

térieux.

— Il y a la guerre entre les clans, répéta

«Assieds-toi, je vais faire du thé, dit l'Al-le jeune homme.

chimiste. Et nous mangerons ensemble ces

— Mais je connais le désert.

éperviers. »

— J'ai déjà trouvé mon trésor. J'ai un Le jeune homme se demanda si ce

chameau, l'argent de la boutique de cris-n'étaient pas les mêmes oiseaux qu'il avait taux, et cinquante pièces d'or. Je peux être vus la veille, mais il ne dit rien. L'Al-un homme riche dans mon pays.

chimiste alluma le feu, et bientôt une

— Mais rien de tout cela ne se trouve délectable odeur de viande se répandit près des Pyramides.

dans la tente. C'était plus agréable encore

— J'ai Fatima. C'est un plus grand tré-que le parfum des narguilés.

sor que tout ce que j'ai réussi à acquérir.

«Pourquoi vouliez-vous me voir? de-

— Elle non plus n'est pas près des Pyra-manda le jeune homme.

mides. »

— A cause des signes, répondit l'Alchi-Ils mangèrent les éperviers en silence.

miste. Le vent m'a conté que tu allais venir.

L'Alchimiste ouvrit une bouteille et versa Et que tu aurais besoin d'aide.

un liquide rouge dans le verre de son

— Non, ce n'est pas moi. C'est l'autre invité. C'était du vin, et l'un des meilleurs étranger, l'Anglais. C'est lui qui était à

qu'il eût jamais bus de son existence. Mais votre recherche.

le vin était interdit par la loi.

— Il devra trouver d'autres choses avant

« Le mal, dit l'Alchimiste, ce n'est pas ce de me trouver, moi. Mais il est sur la bonne qui entre dans la bouche de l'homme. Le voie. Il s'est mis à regarder le désert.

mal est dans ce qui en sort. »

— Et moi ?

De boire, le jeune homme commençait à

— Quand on veut une chose, tout l'Uni-se sentir tout à fait bien. Mais l'Alchimiste vers conspire à nous permettre de réaliser lui faisait un peu peur. Ils allèrent s'as-notre rêve », dit l'Alchimiste, reprenant les seoir à l'extérieur de la tente, à contempler mots du vieux roi.

le clair de lune qui faisait pâlir les étoiles.

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« Bois et prends un peu de bon temps, dit l'Alchimiste, notant que le jeune homme devenait de plus en plus gai. Repose-toi, comme se repose toujours un guerrier avant d'aller au combat. Mais n'oublie pas que ton cœur est là où se trouve ton trésor.

Et que ton trésor doit absolument être trouvé pour que tout ce que tu as découvert en chemin puisse avoir un sens.

«Demain, vends ton chameau et achète un cheval. Les chameaux sont traîtres : ils Le lendemain soir, le jeune homme font des milliers de pas sans laisser voir arriva à cheval devant la tente de l'Alchi-aucun signe de fatigue. Et puis, tout d'un miste. Il attendit un peu et celui-ci apparut coup, ils tombent à genoux et meurent.

à son tour, monté de même, le faucon per-Les chevaux, eux, se fatiguent peu à peu.

ché sur son épaule gauche.

Et tu sauras toujours combien tu peux

«Montre-moi la vie dans le désert, dit encore leur demander, et le moment où ils l'Alchimiste. Seul celui qui peut y trou-vont mourir. »

ver la vie peut aussi y découvrir des trésors. »

Ils se mirent en route dans les sables, baignés tous deux par la clarté lunaire. «Je ne sais pas si je vais réussir à trouver de la vie dans le désert, pensa le jeune homme.

Je ne connais pas encore le désert. »

Il voulut se retourner pour faire part de cette réflexion à l'Alchimiste, mais il avait peur de lui. Ils parvinrent à l'endroit rocailleux où il avait vu les éperviers dans le ciel; maintenant, tout y était silence et vent.

« Je n'arrive pas à rencontrer la vie dans le désert, dit le jeune homme. Je sais qu'elle existe, mais je n'arrive pas à la trouver.

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— La vie attire la vie », répondit l'Alchi-remit aussitôt debout. Sa main tenait un miste.

serpent par la queue.

Et le jeune homme comprit ce qu'il vouLe jeune homme fit un bond lui aussi, lait dire. Sur l'instant, il lâcha les rênes à

mais en arrière. Le serpent se débattait son cheval, qui se mit alors à cheminer à

frénétiquement, avec des bruits et des sa guise au milieu des pierres et du sable.

sifflements qui rompaient le silence du L'Alchimiste suivait en silence, et le cheval désert. C'était un naja, dont le venin pou-du jeune garçon avança ainsi durant une vait tuer un homme en quelques minutes.

demi-heure. Les deux hommes ne pou-

«Attention au venin», vint à penser le vaient déjà plus distinguer les palmiers de jeune homme. Mais l'Alchimiste, qui avait l'Oasis; il n'y avait que cette fantastique mis sa main dans le trou, devait déjà avoir clarté du ciel, et les rochers qu'elle faisait été mordu. Sa physionomie était pourtant briller comme de l'argent. Soudain, en un parfaitement sereine. « L'Alchimiste est âgé

site où il n'était encore jamais venu, le de deux cents ans», avait dit l'Anglais. Il jeune homme sentit que sa monture s'arrê-devait savoir comment agir avec les ser-tait.

pents du désert.

« Ici, la vie existe, dit-il à l'Alchimiste. Je Le jeune homme vit son compagnon ne connais pas le langage du désert, mais retourner à son cheval et prendre sa lon-mon cheval connaît le langage de la vie. »

gue épée en forme de croissant de lune, Ils mirent pied à terre. L'Alchimiste ne avec laquelle il traça un cercle sur le sol. Il dit rien. Il se mit à regarder les pierres, en posa le serpent à l'intérieur de ce cercle, et avançant lentement. Tout à coup, il s'ar-le reptile s'immobilisa aussitôt.

rêta et se baissa avec les plus grandes pré-

« Ne t'inquiète pas, dit l'Alchimiste. Il ne cautions. Il y avait un trou dans le sol, sortira pas de là. Et tu as découvert la vie entre les pierres; l'Alchimiste y enfila sa dans le désert, le signe qu'il me fallait.

main, puis tout le bras, jusqu'à l'épaule.

— Pourquoi était-ce si important ?

Quelque chose bougea, là-bas au fond, et

— Parce que les Pyramides sont au mi-les yeux de l'Alchimiste (il ne pouvait voir lieu du désert. »

que ses yeux) se plissèrent, témoignant de Le jeune homme n'avait pas envie d'en-l'effort qu'il faisait. Le bras semblait lutter tendre parler des Pyramides. Son cœur avec ce qui se trouvait à l'intérieur du était lourd et triste depuis la veille au soir.

trou. Et, d'un bond, qui effraya son com-Poursuivre sa quête du trésor signifiait en pagnon, l'Alchimiste retira son bras et se effet devoir abandonner Fatima.

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« Je vais te guider à travers le désert, lui Légende Personnelle. Tu passeras des dit alors l'Alchimiste.

nuits et des nuits à errer dans l'Oasis, et

— Je veux rester dans l'Oasis, répondit Fatima sera une femme triste parce que le jeune homme. J'ai rencontré Fatima. Et ton parcours, à cause d'elle, aura été inter-pour moi elle vaut plus que le trésor.

rompu. Mais tu continueras à l'aimer, et

— Fatima est une fille du désert. Elle cet amour sera partagé. Tu te souviendras sait que les hommes doivent partir, pour qu'elle ne t'avait jamais demandé de res-pouvoir revenir. Elle a déjà trouvé son tré-ter, parce que la femme du désert sait sor : c'est toi. Maintenant, elle attend de toi attendre le retour de son homme. Tu ne lui que tu trouves ce que tu cherches.

en voudras donc pas. Mais tu marcheras,

— Et si je décide de rester?

des nuits et des nuits, dans les sables du

— Tu seras le Conseiller de l'Oasis. Tu désert, au milieu des palmiers, en pensant possèdes assez d'or pour acheter un bon que tu aurais peut-être pu continuer ta nombre de moutons et de chameaux. Tu route, te fier davantage à ton amour pour épouseras Fatima et vous vivrez heureux Fatima. Car ce qui t'aura fait rester dans pendant la première année. Tu apprendras l'Oasis, c'était seulement ta propre crainte à aimer le désert et tu connaîtras, un par de ne jamais revenir. Et, quand tu en seras un, les cinquante mille palmiers. Tu com-là, les signes t'indiqueront que ton trésor prendras comment ils croissent et ils te est enfoui à jamais sous la terre.

feront voir un monde qui ne cesse de chan-

«La quatrième année, les signes t'aban-ger. Et alors, tu déchiffreras de mieux en donneront, parce que tu n'auras pas voulu mieux les signes, parce que le désert est un les entendre. Les chefs de tribus le com-plus grand maître que tous les maîtres.

prendront, et tu seras destitué de ta charge

«La deuxième année, tu te rappelleras au Conseil. Tu seras alors un riche com-l'existence d'un trésor. Les signes commerçant, possesseur de nombreux cha-menceront à t'en parler avec insistance, et meaux et de marchandises en abondance.

tu essaieras de ne pas en tenir compte. Tu Mais tu passeras le reste de tes jours à

te serviras de tes connaissances unique-errer au milieu des palmiers et du désert, ment pour le bien de l'Oasis et de ses habi-en sachant que tu n'auras pas accompli ta tants. Les chefs de tribus t'en sauront gré.

Légende Personnelle et qu'il sera désor-Tes chameaux t'apporteront richesse et mais trop tard pour le faire.

pouvoir.

« Sans avoir jamais compris que l'Amour,

«La troisième année, les signes conti-en aucun cas, n'empêche un homme de nueront à parler de ton trésor et de ta suivre sa Légende Personnelle. Quand cela 162

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arrive, c'est que ce n'était pas le véritable Amour, celui qui parle le Langage du Monde. »

L'Alchimiste effaça le cercle qu'il avait tracé sur le sable, et le cobra s'enfuit rapidement pour disparaître entre les pierres.

Le jeune homme songeait au Marchand de Cristaux, qui avait toujours voulu aller Le jeune homme ne put dormir cette à La Mecque, à l'Anglais qui était à la nuit-là. Deux heures avant l'aube, il ré-recherche d'un Alchimiste. Il songeait à

veilla l'un des garçons qui dormaient une femme qui se fiait au désert et à qui le dans la même tente et lui demanda de désert avait un jour amené celui qu'elle lui indiquer où habitait Fatima. Ils sorti-souhaitait aimer.

rent tous deux et se rendirent jusque-là.

Ils remontèrent à cheval, et cette fois ce En échange, il donna à son guide de quoi fut le jeune homme qui suivit l'Alchimiste.

acheter une brebis.

Le vent apportait les bruits de l'Oasis, et il Puis il le pria de trouver l'endroit où

essayait de reconnaître la voix de Fatima.

dormait la jeune fille, de la réveiller, et de Ce jour-là, il n'était pas allé au puits, à

lui dire qu'il l'attendait dehors. Le jeune cause de la bataille.

Arabe exécuta sa mission et reçut en paie-Mais, au cours de cette nuit, tandis qu'ils ment l'argent nécessaire à l'achat d'une regardaient un serpent à l'intérieur d'un autre brebis.

cercle, l'étrange cavalier avec son faucon

«Maintenant, laisse-nous seuls», dit-il sur l'épaule avait parlé d'amour et de tré-au garçon, qui retourna à sa tente pour se sors, des femmes du désert et de sa recoucher, tout fier d'avoir aidé le ConseilLégende Personnelle.

ler de l'Oasis et bien content d'avoir de

«Je vais avec vous», dit le jeune homme.

quoi s'acheter des moutons.

Et, immédiatement, il sentit la paix s'ins-Fatima apparut à la porte de la tente. Ils taller dans son cœur.

partirent ensemble marcher au milieu

«Nous partirons demain avant le lever des palmiers. Il savait que c'était contre du soleil. »

la Tradition, mais cela n'avait maintenant Ce fut la seule réponse de l'Alchimiste.

plus aucune importance.

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«Je vais partir, dit-il. Et je veux que tu Fatima rentra dans sa tente. D'ici peu, le saches que je reviendrai. Je t'aime parce soleil allait paraître. Au lever du jour, elle que...

sortirait faire ce qu'elle faisait depuis des

— Ne dis rien, interrompit Fatima. On années ; mais tout avait changé. Le garçon aime parce qu'on aime. Il n'y a aucune rain'était plus dans l'Oasis, et l'Oasis n'aurait son pour aimer. »

plus la signification qu'elle avait jusque-là, Mais lui, pourtant, reprit :

bien peu auparavant. Ce ne serait plus cet

«Je t'aime parce que j'avais fait un rêve, endroit, de cinquante mille palmiers dat-puis j'ai rencontré un roi, j'ai vendu des tiers et trois cents puits, où les pèlerins cristaux, j'ai traversé le désert, les clans étaient heureux d'arriver au terme d'un sont entrés en guerre, et je suis venu près long voyage. L'Oasis, à partir de ce jour, d'un puits pour savoir où habitait un serait pour elle un lieu vide.

Alchimiste. Je t'aime parce que tout l'Uni-De ce jour, le désert serait plus important vers a conspiré à me faire arriver jusqu'à

que l'Oasis. Elle passerait son temps à

toi. »

regarder le désert, en se demandant sur Ils s'étreignirent. C'était la première fois quelle étoile le garçon se guidait, à la que leurs corps se touchaient.

recherche du trésor. Elle lui adresserait ses

«Je reviendrai, dit encore le jeune homme.

baisers par le vent, en espérant que celui-ci

— Avant, il y avait du désir en moi toucherait le visage du jeune homme et lui quand je regardais le désert. Maintenant, dirait qu'elle était vivante, qu'elle l'attence sera de l'espoir. Mon père est parti un dait, comme une femme attend un homme jour, il est ensuite revenu vers ma mère, et de courage qui suit sa route, en quête de il revient encore à chaque fois. »

songes et de trésors.

Ils ne dirent plus rien. Ils marchèrent un De ce jour, le désert ne serait qu'une peu dans la palmeraie et le jeune homme seule chose : l'espérance de son retour.

la reconduisit à l'entrée de sa tente.

«Je reviendrai comme ton père est revenu vers ta mère », lui dit-il.

Il s'aperçut que les yeux de Fatima étaient pleins de larmes.

« Tu pleures ?

— Je suis une femme du désert, répondit-elle, cachant son visage. Mais, avant tout, je suis une femme. »

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homme voyait encore les palmiers dattiers, les puits, et le visage de la femme aimée. Il voyait l'Anglais et son laboratoire, et le chamelier qui était un maître et ne le savait pas. «Peut-être l'Alchimiste n'a-t-il jamais aimé », pensa-t-il.

Celui-ci allait devant, le faucon sur son épaule. Le faucon connaissait parfaitement le langage du désert et, quand ils faisaient halte, il quittait l'épaule de l'Al-

«Ne pense pas à ce qui est resté en chimiste et s'envolait pour chercher de la arrière, dit l'Alchimiste, quand ils com-nourriture. Le premier jour, il rapporta un mencèrent à chevaucher dans les sables lièvre. Le lendemain, deux oiseaux.

du désert. Tout est gravé dans l'Ame du Le soir, ils étendaient leurs couvertures Monde et y restera pour toujours.

par terre, mais n'allumaient pas de feu. Les

— Les hommes rêvent du retour plus nuits du désert étaient froides, et devinrent que du départ, dit le jeune homme, qui, de plus en plus sombres à mesure que déjà, s'accoutumait de nouveau au silence la lune décroissait au firmament. Durant du désert.

toute une semaine, ils avancèrent en

— Si ce que tu as trouvé est fait de silence, ne parlant que des précautions matière pure, cela ne pourrira jamais. Et devenues indispensables pour éviter de se tu pourras y revenir un jour. Si ce n'est trouver pris dans les combats. La guerre qu'un instant de lumière, comme l'explo-des clans continuait, et le vent apportait sion d'une étoile, alors tu ne retrouve-parfois l'odeur douceâtre du sang. Une ras rien à ton retour. Mais tu auras vu bataille avait dû être livrée dans les envi-une explosion de lumière. Et cela seul rons, et le vent rappelait au jeune homme aura déjà valu la peine d'être vécu. »

l'existence du Langage des Signes, tou-L'homme parlait dans la langue de l'al-jours prêt à montrer ce que ses yeux ne chimie. Mais son compagnon de route pouvaient voir.

savait qu'il faisait allusion à Fatima.

Au soir du septième jour de voyage, l'Al-Il était difficile de ne pas penser à ce chimiste décida de bivouaquer plus tôt que qui était resté en arrière. Le désert, avec de coutume. Le faucon partit en quête de son paysage presque toujours semblable, gibier. L'Alchimiste tira son bidon d'eau et ne cessait de s'emplir de rêves. Le jeune en offrit au jeune homme.

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«Te voici bientôt parvenu au terme de pour que personne ne pût voir la lueur des ton voyage, dit-il. Tu as suivi ta Légende flammes.

Personnelle : je t'en félicite.

«Je suis un Alchimiste parce que je suis

— Mais vous me guidez sans rien dire.

un Alchimiste, dit-il tandis qu'ils prépa-J'ai cru que vous alliez m'enseigner ce que raient leur repas. J'ai appris cette science vous savez. Il y a quelque temps, je me suis de mes aïeux, qui l'avaient apprise de leurs trouvé dans le désert en compagnie d'un aïeux, et ainsi de suite depuis la création homme qui possédait des livres d'alchi-du monde. En ce temps-là, toute la science mie. Mais je n'ai rien pu apprendre.

du Grand Œuvre pouvait s'inscrire sur

— Il n'y a qu'une façon d'apprendre, une simple émeraude. Mais les hommes répondit l'Alchimiste. C'est par l'action.

n'ont pas attaché d'importance aux choses Tout ce que tu avais besoin de savoir, c'est simples, et ont commencé à écrire des trai-le voyage qui te l'a enseigné. Il ne manque tés, des interprétations, des études phiqu'une seule chose. »

losophiques. Ils ont aussi commencé à pré-Le jeune homme voulut savoir ce que tendre qu'ils connaissaient la voie mieux c'était, mais l'Alchimiste garda les yeux que les autres.

fixés sur l'horizon, guettant le retour du

— Qu'y avait-il d'écrit sur la Table faucon.

d'Emeraude?» demanda le jeune homme.

«Pourquoi vous nomme-t-on l'AlchiL'Alchimiste entreprit alors de dessiner miste ?

sur le sable, et ce travail ne lui prit pas

— Parce que je le suis.

plus de cinq minutes. Cependant qu'il des-

— Et qu'est-ce qui n'allait pas, pour les sinait, le jeune homme se souvint du vieux autres alchimistes, qui cherchaient l'or et roi et de la place où ils s'étaient un jour qui ont échoué ?

rencontrés; cela semblait remonter à des

— Ils se contentaient de chercher l'or.

années et des années.

Ils cherchaient le trésor de leur Légende

«Voilà ce qui était inscrit sur la Table Personnelle, sans désirer vivre la Légende d'Emeraude », dit l'Alchimiste, quand il eut elle-même.

terminé.

— Qu'est-ce qui manque encore à mon Le jeune homme s'approcha et lut les savoir? » insista le jeune homme.

mots écrits sur le sable.

Mais l'Alchimiste continua de fixer l'ho-

«C'est un code, dit-il, quelque peu déçu rizon. Au bout d'un certain temps, le fau-par la Table d'Emeraude. On dirait ce qu'il con revint avec une proie. Ils creusèrent y avait dans les livres de cet Anglais.

un trou et allumèrent le feu à l'intérieur,

— Non, répondit l'Alchimiste. C'est 170

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comme le vol des éperviers: cela ne doit pas être compris par la seule raison. La Table d'Emeraude est un passage direct vers l'Ame du Monde.

« Les sages ont compris que ce monde naturel n'est qu'une image et une copie du Paradis. Le seul fait que ce monde existe est la garantie qu'existe un monde plus parfait que lui. Dieu l'a créé pour que, par l'intermédiaire des choses visibles, les hommes puissent comprendre Ses ensei-Ils cheminèrent en silence deux journées gnements spirituels et les merveilles de Sa encore. L'Alchimiste se montrait beaucoup sagesse. C'est cela que j'appelle l'Action.

plus circonspect, car ils approchaient de

— Est-ce qu'il faut que je comprenne la zone des combats les plus violents. Et la Table d'Emeraude? demanda le jeune le jeune homme s'efforçait d'écouter son homme.

cœur.

— Peut-être, si tu étais dans un labora-C'était un cœur difficile à entendre.

toire d'alchimie, serait-ce maintenant le Auparavant, il était toujours prêt au départ, bon moment pour étudier la meilleure et maintenant il voulait arriver à tout prix.

manière d'entendre la Table d'Emeraude.

Certaines fois, son cœur restait longtemps Mais tu es dans le désert. Plonge-toi donc plutôt dans le désert. Il sert à la compré-

à raconter des histoires pleines de nostal-hension du monde aussi bien que n'im-gie, d'autres fois il s'émouvait du lever du porte quelle autre chose sur terre. Tu n'as soleil dans le désert, et faisait pleurer même pas besoin de comprendre le désert : le jeune homme en cachette. Il battait il suffit de contempler un simple grain de plus vite quand il lui parlait du trésor, et sable, et tu verras en lui toutes les mer-ralentissait lorsque les yeux du garçon se veilles de là Création.

perdaient dans l'horizon infini du désert.

— Comment dois-je faire pour me plon-Mais il ne se taisait jamais, même si le ger au sein du désert ?

jeune homme n'échangeait pas un seul

— Ecoute ton cœur. Il connaît toute mot avec l'Alchimiste.

chose, parce qu'il vient de l'Ame du

«Pourquoi devons-nous écouter notre Monde, et qu'un jour il y retournera. »

cœur? demanda-t-il ce soir-là quand ils firent halte.

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— Parce que, là où sera ton cœur, là

— Alors, pourquoi dois-je écouter mon sera ton trésor.

cœur?

— Mon cœur est agité, dit le jeune

— Parce que tu n'arriveras jamais à le homme. Il fait des rêves, il se trouble, et il faire taire. Et même si tu feins de ne pas est amoureux d'une fille du désert. Il me entendre ce qu'il te dit, il sera là, dans ta demande des choses, me laisse des nuits et poitrine, et ne cessera de répéter ce qu'il des nuits sans dormir quand je pense à

pense de la vie et du monde.

elle.

— Même en étant un traître ?

— C'est bien. Ton cœur est vivant. Conti-

— La trahison, c'est le coup auquel nue à écouter ce qu'il a à te dire. »

tu ne t'attends pas. Si tu connais bien ton Au cours des trois journées suivantes, ils cœur, il n'arrivera jamais à te surprendre croisèrent plusieurs guerriers et en aper-ainsi. Car tu connaîtras ses rêves et ses çurent d'autres à l'horizon. Le cœur du désirs, et tu sauras en tenir compte. Per-jeune homme commença à parler de peur.

sonne ne peut fuir son cœur. C'est pour-Il lui contait des histoires qu'il avait enten-quoi il vaut mieux écouter ce qu'il dit.

dues de l'Ame du Monde, des histoires Pour que ne vienne jamais te frapper un d'hommes partis à la recherche de leurs coup auquel tu ne t'attendrais pas. »

trésors et qui ne les avaient jamais trouvés.

Parfois, il l'effrayait de la pensée qu'il Le jeune homme continua donc à écouter pourrait bien ne jamais parvenir jusqu'au son cœur, tandis qu'ils cheminaient dans trésor, ou qu'il pourrait trouver la mort le désert. Il parvint à connaître ses ruses et ses stratagèmes, et finit par l'accepter dans le désert. Ou bien encore, il lui disait comme il était. Alors, il cessa d'avoir peur qu'il était maintenant satisfait, qu'il avait et cessa d'avoir envie de retourner sur ses déjà rencontré un amour et gagné de nom-pas, car un certain soir son cœur lui dit breuses pièces d'or.

qu'il était content. «Même si je me plains

«Mon cœur est traître, dit le jeune un peu, disait son cœur, c'est seulement homme à l'Alchimiste, quand ils s'arrêtè-que je suis un cœur d'homme, et les cœurs rent pour laisser reposer un peu leurs che-des hommes sont ainsi. Ils ont peur de vaux. Il ne veut pas que je continue.

réaliser leurs plus grands rêves, parce

— C'est bien, répondit l'Alchimiste. Cela qu'ils croient ne pas mériter d'y arriver, ou prouve que ton cœur vit. Il est normal ne pas pouvoir y parvenir. Nous, les d'avoir peur d'échanger contre un rêve cœurs, mourons de peur à la seule pensée tout ce que l'on a déjà réussi à obtenir.

d'amours enfuies à jamais, d'instants qui 174

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auraient pu être merveilleux et qui ne l'ont trouvé dans un simple grain de sable du pas été, de trésors qui auraient pu être désert, comme l'avait dit l'Alchimiste.

découverts et qui sont restés pour toujours Parce qu'un grain de sable est un instant enfouis dans le sable. Car, quand cela se de la Création, et que l'Univers a mis produit, nous souffrons terriblement, pour des millions et des millions d'années à le finir. »

créer.

«Chaque homme sur terre a un trésor

« Mon cœur craint de souffrir, dit le jeune qui l'attend, lui dit son cœur. Nous, les homme à l'Alchimiste, une nuit qu'ils cœurs, en parlons rarement, car les hom-regardaient le ciel sans lune.

mes ne veulent plus trouver ces trésors.

— Dis-lui que la crainte de la souffrance Nous n'en parlons qu'aux petits enfants.

est pire que la souffrance elle-même. Et Ensuite, nous laissons la vie se charger de qu'aucun cœur n'a jamais souffert alors conduire chacun vers son destin. Malheu-qu'il était à la poursuite de ses rêves, parce reusement, peu d'hommes suivent le che-que chaque instant de quête est un instant min qui leur est tracé, et qui est le chemin de rencontre avec Dieu et avec l'Eternité.

de la Légende Personnelle et de la félicité.

— Chaque instant de quête est un ins-La plupart voient le monde comme quel-tant de rencontre, dit le jeune homme à

que chose de menaçant et, pour cette raison cœur. Pendant que je cherchais mon son même, le monde devient en effet une trésor, tous les jours ont été lumineux chose menaçante. Alors, nous, les cœurs, parce que je savais que chaque heure fai-commençons à parler de plus en plus bas, sait partie du rêve de le trouver. Pendant mais nous ne nous taisons jamais. Et nous que je cherchais mon trésor, j'ai découvert faisons des vœux pour que nos paroles ne en chemin des choses que je n'aurais soient pas entendues : nous ne voulons pas jamais songé rencontrer si je n'avais eu le que les hommes souffrent pour n'avoir pas courage de tenter des choses impossibles suivi la voie que nous leur avions indiquée.

aux bergers. »

— Pourquoi les cœurs ne disent-ils pas Alors, son cœur demeura en paix tout un aux hommes qu'ils doivent poursuivre leurs après-midi durant. Et cette nuit-là il dor-rêves ? demanda le jeune homme à l'Alchi-mit calmement. Lorsqu'il s'éveilla, son miste.

cœur commença à lui raconter les choses

— Parce que, dans ce cas, c'est le cœur de l'Ame du Monde. Il dit que tout homme qui souffre le plus. Et les cœurs n'aiment heureux était un homme qui portait Dieu pas souffrir. »

en lui. Et que le bonheur pouvait être Le jeune homme, de ce jour, enten-176

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dit son cœur. Il lui demanda de ne jamais Chance du Débutant. Et s'achève toujours l'abandonner. Il lui demanda de se serrer par 1 Epreuve du Conquérant. »

dans sa poitrine lorsqu'il serait loin de ses rêves, et de lui donner le signal d'alarme.

Le jeune homme se souvint d'un vieux Et il jura que, chaque fois qu'il entendrait proverbe de son pays, qui disait que ce signal, il y prendrait garde.

1 heure la plus sombre est celle qui vient Cette nuit-là, il parla de tous ces sujets juste avant le lever du soleil.

avec l'Alchimiste. Et celui-ci comprit que le cœur du jeune homme était revenu à

l'Ame du Monde.

« Que dois-je faire maintenant ? demanda le jeune homme.

— Continue de marcher dans la direction des Pyramides, dit l'Alchimiste. Et reste attentif aux signes. Ton cœur est maintenant capable de te montrer le trésor.

— C'était donc cela, que je ne savais pas encore ?

— Non. Ce qui manque encore à ton savoir, dit l'Alchimiste, c'est ceci :

«Avant de réaliser un rêve, l'Ame du Monde veut toujours évaluer tout ce qui a été appris durant le parcours. Si elle agit ainsi, ce n'est pas par méchanceté à notre égard, c'est pour que nous puissions, en même temps que notre rêve, conquérir également les leçons que nous apprenons en allant vers lui. Et c'est le moment où la plupart des gens renoncent. C'est ce que nous appelons, dans le langage du désert : mourir de soif quand les palmiers de l'oasis sont déjà en vue à l'horizon.

«Une quête commence toujours par la 178

— La Pierre Philosophale, et l'Elixir de Longue Vie. C'est le Grand Œuvre des Alchimistes. Qui boit de cet élixir ne sera jamais malade, et un minuscule fragment de cette pierre transforme en or n'importe quel métal. »

Les trois hommes éclatèrent d'un grand rire, et l'Alchimiste rit avec eux. Ils avaient trouvé la réponse très amusante, et ils les laissèrent partir sans plus d'embarras, Le premier signe concret de danger se avec tout ce qu'ils possédaient.

manifesta dès le lendemain. Trois guer-

« Etes-vous fou ? demanda le jeune riers apparurent, qui, s'étant approchés, homme, quand ils furent à une certaine demandèrent aux deux voyageurs ce qu'ils distance. Pourquoi avez-vous répondu faisaient par là.

ainsi ?

«Je suis venu chasser avec mon faucon,

— Pour te montrer une loi du monde, répondit l'Alchimiste.

toute simple: quand nous avons de grands

— Nous devons vous fouiller, pour voir trésors sous les yeux, nous ne nous en si vous ne portez pas d'armes, fit l'un des apercevons jamais. Et sais-tu pourquoi?

guerriers. »

Parce que les hommes ne croient pas aux L'Alchimiste descendit de cheval, tout trésors. »

doucement. Son compagnon fit de même.

Ils poursuivirent leur marche dans le

«Pourquoi tant d'argent? demanda le désert. Au fur et à mesure que les jours guerrier en voyant la bourse du jeune passaient, le cœur du jeune homme de-homme.

venait de plus en plus silencieux : il ne se

— Pour aller jusqu'en Egypte», répon-souciait plus des choses du passé ou de dit celui-ci.

l'avenir, et se contentait de contempler L'homme qui fouillait l'Alchimiste trou-lui aussi le désert, de boire avec le jeune va un petit flacon de cristal rempli de homme à l'Ame du Monde. Son cœur et lui liquide et un œuf en verre, de couleur devinrent de grands amis, incapables jaune, à peine plus gros qu'un œuf de désormais de se trahir l'un l'autre.

poule.

Quand le cœur parlait, c'était pour sti-

«Qu'est-ce que c'est que ça? demanda-muler et encourager le jeune homme qui t-il.

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trouvait parfois terriblement lassantes ces Certain soir, ils passèrent par le campe-longues journées de silence. Pour la prement de l'un des clans en guerre. Il y avait mière fois, le cœur vint à lui parler de ses partout des Arabes magnifiquement vêtus grandes qualités : le courage qu'il lui avait de blanc, leurs armes prêtes à servir.

fallu pour abandonner ses brebis, vivre sa Les hommes fumaient le narguilé et bavar-Légende Personnelle; et l'enthousiasme daient, parlant des combats. Personne dont il avait fait preuve dans la boutique ne prêta grande attention aux deux voya-aux cristaux.

geurs.

Il lui dit aussi une autre chose, que le

«Il n'y a aucun danger», dit le jeune jeune homme n'avait encore jamais re-homme, quand ils se furent un peu éloi-marquée: les dangers qu'il avait côtoyés, gnés.

et dont il ne s'était jamais aperçu. Une L'Alchimiste se mit en colère.

fois, il avait caché le pistolet dérobé à son

« Fie-toi à ton cœur, dit-il, mais n'oublie père, avec lequel, en effet, il risquait bien pas que tu es dans le désert. Quand les de se blesser. Et il lui rappela un jour où il hommes sont en guerre, l'Ame du Monde avait été souffrant, en pleine campagne : il entend elle aussi les cris des combats. Per-avait vomi, puis il avait dormi assez long-sonne n'est à l'abri des conséquences de temps ; or il y avait deux brigands un peu tout ce qui se passe sous le ciel. »

plus loin, qui avaient projeté de lui

«Tout est une seule et unique chose», voler ses moutons et de l'assassiner. Mais, pensa le jeune homme.

comme le jeune berger ne venait pas, ils avaient fini par s'en aller, croyant qu'il Et comme si le désert avait voulu prou-avait changé d'itinéraire.

ver que le vieil Alchimiste avait raison, deux cavaliers apparurent subitement der-

« Est-ce que les cœurs aident toujours les hommes ? demanda-t-il à l'Alchimiste.

rière les voyageurs.

— Ceux-là seulement qui vivent leur

« Vous ne pouvez pas aller plus loin, dit Légende Personnelle. Mais ils aident beau-l'un d'eux. Vous êtes ici dans la région où

coup les enfants, les ivrognes, les vieil-se livrent les combats.

lards.

— Je ne vais pas bien loin», dit l'Alchi-

— Cela veut donc dire que le danger miste, en regardant les guerriers droit dans n'existe pas ?

les yeux.

— Cela veut dire simplement que les Ils restèrent quelques instants sans rien cœurs font tout ce qu'ils peuvent», répon-dire, puis donnèrent leur accord pour la dit l'Alchimiste.

poursuite du voyage.

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Le jeune homme avait observé toute la évolué. Ne me demande pas pourquoi, je scène, fasciné.

l'ignore. Je sais seulement que ce qu'en-

«Vous les avez subjugués par le regard, seigne la Tradition est toujours juste. Ce dit-il.

sont les hommes qui n'ont pas su interpréter correctement les paroles des sages. Et,

— Les yeux montrent la force de l'âme », au lieu d'être le symbole de l'évolution, répondit l'Alchimiste.

l'or est devenu le signe des guerres.

C'était vrai, se dit le jeune homme. Il

— Les choses parlent de multiples s'était rendu compte qu'un homme, au langages, dit le jeune homme. J'ai vu le milieu de la foule des soldats, au campe-blatèrement du chameau n'être qu'un ment, avait son regard fixé sur l'Alchimiste blatèrement, puis devenir un signe de dan-et sur lui-même. Il était pourtant si loin ger, et redevenir enfin un simple blatère-qu'on distinguait fort mal ses traits. Mais il ment. »

était absolument certain que cet homme Mais il se tut. L'Alchimiste devait savoir les observait.

tout cela.

Finalement, alors qu'ils s'apprêtaient à

«J'ai connu de véritables alchimistes, franchir une chaîne montagneuse qui s'al-reprit ce dernier. Ils s'enfermaient dans longeait sur tout l'horizon, l'Alchimiste dit leurs laboratoires et tentaient d'évoluer qu'ils étaient maintenant à deux jours de comme l'or ; ils découvraient la Pierre Phi-marche des Pyramides.

losophale. Cela, parce qu'ils avaient com-

«Si nous devons nous séparer bientôt, pris que, lorsqu'une chose évolue, tout ce enseignez-moi l'Alchimie, demanda le jeune qui est autour évolue de même. D'autres homme.

ont réussi par accident à trouver la Pierre.

— Tu sais déjà ce qu'il y a à savoir. Il Ils avaient le don, leur âme était plus n'y a qu'à pénétrer dans l'Ame du Monde éveillée que celle des autres personnes.

et découvrir le trésor qu'elle a réservé à

Mais ceux-là ne comptent pas, car ils sont chacun de nous.

rares. D'autres, enfin, cherchaient seule-

— Ce n'est pas cela que je veux savoir.

ment l'or; ceux-là n'ont jamais trouvé le Je parle de transformer le plomb en or. »

secret. Ils avaient oublié que le plomb, le L'Alchimiste respecta le silence du désert cuivre, le fer ont aussi leurs Légendes Per-et ne répondit au jeune homme qu'au sonnelles à accomplir. Et qui s'immisce moment où ils s'arrêtèrent pour manger.

dans la Légende Personnelle d'autrui ne

«Tout évolue, dans l'Univers. Et, pour découvrira jamais la sienne propre. »

ceux qui savent, l'or est le métal le plus 184

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Les paroles de l'Alchimiste sonnèrent autour du turban. Les visages étaient mas-comme une malédiction.

qués sous un autre voile bleu, qui ne lais-Il se baissa et ramassa un coquillage sur sait voir que les yeux.

le sol du désert.

Même à cette distance, les yeux mon-

« Ceci fut autrefois la mer, dit-il.

traient la force des âmes. Et ces yeux par-

— Je l'avais remarqué», rétorqua le laient de mort.

jeune homme.

L'Alchimiste lui demanda de porter le coquillage à son oreille. Il avait fait ce geste bien des fois, quand il était enfant, et il entendit le bruit de la mer.

«La mer est toujours à l'intérieur de cette coquille, parce que c'est sa Légende Personnelle. Et elle ne la quittera jamais, jusqu'à ce que le désert soit à nouveau recouvert par les flots. »

Ensuite, ils remontèrent à cheval, et s'en furent en direction des Pyramides d'Egypte.

Le soleil avait commencé à décliner quand le cœur du jeune homme donna le signal d'un danger. Ils étaient entourés de dunes énormes, et le garçon regarda l'Alchimiste; mais celui-ci, apparemment, n'avait rien remarqué. Cinq minutes plus tard, droit devant eux, il aperçut deux cavaliers dont les silhouettes se décou-paient sur le couchant. Avant qu'il eût pu dire quoi que ce fût à l'Alchimiste, les deux cavaliers étaient devenus dix, puis cent, et pour finir toute l'étendue des dunes en fut couverte.

C'étaient des guerriers vêtus de bleu, avec un triple anneau de couleur noire 186

Le jeune homme écoutait en silence. Il avait peur.

«Que fait un étranger en terre étrangère ? demanda l'un des hommes.

— J'ai apporté de l'argent pour l'offrir à

votre clan», intervint alors l'Alchimiste, avant que le jeune homme eût pu prononcer un seul mot.

Et, s'emparant de sa bourse, il donna les pièces d'or au chef. Celui-ci les prit sans Les deux voyageurs furent conduits rien dire. Il y avait là de quoi acheter un jusqu'à un campement militaire qui se grand nombre d'armes.

trouvait à proximité. Un soldat poussa l'Al-

«Qu'est-ce qu'un alchimiste? demanda chimiste et son compagnon à l'intérieur finalement l'Arabe.

d'une tente, bien différente de celles qui se

— Un homme qui connaît la nature et le trouvaient dans l'Oasis. Il y avait là un chef monde. S'il le voulait, il détruirait ce cam-de guerre entouré de son état-major.

pement en utilisant la seule force du vent. »

«Ce sont les espions, dit l'un des Les hommes rirent. Ils avaient l'habi-hommes.

tude des violences de la guerre, et savaient

— Nous ne sommes que des voyageurs, que le vent ne peut pas assener un coup répondit l'Alchimiste.

mortel. Pourtant, chacun sentit son cœur

— On vous a vus dans le camp ennemi il se serrer dans sa poitrine. C'étaient des y a trois jours. Et vous avez parlé à l'un hommes du désert, et ils avaient peur des des guerriers.

sorciers.

— Je suis un homme qui marche dans le

«J'aimerais voir une chose pareille, dit désert et qui connaît les étoiles, dit l'Alchi-le chef.

miste. Je n'ai aucune information sur les

— Il nous faut trois jours, répondit l'Al-troupes ou les mouvements des tribus. Je chimiste. Il va se transformer en vent, sim-guidais seulement mon ami jusqu'ici.

plement pour montrer la force de son

— Qui est ton ami ? demanda le chef.

pouvoir. S'il ne réussit pas, nous vous

— Un alchimiste, dit l'Alchimiste. Il offrons humblement nos vies, pour l'hon-connaît les pouvoirs de la nature. Et sou-neur de votre clan.

haite montrer au commandant ses extraor-

— Tu ne peux m'offrir ce qui m'appar-dinaires capacités. »

tient déjà», déclara le chef avec arrogance.

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Mais il concéda aux voyageurs le délai répandit en lui, cependant que l'Alchi-de trois jours.

miste prononçait quelques mots qu'il ne réussit pas à comprendre.

Le jeune homme, terrifié, était incapable

«Ne t'abandonne pas au désespoir, de faire un mouvement. L'Alchimiste dut dit l'Alchimiste, d'une voix étrangement le tenir par le bras pour l'aider à sortir de douce. Cela t'empêche de pouvoir conver-la tente.

ser avec ton cœur.

«Ne leur montre pas que tu as peur, lui

— Mais je ne sais pas me transformer dit-il. Ce sont des hommes braves, et ils en vent.

méprisent les lâches. »

— Celui qui vit sa Légende Personnelle Le jeune homme avait perdu la parole. Il sait tout ce qu'il a besoin de savoir. Il n'y a ne retrouva la voix qu'au bout d'un certain qu'une chose qui puisse rendre un rêve temps, alors qu'ils marchaient au milieu impossible : c'est la peur d'échouer.

du campement. Il était inutile de les tenir

— Je n'ai pas peur d'échouer. Simple-enfermés: les Arabes leur avaient simplement, je ne sais pas me transformer en ment retiré leurs chevaux. Ainsi, une fois vent.

de plus, le monde révéla ses innombrables

— Eh bien, il faudra que tu apprennes!

langages: le désert, jusque-là un espace Ta vie en dépend.

libre et sans limites, était maintenant une

— Et si je n'y arrive pas ?

muraille infranchissable.

— Tu mourras d'avoir vécu ta Légende

« Vous leur avez donné tout mon trésor !

Personnelle. Cela vaut bien mieux que de dit le jeune homme. Tout ce que j'avais pu mourir comme des millions de gens qui gagner pendant toute ma vie !

n'auront jamais rien su de l'existence

— Et à quoi cela te servirait-il si tu d'une Légende Personnelle. Mais ne t'in-devais mourir? Ton argent t'a sauvé pour quiète pas. En général, la mort fait que trois jours. Ce n'est pas si souvent que l'ar-l'on devient plus attentif à la vie. »

gent sert à retarder la mort. »

Mais le jeune homme était trop effrayé

Le premier jour s'écoula. Il y eut une pour pouvoir entendre des paroles de grande bataille dans les environs, et de sagesse. Il ne savait pas comment se trans-nombreux blessés furent amenés au cam-former en vent. Il n'était pas alchimiste.

pement. «Rien ne change avec la mort», L'Alchimiste demanda du thé à un guer-pensait le jeune homme. Les guerriers qui rier ; il en versa un peu sur les poignets du mouraient étaient remplacés par d'autres, jeune homme. Une onde de sérénité se et la vie continuait.

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«Tu aurais pu mourir plus tard, mon écouta son cœur. Et le désert écouta la ami, dit un combattant à la dépouille d'un peur qui l'habitait.

de ses camarades de combat. Tu aurais Tous deux parlaient la même langue.

pu mourir une fois la paix revenue. Mais tu serais mort de toute façon, en fin de Le troisième jour, le chef suprême ras-compte. »

sembla autour de lui ses principaux offi-Vers le soir, le jeune homme alla trouver ciers.

l'Alchimiste, qui emmenait le faucon avec

«Allons voir ce garçon qui se transforme lui dans le désert.

en vent, dit-il à l'Alchimiste.

« Je ne sais pas me transformer en vent,

— Allons ! » répondit celui-ci.

répéta-t-il encore.

Le jeune homme les conduisit à l'endroit

— Souviens-toi de ce que je t'ai dit : le où il était venu la veille. Puis il demanda à

monde n'est que la partie visible de Dieu.

tous de s'asseoir.

Et l'Alchimie, c'est simplement amener la

«Cela va demander un peu de temps, perfection spirituelle sur le plan matériel.

dit-il.

— Que faites-vous ?

— Nous ne sommes pas pressés, ré-

— Je nourris mon faucon.

pondit le chef suprême. Nous sommes des

— Si je ne réussis pas à me transformer hommes du désert. »

en vent, nous allons mourir, dit le jeune homme. A quoi bon nourrir le faucon ?

Le jeune homme se mit à regarder l'ho-

— Toi, tu mourras, répondit l'Alchi-rizon en face de lui. Il y avait des mon-miste. Moi, je sais me transformer en tagnes au loin, des dunes, des rochers, des vent. »

plantes rampantes qui s'obstinaient à vivre là où la survivance était improbable. Là

Le deuxième jour, le jeune homme était le désert, qu'il avait parcouru des grimpa au sommet d'un rocher qui se mois et des mois durant, et dont il ne trouvait près du camp. Les sentinelles le connaissait cependant qu'une toute petite laissèrent passer; elles avaient entendu partie. Dans cette petite partie, il avait ren-parler du sorcier qui se transformait en contré des Anglais, des caravanes, des lut-vent, et ne voulaient pas l'approcher. De tes de clans, et une oasis de cinquante plus, le désert constituait une grande mille palmiers dattiers et trois cents puits.

muraille infranchissable.

« Que me veux-tu aujourd'hui ? demanda Il passa le reste de l'après-midi de cette le désert. Ne nous sommes-nous pas assez deuxième journée à regarder le désert. Il contemplés hier ?

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— Tu gardes, quelque part, celle que désert. C'est cela qui fait que le plomb se j'aime. Alors, quand je regarde tes éten-transforme en or, et que l'or retourne se dues de sable, c'est elle que je contemple cacher sous la terre.

aussi. Je veux retourner vers elle et j'ai

— Je ne comprends pas tes paroles, dit besoin de ton aide pour me transformer en le désert.

vent.

— Alors, comprends du moins que,

— Qu'est-ce que l'amour? demanda le quelque part au milieu de tes sables, une désert.

femme m'attend. Et, pour répondre à son

— L'amour, c'est quand le faucon vole attente, je dois me transformer en vent. »

au-dessus de tes sables. Car, pour lui, tu Le désert resta quelques instants silen-es une campagne verdoyante, et il n'est cieux.

jamais revenu sans sa proie. Il connaît tes

« Je te donne mes sables pour que le vent rochers, tes dunes, tes montagnes, et tu es puisse souffler. Mais à moi seul, je ne puis généreux avec lui.

rien. Demande son aide au vent. »

— Le bec du faucon m'arrache des morceaux, dit le désert. Cette proie, je la nour-Une petite brise se mit à souffler. Les ris pendant des années, je l'abreuve du peu chefs de guerre observaient de loin le d'eau que j'ai, lui montre où elle peut trou-jeune homme, qui parlait une langue inver à manger; et, un beau jour, voici que le connue d'eux.

faucon descend du ciel, juste comme j'al-L'Alchimiste souriait.

lais sentir la caresse du gibier sur mes sables. Et le faucon emporte ce que j'avais Le vent arriva près du jeune homme et fait grandir.

lui effleura le visage. Il avait entendu sa

— Mais c'était précisément à cette fin conversation avec le désert, car les vents que tu avais nourri et fait grandir le gibier, savent toujours tout. Ils parcourent le répondit le jeune homme: pour alimen-monde sans avoir jamais de lieu de nais-ter le faucon. Et le faucon alimentera sance ni de lieu où mourir.

l'homme. Et l'homme alimentera un jour

«Aide-moi, dit le jeune homme. Un jour, tes sables, d'où naîtra à nouveau le gibier.

j'ai entendu en toi la voix de mon aimée.

Ainsi va le monde.

— Qui t'a appris à parler le langage du

— C'est cela, F amour?

désert et du vent ?

— C'est cela, oui. C'est ce qui fait que la

— Mon cœur », répondit le jeune homme.

proie se transforme en faucon, le faucon Le vent avait plusieurs noms. On l'appe-en homme, et l'homme à nouveau en lait ici le sirocco, parce que les Arabes 194

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croyaient qu'il venait des terres où l'eau quelques instants, demanda le jeune abondait, peuplées d'hommes à la peau homme. Pour que nous puissions parler noire. Dans le pays lointain d'où venait ensemble des possibilités illimitées des le jeune homme, on le nommait le levant, hommes et des vents. »

parce que les gens croyaient qu'il appor-Le vent était curieux, et c'était là quel-tait le sable du désert et les cris de guerre que chose qu'il ne connaissait pas. Il des Maures. Peut-être, ailleurs, loin des aurait aimé s'entretenir de ce sujet, mais il campagnes où paissaient les moutons, les ne savait pas comment transformer un hommes pensaient-ils que le vent naissait homme en vent. Et pourtant, il savait tant en Andalousie. Mais le vent ne venait de de choses ! Il construisait des déserts, fai-nulle part, n'allait nulle part, et c'est pour-sait sombrer des navires, abattait des quoi il était plus fort que le désert. Un jour, forêts entières, et flânait dans des villes on pourrait planter des arbres dans le pleines de musique et de bruits étranges. Il désert, et même y élever des moutons, croyait n'avoir point de limites, et voilà

mais on ne parviendrait jamais à dominer qu'était devant lui un jeune homme pour le vent.

affirmer que le vent pouvait faire d'autres

«Tu ne peux être le vent, dit-il au jeune choses encore.

homme. Nos natures sont différentes.

— Ce n'est pas vrai. J'ai appris les

«C'est ce que l'on appelle l'Amour, dit le secrets de l'Alchimie, tandis que je parcou-jeune homme, voyant que le vent était sur rais le monde avec toi. J'ai en moi les le point d'accéder à sa demande. C'est vents, les déserts, les océans, les étoiles, et quand on aime que l'on arrive à être tout ce qui a été créé dans l'Univers. Nous quelque chose de la Création. Quand on avons été faits par la même Main, et nous aime, on n'a aucun besoin de comprendre avons la même Ame. Je veux être comme ce qui se passe, car tout se passe alors à

toi, pénétrer partout, traverser les mers, l'intérieur de nous, et les hommes peuvent ôter le sable qui recouvre mon trésor, faire se transformer en vents. A condition que venir près de moi la voix de mon aimée.

les vents les aident, bien sûr. »

— J'ai entendu ta conversation avec Le vent était très orgueilleux, et ce que l'Alchimiste, l'autre jour. Il disait que cha-disait le jeune homme l'irrita. Il se mit à

que chose a sa Légende Personnelle. Les souffler plus fort, soulevant les sables du êtres humains ne peuvent se transformer désert. Mais il dut finalement reconnaître en vent.

que, même après avoir parcouru le monde

— Apprends-moi à être le vent pendant entier, il ne savait toujours pas transfor-196

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mer un homme en vent. Et il ne connais-

— Je veux voir la grandeur d'Allah, dit sait pas l'Amour.

le chef, avec du respect dans la voix. Je

«Au cours de mes promenades à travers veux voir la transformation d'un homme le monde, j'ai remarqué que beaucoup de en vent. »

gens parlaient de l'amour en regardant Mais il nota mentalement les noms de vers le ciel, dit le vent, furieux de devoir ces deux hommes qui avaient peur. Dès admettre ses limites. Peut-être vaudrait-il que le vent se calmerait, il les destituerait mieux demander au ciel.

de leurs commandements. Les hommes du

— Alors, aide-moi, demanda le jeune désert n'ont pas à avoir peur.

homme. Couvre ce lieu de poussière, pour que je puisse regarder le soleil sans être

«Le vent m'a dit que tu connaissais aveuglé. »

l'Amour, dit le jeune homme au Soleil. Si Le vent se mit donc à souffler très fort, et tu connais l'Amour, tu connais aussi l'Ame le ciel fut envahi par le sable : à la place du du Monde, qui est faite d'Amour.

soleil, il n'y avait plus qu'un disque doré.

— D'où je suis, répondit le Soleil, je peux voir l'Ame du Monde. Elle est en Dans le camp, il devenait difficile de dis-communication avec mon âme et, à nous tinguer quoi que ce fût. Les hommes du deux, nous faisons ensemble croître les désert connaissaient bien ce vent que plantes et avancer les brebis qui recher-l'on appelait le simoun et qui était pire chent l'ombre. D'où je suis (et je suis très qu'une tempête en mer; mais eux ne loin du monde), j'ai appris à aimer. Je sais connaissaient pas la mer. Les chevaux que, si je m'approche un peu plus de la hennissaient, les armes commencèrent à

Terre, tout ce qu'elle porte périra et l'Ame être recouvertes par le sable.

du Monde cessera d'exister. Alors, nous Sur le rocher, l'un des officiers se tourna nous regardons mutuellement et nous nous vers le chef suprême et dit :

aimons ; je lui donne vie et chaleur, elle me

«Il vaudrait peut-être mieux en rester donne une raison de vivre.

là.»

— Tu connais l'Amour, répéta le jeune Ils avaient déjà du mal à apercevoir le homme.

jeune homme. Tous les visages étaient

— Et je connais l'Ame du Monde, car entièrement masqués par les voiles bleus nous avons de longues conversations au et les regards n'exprimaient plus que la cours de ce voyage sans fin dans l'Univers.

frayeur.

Elle me dit que son plus grave problème

«Finissons-en, insista un autre officier.

est que, jusqu'ici, seuls les minéraux et les 198

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végétaux ont compris que tout est une

«Les alchimistes parviennent à réaliser seule et unique chose. Et, pour autant, il cette transformation. Ils nous montrent n'est pas nécessaire que le fer soit sem-que, lorsque nous cherchons à être meil-blable au cuivre et le cuivre semblable à

leurs que nous ne le sommes, tout devient l'or. Chacun remplit sa fonction exacte meilleur aussi autour de nous.

dans cette chose unique, et tout serait une

— Et pourquoi dis-tu que je ne connais Symphonie de Paix si la Main qui a écrit pas l'Amour ? demanda le Soleil.

tout cela s'était arrêtée au cinquième jour.

— Parce que l'Amour ne consiste pas à

«Mais il y a eu le sixième jour.

rester immobile comme le désert, ni à cou-

— Tu es savant parce que tu vois tout à

rir le monde comme le vent, ni à tout voir distance, dit le jeune homme. Mais tu ne de loin, comme toi. L'Amour est la force connais pas l'Amour. S'il n'y avait pas eu qui transforme et améliore l'Ame du de sixième jour, l'homme ne serait pas, le Monde. Quand je suis entré en elle pour la cuivre serait toujours du cuivre et le plomb première fois, j'ai cru qu'elle était parfaite.

toujours du plomb. Chacun a sa Légende Mais ensuite j'ai vu qu'elle était le reflet de Personnelle, c'est vrai, mais un jour cette tout ce qui a été créé, qu'elle avait aussi Légende Personnelle sera accomplie. Il ses guerres et ses passions. C'est nous qui faut donc se transformer en quelque chose alimentons l'Ame du Monde, et la terre sur de mieux, et avoir une nouvelle Légende laquelle nous vivons sera meilleure ou sera Personnelle jusqu'à ce que l'Ame du pire selon que nous serons meilleurs ou Monde soit réellement une seule et unique pires. C'est là qu'intervient la force de chose. »

l'Amour, car, quand nous aimons, nous Le Soleil resta songeur et se mit à briller voulons toujours être meilleurs que nous plus fort. Le vent, qui appréciait l'entre-ne sommes.

tien, souffla également plus fort, pour que

— Qu'attends-tu de moi? demanda le le Soleil n'aveuglât pas le jeune homme.

Soleil.

« Pour cela, il y a l'Alchimie, dit ce der-

— Que tu m'aides à me transformer en nier. Pour que chaque homme cherche son vent, répondit le jeune homme.

trésor, et le trouve, et veuille ensuite être

— La Nature me connaît comme la plus meilleur qu'il n'a été dans sa vie anté-savante de toutes les créatures, dit le rieure. Le plomb remplira son rôle jusqu'à

Soleil. Mais je ne sais comment te trans-ce que le monde n'ait plus besoin de former en vent.

plomb; alors, il devra se transformer en

— A qui dois-je m'adresser, alors ? »

or.

Le Soleil se tut un moment. Le vent 200

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écoutait, et allait répandre dans le monde ce qui était gravé sur une simple éme-entier que sa science était limitée. Il ne raude. Il savait que ces signes étaient dis-pouvait cependant pas échapper à ce jeune persés sur la Terre et dans l'Espace, qu'ils homme qui parlait le Langage du Monde.

n'avaient en apparence aucune raison

«Vois la Main qui a tout écrit», dit le d'être, aucune signification, que ni les Soleil.

déserts, ni les vents, ni les soleils, ni les hommes enfin ne savaient pourquoi ils Le vent poussa un cri de satisfaction et avaient été créés. Mais cette Main avait, souffla avec plus de force que jamais. Les elle, une raison pour tout cela, et elle seule tentes dressées sur le sable furent bientôt était capable d'opérer des miracles, de arrachées, tandis que les animaux se libé-transformer des océans en déserts, et des raient de leurs attaches. Sur le rocher, les hommes en vent. Parce qu'elle seule com-hommes s'agrippèrent les uns aux autres prenait qu'un dessein supérieur pous-pour éviter d'être emportés.

sait l'univers jusqu'à un point où les six jours de la création se transformeraient en Alors, le jeune homme se tourna vers la Grand Œuvre.

Main qui avait tout écrit. Et, au lieu de dire le moindre mot, il sentit que l'Univers Et le jeune homme se plongea dans demeurait silencieux, et demeura silen-l'Ame du Monde, et vit que l'Ame du cieux de même.

Monde faisait partie de l'Ame de Dieu, et Un élan d'amour jaillit de son cœur, et il vit que l'Ame de Dieu était sa propre âme.

se mit à prier. C'était une prière qu'il Et qu'il pouvait, dès lors, réaliser des n'avait encore jamais faite, car c'était une miracles.

prière sans parole, et par laquelle il ne demandait rien. Il ne remerciait pas Le simoun souffla ce jour-là comme d'avoir pu trouver un pâturage pour jamais encore il n'avait soufflé. Pendant ses moutons; il n'implorait pas d'arriver des générations, les Arabes contèrent la à vendre davantage de cristaux; il ne légende d'un jeune homme qui s'était demandait pas que la femme qu'il avait transformé en vent et qui avait failli balayer rencontrée attende son retour. Dans le un campement, défiant la puissance du plus silence qui s'ensuivit, il comprit que le important des chefs de guerre du désert.

désert, le vent, le soleil cherchaient aussi les signes que cette Main avait écrits, qu'ils Quand le simoun eut cessé de souffler, voulaient suivre leurs routes et entendre tous portèrent leurs regards vers l'endroit 202

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où se trouvait le jeune homme. Il n'était plus là, mais se trouvait à côté d'une sentinelle presque entièrement recouverte de sable qui surveillait l'autre côté du camp.

Les hommes étaient épouvantés par la sorcellerie. Deux personnes, cependant, souriaient: l'Alchimiste, parce qu'il avait trouvé son véritable disciple, et le chef suprême, parce que ce disciple avait entendu la gloire de Dieu.

Le lendemain, le chef fit ses adieux au Ils marchèrent toute une journée. A jeune homme et à l'Alchimiste, et les fit la tombée du soir, ils arrivèrent devant accompagner par une escorte jusqu'à l'en-un monastère copte. L'Alchimiste renvoya droit où ils souhaiteraient se rendre.

l'escorte et mit pied à terre.

«A partir d'ici, tu vas aller seul, dit-il. Il n'y a que trois heures de marche jusqu'aux Pyramides.

— Merci, dit le jeune homme. Vous m'avez appris le Langage du Monde.

— Je n'ai fait que te rappeler ce que tu savais déjà. »

L'Alchimiste frappa à la porte du monastère. Un moine tout habillé de noir vint leur ouvrir. Ils s'entretinrent un moment en langue copte, puis l'Alchimiste fit entrer le jeune homme.

« Je lui ai demandé de me laisser utiliser la cuisine pour un moment», dit-il.

Ils se rendirent à la cuisine du monastère. L'Alchimiste alluma le feu, et le moine apporta un peu de plomb, que l'Alchimiste fit fondre dans un récipient en fer. Quand le plomb fut devenu liquide, il prit dans son sac ce curieux œuf de verre 205

jaune qu'il avait. Il en racla une pellicule

— C'est là un remerciement qui va bien de l'épaisseur d'un cheveu, l'enveloppa de au-delà de ma générosité, dit le moine.

cire, et la jeta dans le récipient qui conte-

— Ne parlez jamais ainsi. La vie peut nait le plomb fondu. Le mélange prit une entendre, et vous donner moins une autre couleur rouge sang. L'Alchimiste, alors, fois. »

retira le récipient du feu et laissa refroidir.

Puis il s'approcha du jeune homme.

En attendant, il s'entretenait avec le moine

«Voici pour toi. Pour remplacer l'or de la guerre des clans.

qui est resté entre les mains du chef de

« C'est une guerre qui va durer», dit-il au guerre. »

moine.

Le jeune homme était sur le point de Celui-ci était contrarié. Il y avait long-dire que c'était beaucoup plus qu'il n'avait temps que les caravanes étaient immobili-perdu. Mais, ayant entendu ce que l'Alchisées à Gizeh, dans l'attente de la fin du miste venait de dire au moine, il s'abstint.

conflit.

« Cette portion est pour moi, dit l'Alchi-

«Mais que la volonté de Dieu soit faite, miste. Car je dois retourner en traversant dit le moine.

à nouveau le désert, et il y a toujours la

— Qu'il en soit ainsi », répondit l'Alchi-guerre entre les clans. »

miste. Quand la préparation eut refroidi, Il prit alors le quatrième morceau et le le moine et le jeune homme regardèrent donna encore au moine.

avec émerveillement: le métal avait séché

« Cette part est pour le garçon qui est là.

tout autour de la paroi interne du récipient, Au cas où il en aurait besoin.

mais ce n'était plus du plomb. C'était de

— Mais je vais chercher mon trésor, dit l'or.

le jeune homme. Et j'en suis maintenant

« Pourrai-je apprendre un jour à en faire tout proche.

autant? demanda le jeune homme.

— Et je suis bien sûr que tu vas le trou-

— C'est ma Légende Personnelle et non ver, dit l'Alchimiste.

la tienne, répondit l'Alchimiste. Mais je

— Alors, pourquoi cette part supplémen-voulais te montrer que c'est possible. »

taire ?

Ils retournèrent vers l'entrée du cou-

— Parce que, deux fois déjà, tu as perdu vent. Là, l'Alchimiste partagea le disque en l'argent que tu avais gagné au cours de ton quatre morceaux.

voyage : avec le voleur, et avec le chef de

« Ceci est pour vous, dit-il en présentant guerre. Je suis un vieil Arabe superstitieux, l'une des parts au moine. Pour votre géné-qui crois aux proverbes de mon pays. Et il rosité à l'égard des pèlerins.

en est un qui dit ceci : "Tout ce qui arrive 206

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une fois peut ne plus jamais arriver. Mais mort dans la dignité. Je peux aujourd'hui tout ce qui arrive deux fois arrivera certai-réaliser n'importe lequel de tes souhaits.

nement une troisième fois." »

«— La vie aussi a été bonne pour moi, Ils enfourchèrent leurs chevaux.

répondit le vieillard. Quand tu m'es apparu en songe, j'ai compris que tous mes

«Je voudrais te raconter une histoire à

efforts se trouvaient justifiés. Car les vers propos de rêves », dit l'Alchimiste.

de mon fils resteront dans la mémoire des Le jeune homme rapprocha son cheval.

hommes dans tous les siècles à venir. Je

«Dans la Rome ancienne, au temps de n'ai rien à demander pour moi; cepen-l'empereur Tibère, vivait un homme très dant, tout père s'enorgueillirait de consta-bon, qui avait deux fils : l'un s'était enrôlé

ter la renommée de celui dont il a pris soin dans l'armée et fut envoyé dans les pro-quand il était enfant et qu'il a éduqué

vinces les plus lointaines de l'Empire.

quand il était jeune homme. J'aimerais L'autre fils était poète et charmait Rome voir, dans un futur lointain, les paroles de par les beaux vers qu'il écrivait.

mon fils."

«Une nuit, le père fit un rêve. Un ange lui apparaissait, pour dire que les paro-

«L'ange toucha l'épaule du vieillard et les de l'un de ses fils seraient connues et ils furent tous deux projetés dans un futur répétées dans le monde entier par toutes lointain. Devant eux, apparut une im-les générations à venir. Le vieil homme mense place où des milliers de gens pars'éveilla en pleurant de joie, parce que la laient une langue étrange.

vie se montrait généreuse à son égard et

« Le vieil homme pleurait de joie.

qu'il avait eu la révélation de quelque

« "Je savais, dit-il à l'ange, que les vers chose qui remplirait de fierté n'importe de mon fils étaient beaux et immortels.

quel père.

Voudrais-tu me dire lequel de ses poèmes

«Peu de temps après, il mourut en ces gens sont en train de réciter?"

tentant de sauver un enfant qui allait être

«L'ange, alors, s'approcha de lui avec écrasé sous les roues d'un chariot. Comme beaucoup de gentillesse, et ils s'assirent il s'était conduit de façon juste et honnête sur l'un des bancs qu'il y avait sur cette tout au long de son existence, il alla tout vaste place.

droit au ciel et y rencontra l'ange qui lui

«"Les vers de ton fils, le poète, ont été

était apparu en rêve.

très populaires à Rome, dit l'ange. Tout le

« "Tu as été un homme bon, lui dit monde les aimait et y prenait plaisir. Mais, l'ange. Tu as vécu dans l'amour et tu es quand s'acheva le règne de Tibère, on les 208

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oublia. Les paroles que répètent ces gens L'Alchimiste fit avancer son cheval.

sont celles de ton autre fils, le soldat."

« Quoi qu'elle fasse, dit-il, toute personne

«Le vieillard regarda l'ange avec sur-sur terre joue toujours le rôle principal de prise.

l'Histoire du monde. Et normalement elle

« "Ton fils était allé servir dans une pron'en sait rien. »

vince éloignée et devint centurion. C'était Le jeune homme sourit. Il n'avait jamais lui aussi un homme juste et bon. Certain imaginé que la vie pût être si importante soir, l'un de ses serviteurs tomba malade pour un berger.

et fut près de mourir. Ton fils, alors, eut

«Adieu, dit l'Alchimiste.

connaissance d'un rabbi qui guérissait les

— Adieu», répondit-il.

malades, et il passa des jours et des jours à

le chercher. Au cours de ses pérégrinations, il découvrit que l'homme qu'il cherchait était le Fils de Dieu. Il rencontra d'autres personnes qui avaient été guéries par lui, s'initia à ses enseignements et, tout centurion romain qu'il était, se convertit à

sa foi. Finalement, un beau matin, il parvint auprès du Rabbi.

« "Il lui raconta que l'un de ses serviteurs était malade. Et le Rabbi se déclara prêt à

l'accompagner jusque chez lui. Mais le centurion était un homme de foi et, regardant le Rabbi au fond des yeux, il comprit qu'il se trouvait véritablement devant le Fils de Dieu, quand les gens qui se trouvaient à l'entour se levèrent.

«"Ce sont là les paroles de ton fils, dit l'ange au vieil homme. Les paroles qu'il dit au Rabbi à ce moment-là, et qui n'ont jamais été oubliées : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison, mais dites seulement une parole et mon serviteur sera sauvé." »

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car c'est là que je me trouve, et c'est là que se trouve ton trésor. »

Il se mit à gravir la dune lentement. Le ciel, tout étoile, était à nouveau éclairé par la pleine lune : ils avaient marché un mois entier dans le désert. La lune éclairait aussi la dune, en un jeu d'ombres qui donnait au désert l'apparence d'une mer hou-leuse et faisait se ressouvenir le jeune homme de ce jour où il avait lâché la bride Il chemina pendant deux heures et à son cheval et où il avait donné à l'Alchi-demie dans le désert, en essayant d'écouter miste le signe qu'il attendait. Le clair de attentivement ce que disait son cœur.

lune, enfin, baignait le silence du désert, et C'était lui qui allait lui révéler le lieu exact ce long voyage que font les hommes en quête de trésors.

où son trésor était caché.

Quand, au bout de quelques minutes, il

« Là où sera ton trésor, là sera également parvint au sommet de la dune, son cœur ton cœur», avait dit l'Alchimiste.

bondit dans sa poitrine. Illuminées par Mais son cœur parlait d'autres choses. Il la pleine lune et la blancheur du désert, contait avec orgueil l'histoire d'un berger majestueuses, imposantes, se dressaient qui avait quitté ses moutons pour suivre devant lui les Pyramides d'Egypte.

un rêve qu'il avait fait deux fois. Il parlait Il tomba à genoux et pleura. Il remer-de la Légende Personnelle et de tous ces ciait Dieu d'avoir cru à sa Légende Per-hommes qui avaient fait la même chose, sonnelle, et d'avoir certain jour rencontré

qui étaient partis à la recherche de terres un roi, puis un marchand, un Anglais, un lointaines ou de femmes belles, affrontant alchimiste. Et, par-dessus tout, d'avoir les hommes de leur époque, avec leurs rencontré une femme du désert, qui lui idées et leurs préjugés. Tout au long de ce avait fait comprendre que jamais l'Amour trajet, il parla de découvertes, de livres, de ne pourrait éloigner un homme de sa Lé-grands bouleversements.

gende Personnelle.

C'est alors qu'il se préparait à gravir une Tous les siècles des Pyramides contem-dune, et à ce moment-là seulement, que plaient, de leur hauteur, celui qui était là à

son cœur murmura à son oreille: «Fais leur pied. S'il le voulait, il pouvait mainte-bien attention à l'endroit où tu pleureras; nant retourner à l'Oasis, épouser Fatima 212

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et vivre comme un simple gardien de mou-continuait à croire en son cœur. Et son tons. Car l'Alchimiste vivait dans le désert, cœur lui avait dit de creuser où ses larmes alors même qu'il comprenait le Langage seraient tombées.

du Monde, alors même qu'il savait trans-Tout à coup, alors qu'il essayait de re-former le plomb en or. Il n'avait pas à

tirer quelques pierres qu'il avait mises au montrer à qui que ce fût sa science et son jour, il entendit des pas. Quelques hommes art. Tandis qu'il cheminait en direction s'approchèrent, que la lune éclairait à

de sa Légende Personnelle, il avait appris contre-jour. Il ne pouvait donc voir leurs tout ce qu'il avait besoin de savoir et il yeux, ni leurs visages.

avait vécu tout ce qu'il avait rêvé de vivre.

«Que fais-tu là?» demanda l'un des arMais il était arrivé à son trésor, et une rivants.

œuvre n'est achevée que lorsque l'objectif Il ne répondit pas. Mais il eut peur. Il est atteint. Là, au sommet de cette dune, il avait maintenant un trésor à déterrer, et avait pleuré. Il regarda par terre et vit qu'à

c'est pourquoi il avait peur.

l'endroit où étaient tombées ses larmes

«Nous sommes des réfugiés de guerre, un scarabée se promenait. Pendant ce dit un autre. Nous avons besoin de savoir temps qu'il avait passé dans le désert, il ce que tu caches là. Nous avons besoin avait appris que les scarabées, en Egypte, d'argent.

étaient le symbole de Dieu.

— Je ne cache rien», répondit le jeune C'était encore un signe. Alors, il se mit homme.

à creuser, tout en se remémorant le Mar-Mais l'un des hommes le prit par le bras chand de Cristaux : même en entassant des et le tira hors du trou. Un autre se mit à le pierres toute sa vie durant, jamais per-fouiller. Et ils trouvèrent le morceau d'or sonne ne réussirait à avoir une pyramide qui était dans l'une de ses poches.

dans son jardin.

«Il a de l'or», dit l'un des assaillants.

Le clair de lune illumina le visage de Toute la nuit, il creusa à l'emplacement celui qui était en train de le fouiller et, indiqué, sans rien trouver. Du haut des dans ses yeux, il vit la mort.

Pyramides, les siècles le contemplaient en

« Il doit y avoir encore de l'or caché dans silence. Mais il ne renonçait pas. Il creu-la terre », dit un autre.

sait, creusait sans discontinuer, luttant Et ils le forcèrent à continuer de creu-contre le vent qui, plus d'une fois, ramenait ser. Comme il ne trouvait toujours rien, ils le sable au fond du trou. Ses mains se fati-commencèrent à le frapper. Ils le battirent guèrent, finirent par être blessées, mais il longtemps, jusqu'à l'apparition des pre-214

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miers rayons du soleil. Ses vêtements avec leurs moutons, et où un sycomore étaient en lambeaux, et il sentit que la poussait dans la sacristie ; et si je creusais mort était proche.

au pied de ce sycomore, je trouverais un

«A quoi sert l'argent, si l'on doit mou-trésor caché. Mais je ne suis pas assez bête rir? Il est bien rare que l'argent puisse pour aller traverser tout le désert simple-sauver quelqu'un de la mort » : ainsi avait ment parce que j'ai fait deux fois le même dit l'Alchimiste.

rêve. »

«Je cherche un trésor», dit-il finalement.

Puis il partit.

Et, malgré les blessures qu'il avait à la Le jeune homme se releva, non sans bouche, enflée à la suite des coups reçus, il mal, et regarda une fois encore les Pyra-raconta à ses assaillants qu'il avait rêvé par mides. Les Pyramides lui sourirent, et il deux fois d'un trésor enfoui à proximité

leur sourit en retour, le cœur empli d'allé-des Pyramides d'Egypte.

gresse.

Celui qui paraissait être le chef resta un Il avait trouvé le trésor.

long moment silencieux. Puis il s'adressa à

l'un de ses acolytes :

«On peut le laisser aller. Il n'a rien d'autre. Cet or, il avait dû le voler. »

Le jeune homme tomba la face sur le sable. Deux yeux cherchèrent les siens; c'était le chef de la bande. Mais le jeune homme regardait dans la direction des Pyramides.

« Allons-nous-en », dit le chef à ses compagnons.

Puis il se tourna vers le jeune homme :

«Tu ne vas pas mourir, lui dit-il. Tu vas vivre, et apprendre qu'on n'a pas le droit d'être aussi bête. Ici, exactement là où tu te trouves, il y a maintenant près de deux ans, j'ai fait un rêve qui s'est répété. J'ai rêvé que je devais aller en Espagne, chercher dans la campagne une église en ruine où les bergers allaient souvent dormir 216