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Souvent, lorsque j'observais Elizabeth au travail, assise en face de mon bureau, je ne pouvais m'empêcher de penser : voici une jeune fille de vingt-cinq ans qui, elle, a échappé au tueur. Elle n'avait pas eu la malchance de croiser son chemin, d'attiser son désir de viol et de meurtre. Elle aurait pu, en rentrant un soir d'un dîner entre amis, d'un cinéma avec sa sœur, plaire à cet homme qui rôdait dans les rues à la recherche d'une proie. Il l'aurait suivie, dans ce petit deux-pièces que je connaissais, et il l'aurait peut-être violée, tuée. On aurait retrouvé Elizabeth sans vie sur son lit, sur son édredon bleu. J'avais lu que certaines jeunes femmes avaient échappé à la mort parce qu'elles avaient crié de toutes leurs forces lorsque l'homme s'était approché avec son couteau. Le tueur n'aimait pas les cris. Il prenait la fuite, dès qu'une femme hurlait. Mais la plupart de ses victimes avaient eu trop peur pour crier. Elizabeth, aurait-elle crié ?
En regardant toujours Elizabeth, je me disais que juste avant l'arrestation le tueur avait assassiné deux jeunes filles — Marie et Rebecca –, dans le quartier d'Elizabeth, à trois rues de son immeuble. Parfois Elizabeth surprenait mon regard. Elle plissait les yeux, elle semblait étonnée. Elle me demandait pourquoi je la dévisageais ainsi. Je ne savais pas quoi lui répondre.
De temps en temps, elle me demandait si j'avais des nouvelles de Robert. Je répondais d'un oui évasif. Mais Robert n'avait pas donné signe de vie. Elizabeth savait-elle ce qui s'était passé ? Robert avait-il tout raconté à son frère, qui à son tour l'avait répété à Elizabeth ? Peut-être qu'Elizabeth savait que j'avais essayé d'étrangler Robert. Qu'il m'avait traitée de folle. Qu'il était parti à toute vitesse, laissant une de ses chaussettes en bas de mon lit. J'aurais peut-être dû lui téléphoner, m'excuser. Tenter d'expliquer mon geste. C'était trop tard. Il avait dû oublier. Moi, je n'y pensais plus.