38758.fb2 La sorci?re de Portobello - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 36

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Deidre O’Neill, connue sous le nom d’Edda

Sainte Sophie, rien que cela ! C’était elle, Athéna, mais touchant la partie la plus profonde du fleuve qui coule dans son âme – entrant en contact avec la Mère.

Elle n’a fait que voir ce qui se passait dans une autre réalité. La mère de la jeune fille, parce qu’elle est morte, vit dans un lieu qui ne connaît pas le temps, et dans ce cas elle a pu dévier le cours d’un événement – mais nous, êtres humains, nous en serons toujours réduits à connaître le présent. Ce n’est pas rien, cela dit en passant : découvrir une maladie qui va se déclarer avant qu’elle ne s’aggrave, toucher des centres nerveux et débloquer des énergies, c’est à notre portée.

Bien sûr, nombreux sont morts sur le bûcher, d’autres ont été exilés, et beaucoup ont fini par dissimuler et supprimer l’étincelle de la Grande Mère dans leur âme. Je n’ai jamais cherché à pousser Athéna à entrer en contact avec le Pouvoir. C’est elle qui l’a décidé, parce que la Mère lui avait déjà envoyé plusieurs signes : elle était une lumière pendant qu’elle dansait, elle s’était transformée en lettres quand elle apprenait la calligraphie, elle était apparue dans un feu ou dans un miroir. Ce que ma disciple ne savait pas, c’était comment vivre avec Elle, et puis elle a fait quelque chose qui a provoqué toute cette succession d’événements.

Athéna, qui disait toujours à tous qu’ils devaient être différents, était au fond une personne semblable aux autres mortels. Elle avait un rythme, une vitesse de croisière. Était-elle plus curieuse ? Peut-être. Avait-elle réussi à surmonter ses difficultés et cessé de se prendre pour une victime ? Certainement. Sentait-elle le besoin de partager avec les autres, qu’ils soient employés de banque ou acteurs, ce qu’elle apprenait ? Dans certains cas, la réponse est oui, dans d’autres j’ai tâché de la stimuler, parce que nous ne sommes pas faits pour la solitude, et nous nous connaissons quand nous nous voyons dans le regard des autres. Mais mon intervention se termine là. Parce que la Mère voulait se manifester ce soir-là, elle lui a peut-être murmuré quelque chose à l’oreille : « Va à l’encontre de tout ce que tu as appris jusqu’à présent – toi, qui es maîtresse du rythme, laisse-le passer par ton corps, mais ne lui obéis pas. » C’est pour cela qu’Athéna a proposé l’exercice : son inconscient était prêt à vivre avec la Mère, mais elle vibrait toujours dans la même syntonie, et ainsi ne permettait pas que des éléments extérieurs se manifestent.

Il m’arrivait la même chose : pour moi, la meilleure manière de méditer, d’entrer en contact avec la lumière, était de tricoter – une activité que ma mère m’avait enseignée quand j’étais enfant. Je savais compter les points, croiser les aiguilles, créer de belles choses grâce à la répétition et à l’harmonie. Un jour, mon protecteur m’a demandé de tricoter d’une manière totalement irrationnelle ! Quelque chose de très violent pour moi qui avais appris à travailler avec douceur, patience et dévouement. Pourtant, il a insisté pour que je fasse un travail affreux.

Pendant deux heures, j’ai trouvé cela ridicule, absurde, j’avais mal à la tête, mais je ne pouvais pas empêcher les aiguilles de guider mes mains. N’importe qui est capable de mal faire, pourquoi me demandait-il cela ? Parce qu’il connaissait mon obsession pour la géométrie et pour la perfection.

Et soudain, c’est arrivé ; j’ai arrêté les aiguilles, j’ai senti un vide immense, qui a été rempli par une présence chaleureuse, aimante, amicale. Autour de moi, tout était différent, et j’avais envie de dire des choses que je n’aurais jamais osé dire dans mon état normal. Mais je n’ai pas perdu conscience, je savais que j’étais moi-même, même si – acceptons le paradoxe – ce n’était pas la personne que j’avais l’habitude de fréquenter.

Je peux donc « voir » ce qui s’est passé, même si je n’y étais pas ; l’âme d’Athéna suivant les sons de la musique, et son corps allant dans une direction totalement opposée. Au bout d’un certain temps, l’âme s’est détachée du corps, un espace s’est ouvert, et la Mère a enfin pu entrer.

Ou plus exactement : une étincelle de la Mère est apparue là. Vieille, mais jeune d’apparence. Savante, mais pas omnipotente. Spéciale, mais sans arrogance. Sa perception a changé, et elle s’est mise à voir les mêmes choses que celles qu’elle entrevoyait quand elle était enfant – les univers parallèles qui peuplent ce monde. À ce moment-là, nous pouvons voir non seulement le corps physique, mais les émotions des personnes. On dit que les chats ont le même pouvoir, et je le crois.

Entre le monde physique et le spirituel, il existe une sorte de manteau, dont la couleur, l’intensité, la lumière varient, et que les mystiques appellent « aura ». À partir de là, tout est facile : l’aura raconte ce qui est en train de se passer. Si j’avais été présente, elle aurait vu une couleur violette avec quelques taches jaunes autour de mon corps. Cela signifie que j’ai encore un long chemin devant moi et que ma mission n’est pas encore accomplie sur cette terre.

Mêlées aux auras humaines, apparaissent des formes transparentes – que les gens ont coutume d’appeler des « fantômes ». Ce fut le cas de la mère de la petite, le seul cas, d’ailleurs, dans lequel le destin devait être modifié. Je suis quasi certaine que cette actrice, avant même de poser la question, savait que sa mère était à ses côtés, et que la seule surprise fut l’histoire du sac.

Avant cette danse contre le rythme, ils étaient tous intimidés. Pourquoi ? Parce que nous sommes tous habitués à faire les choses « comme elles doivent être faites ». Aucun de nous n’aime faire de faux pas, surtout quand nous en sommes conscients. Y compris Athéna – il n’a sans doute pas été facile pour elle de proposer quelque chose qui allait à l’encontre de tout ce qu’elle aimait.

Je suis contente que, à ce moment, la Mère ait gagné la bataille. Un homme a été sauvé du cancer, un autre a accepté sa sexualité, et un troisième a cessé de prendre des pilules pour dormir. Tout cela parce qu’Athéna a brisé le rythme, freinant la voiture qui allait à toute vitesse et bouleversant tout.

Pour revenir à mon tricot : j’ai recouru à ce procédé pendant un temps, jusqu’à ce que je parvienne à provoquer cette présence sans aucun artifice, puisque je la connaissais et m’habituais à elle. Il s’est passé la même chose avec Athéna – une fois que nous savons où sont les Portes de la Perception, il est très facile de les ouvrir et de les fermer, dès lors que nous nous habituons à notre comportement « étrange ».

Et il faut ajouter ceci : j’ai tricoté beaucoup plus vite et bien mieux, de même qu’Athéna s’est mise à danser avec plus d’âme et de rythme après qu’elle a eu osé briser ces barrières.