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Un journal londonien, 24 août 1991

LA SORCIÈRE DE PORTOBELLO

Londres (copyright Jeremy Lutton) – « Pour diverses raisons, je ne crois pas en Dieu. Voyez comment se comportent ceux qui croient ! » C’est ainsi qu’a réagi Robert Wilson, un commerçant de Portobello Road.

La rue, connue dans le monde entier pour ses antiquaires et ses puces du samedi, s’est transformée hier soir en camp retranché, et il a fallu l’intervention d’au moins cinquante policiers du Royal Borough of Kensington and Chelsea pour calmer les esprits. À la fin de l’émeute, cinq personnes étaient blessées, mais aucune dans un état grave. Le motif de la bataille rangée, qui a duré deux heures ou presque, était une manifestation convoquée par le révérend Ian Buck, contre ce qu’il a appelé un « culte satanique en plein cœur de l’Angleterre ».

Selon Buck, depuis six mois, un groupe de personnes suspectes empêchait le voisinage de dormir en paix le lundi soir, jour où ils invoquaient le démon. Les cérémonies étaient conduites par la Libanaise Sherine H. Khalil, qui se faisait appeler Athéna, du nom de la déesse de la Sagesse.

Elle réunissait généralement deux centaines de personnes dans l’ancien entrepôt de céréales de la Compagnie des Indes, mais la foule augmentait à mesure que le temps passait, et ces dernières semaines un groupe tout aussi nombreux restait dehors en attendant une occasion d’entrer et de prendre part au culte. Voyant que ses réclamations verbales, pétitions, manifestes, notes pour la presse, rien n’avait donné de résultat, le révérend a décidé de mobiliser sa communauté, demandant à ses fidèles, hier à 19 heures, de se placer à l’extérieur de l’entrepôt pour empêcher l’entrée des « adorateurs de Satan ».

« Dès que nous avons reçu la première dénonciation, nous avons envoyé quelqu’un inspecter le local, mais il n’a été trouvé aucune sorte de drogue ni aucun indice d’activité illicite », a dit un officier, qui a préféré garder l’anonymat, vu qu’une enquête venait d’être ouverte pour tirer au clair ce qui s’était passé. « Comme la musique était toujours éteinte à 10 heures du soir, il n’y avait pas violation de la loi contre le tapage nocturne, et nous n’avons rien pu faire. L’Angleterre reconnaît la liberté de culte. »

Le révérend Buck a une autre version de l’affaire :

« En réalité, cette sorcière de Portobello, cette maîtresse en charlatanisme, a des contacts avec les hautes sphères du gouvernement, d’où la passivité d’une police payée avec l’argent du contribuable pour maintenir l’ordre et la décence. Nous vivons une époque où tout est permis ; la liberté illimitée est en train de dévorer et de détruire la démocratie. »

Le pasteur affirme que dès le début il s’est méfié de ce groupe ; ils avaient loué un bâtiment qui tombait en ruine, et ils passaient des jours entiers à essayer de le retaper, « ce qui démontrait clairement qu’ils appartenaient à une secte et qu’ils avaient été soumis à des lavages de cerveau, parce que personne ne travaille gratuitement dans ce monde ». Quand on lui a demandé si ses fidèles ne se consacraient pas eux aussi à des travaux caritatifs ou de soutien à la communauté, Buck a allégué : « Ce que nous faisons, c’est au nom de Jésus. »

Hier soir, en arrivant à l’entrepôt où ses partisans attendaient à l’extérieur, Sherine Khalil, son fils, et quelques-uns de ses amis ont été empêchés d’entrer par les paroissiens du révérend Buck, qui brandissaient des pancartes et hurlaient dans des mégaphones pour appeler le voisinage à se joindre à eux. L’altercation a bientôt dégénéré en agressions physiques, et en peu de temps il était impossible de contrôler les deux camps.

« Ils disent qu’ils luttent au nom de Jésus ; mais en vérité ce qu’ils désirent, c’est faire que nous continuions à ne pas écouter les paroles du Christ, qui disait "nous sommes tous des dieux" », a affirmé la célèbre actrice Andréa McCain, qui compte parmi les partisans de Sherine Khalil, Athéna. Mlle McCain a eu le sourcil droit entaillé, elle a été immédiatement soignée et a quitté les lieux avant que le reporter puisse en savoir davantage sur sa relation avec le culte.

Pour Mme Khalil, qui s’est efforcée de calmer son fils de huit ans dès que l’ordre a été rétabli, tout ce qui se passe dans l’ancien entrepôt est une danse collective, suivie de l’invocation d’une entité connue sous le nom de Sainte Sophie, à qui sont posées des questions. La célébration se termine par une sorte de sermon et une prière collective en hommage à la Grande Mère. L’officier qui a été chargé de tirer au clair les premières dénonciations a confirmé ses propos.

D’après nos vérifications, la communauté n’a pas de nom et n’est pas enregistrée comme société de bienfaisance. Mais, pour l’avocat Sheldon Williams, ce n’est pas nécessaire : « Nous sommes dans un pays libre, les gens peuvent se réunir dans des lieux fermés pour des événements sans but lucratif, dès lors que cela n’entraîne la violation d’aucun article de notre code civil, ce qui serait le cas de l’incitation au racisme ou de la consommation de stupéfiants. »

Mme Khalil a rejeté énergiquement l’hypothèse d’interrompre ses cultes à cause des troubles.

« Nous formons un groupe pour nous encourager mutuellement, parce qu’il est très difficile d’affronter seul les pressions de la société », a-t-elle déclaré. « J’exige que votre journal dénonce la pression religieuse que nous avons subie tout au long des siècles. Chaque fois que nous ne faisons pas les choses en accord avec les religions instituées et approuvées par l’État, nous sommes réprimés – comme on a tenté de le faire aujourd’hui. Il se trouve qu’autrefois nous marchions vers le calvaire, les prisons, les bûchers, l’exil. Mais maintenant nous avons les moyens de réagir, et à la force répondra la force, de même que la compassion sera récompensée par la compassion. »

Confrontée aux accusations du révérend Buck, elle l’a accusé de « manipuler ses fidèles, sous le prétexte de l’intolérance et avec l’arme du mensonge pour des actions violentes ».

D’après le sociologue Arthaud Lenox, des phénomènes comme celui-là auront tendance à se reproduire dans les prochaines années, entraînant peut-être des confrontations plus graves entre les religions établies. « Au moment où l’utopie marxiste a prouvé sa totale incapacité à canaliser les idéaux de la société, le monde se tourne maintenant vers un réveil religieux, fruit de la frayeur naturelle qu’éprouve la civilisation pour les dates à chiffre rond. Je crois cependant que, quand l’an 2000 arrivera et que le monde continuera d’exister, le bon sens prévaudra et les religions redeviendront un simple refuge pour les plus faibles, qui sont toujours en quête de guides. »

Cette opinion est contestée par D. Evaristo Piazza, évêque auxiliaire du Vatican au Royaume-Uni : « Ce que nous voyons surgir n’est pas un réveil spirituel que nous désirons tous ardemment, mais une vague de ce que les Américains appellent New Era, sorte de bouillon de culture dans lequel tout est permis, les dogmes ne sont pas respectés, et les idées les plus absurdes du passé reviennent ravager l’âme humaine. Des gens sans scrupule comme cette dame essaient de faire naître leurs idées fausses dans des esprits fragiles et influençables à seule fin de profit financier et de pouvoir personnel. »

L’historien allemand Franz Herbert, actuellement en stage au Gœthe Institut de Londres, a un avis différent : « Les religions établies ont cessé de répondre aux questions fondamentales de l’homme – comme son identité et sa raison de vivre. À la place, elles se sont concentrées sur une série de dogmes et de normes tournées vers une organisation sociale et politique. Ainsi, les gens en quête d’une spiritualité authentique prennent d’autres routes ; cela signifie, sans aucun doute, un retour au passé et aux cultes primitifs, avant que ces cultes ne soient corrompus par les structures de pouvoir. »

Au poste de police où l’événement a été enregistré, le sergent William Morton a informé que si le groupe de Sherine Khalil décidait de tenir sa réunion le lundi suivant et se sentait menacé, il devrait solliciter par écrit la protection de la police, pour éviter que les incidents ne se reproduisent. (A collaboré au reportage : Andrew Fish ; photos de Mark Guillhem.)