38776.fb2 La vie devant soi - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 15

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– Il y a… il y a rien.

– Écoute, j'ai fini mon travail, on va aller chez moi et tu vas tout me raconter.

Elle a couru chercher son imper et on est parti dans sa voiture. Elle se tournait vers moi de temps en temps pour me sourire. Elle sentait tellement bon que c'était difficile de croire. Elle voyait bien que j'étais pas dans ma forme olympique, j'avais même le hoquet, elle ne disait rien parce que à quoi bon, parfois seulement elle nie mettait la main sur la joue grâce à un feu rouge, ce qui fait toujours du bien dans ces cas-là. On est arrivé devant son adresse rue Saint-Honoré et elle a fait entrer sa bagnole dans la cour.

Nous sommes montés chez elle et là il y avait un mec que je connaissais pas. Un grand, avec des longs cheveux et des lunettes qui m'a serré la main et n'a rien dit, comme si c'était naturel. Il était plutôt jeune et ne devait pas avoir deux ou trois fois plus que moi. J'ai regardé pour voir si les deux mômes blonds qu'ils avaient déjà n'allaient pas sortir pour me dire qu'on n'avait pas besoin de moi mais il y avait seulement un chien qui n'était pas méchant non plus.

Ils ont commencé à parler entre eux en anglais dans une langue que je ne connaissais pas et puis je fus servi de thé avec des sandwiches qui étaient vachement bons et je me suis régalé. Ils m'ont laissé bouffer comme s'il n'y avait que ça à faire et puis le mec m'a parlé un peu pour savoir si ça allait mieux et j'ai fait un effort pour dire Quelque chose mais il y en avait tellement et tellement que j'arrivais même pas à bien respirer et j'avais le hoquet et de l'asthme comme Madame Rosa, parce que c'est contagieux, l'asthme.

Je suis bien resté muet comme une carpe à la juive pendant une demi-heure avec le hoquet et j'ai entendu le mec dire que j'étais en état de choc, ce qui m'a fait plaisir parce que ça avait l'air de les intéresser. Après, je me suis levé, je leur ai dit que j'étais obligé de rentrer vu qu'il y avait une vieille personne en état de manque qui avait besoin de moi mais la môme qui s'appelait Nadine est allée à la cuisine et elle est revenue avec une glace à la vanille qui était la plus belle chose que j'aie jamais mangée dans ma putain de vie, je vous le dis comme je le pense.

On a causé un peu, après ça, parce que j'étais bien. Quand je leur ai expliqué que la personne humaine était une vieille Juive en état de manque qui était partie pour battre le record du monde toutes catégories et ce que le docteur Katz m'a expliqué sur les légumes, ils ont prononcé des mots que j'avais déjà entendus comme sénilité et sclérose cérébrale et j'étais content parce que je parlais de Madame Rosa et ça me fait toujours plaisir. Je leur ai expliqué que Madame Rosa était une ancienne pute qui était revenue comme déportée dans les foyers juifs en Allemagne et qui avait ouvert un clandé pour enfants de putes qu'on peut faire chanter avec la déchéance paternelle pour prostitution illicite et qui sont obligées de planquer leurs mômes car il y a des voisins qui sont des salauds et peuvent toujours vous dénoncer à l'Assistance publique. Je ne sais pas pourquoi ça me faisait brusquement du bien de leur parler, j'étais bien assis dans un fauteuil et le mec m'a même offert une cigarette et du feu avec son briquet et il m'écou-tait comme si j'avais de l'importance. Ce n'est pas pour dire, mais je voyais bien que je leur faisais de l'effet. Je me suis même emballé et j'arrivais plus à m'arrêter tellement j'avais envie de tout sortir mais là évidemment c'est pas possible parce que je suis pas Monsieur Victor Hugo, je ne suis pas encore équipé pour ça. Ça sortait un peu de tous les côtés à la fois parce que je commençais toujours par la fin des haricots, avec Madame Rosa en état de manque et mon père qui avait tué ma mère parce qu'il était psychiatrique, mais il faut vous dire que j'ai jamais su où ça commence et où ça finit parce qu'à mon avis ça ne fait que continuer. Ma mère s'appelait Aïcha et se défendait avec son cul et se faisait jusqu'à vingt passes par jour avant de se faire tuer dans une crise de folie mais c'était pas sûr que j'étais héréditaire, Monsieur Kadir Yoûs-sef ne pouvait pas jurer qu'il était mon père. Le mec de Madame Nadine s'appelait Ramon et il m'a dit qu'il était un peu médecin et qu'il croyait pas beaucoup à l'héritage et que je devais pas y compter. Il m'a rallumé ma cigarette avec son briquet et m'a dit que les enfants de putes, c'est plutôt mieux qu'autre chose parce qu'on peut se choisir un père qu'on veut, on est pas obligé. Il m'a dit qu'il y avait beaucoup d'accidents de naissance qui ont très bien tourné plus tard et qui ont donné des mecs valables. Je lui ai dit d'accord, quand on est là on est là, c'est pas comme dans la salle de projection de Madame Nadine où on peut tout mettre en marche arrière et retourner chez sa mère à l'intérieur, mais ce qu'il y a de dégueulasse c'est qu'il est pas permis d'avorter les vieilles personnes comme Madame Rosa qui en ont ralbol. Ça me faisait vraiment du bien de leur parler parce qu'il me semblait que c'était arrivé moins, une fois que je l'avais sorti. Ce mec qui s'appelait Ramon et qui n'avait pas du tout une sale gueule, s'occupait beaucoup de sa pipe pendant que je causais, mais je voyais bien que c'était moi qui l'intéressais. J'avais seulement peur que la môme Nadine ne nous laisse seuls avec lui vu que sans elle, ça aurait pas été la même chose comme sympathie. Elle avait un sourire qui était tout à fait pour moi. Quand je leur ai dit comment j'avais eu quatorze ans d'un seul coup alors que j'en avais dix encore la veille, j'ai encore marqué un point, tellement ils étaient intéressés. Je ne pouvais plus m'arrêter, tellement je les intéressais. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour les intéresser encore plus et pour qu'ils sentent qu'avec moi, ils faisaient une affaire.

– Mon père est venu l'autre jour pour me reprendre, il m'avait mis en pension chez Madame Rosa avant de tuer ma mère et on l'a déclaré psychiatrique. Il avait d'autres putes qui travaillaient pour lui mais il a tué ma mère parce que c'est elle qu'il préférait. Il est venu me réclamer quand ils L'ont laissé sortir mais Madame Rosa n'a rien voulu savoir, parce que c'est pas bon pour moi d'avoir un père psychiatrique, ça peut être héréditaire. Alors elle lui a dit que son fils c'est Moïse, qui est juif. Il y a aussi des Moïse chez les Arabes mais ils sont pas juifs. Seulement, vous pensez, Monsieur Yoûssef Kadir était arabe et musulman et quand on lui a rendu un fils juif, il a fait un malheur et il est mort…

Le docteur Ramon écoutait lui aussi mais c'était surtout Madame Nadine qui me faisait plaisir.

… Madame Rosa, c'est la femme la plus moche et la plus seule que j'aie jamais vue dans son malheur, heureusement que je suis là, parce que personne n'en voudrait. Moi je comprends pas pourquoi il y a des gens qui ont tout, qui sont moches, vieux, pauvres, malades et d'autres qui n'ont rien du tout. C'est pas juste. Moi j'ai un ami qui est chef de toute la police et qui a les forces de sécurité les plus fortes de tous, il est partout le plus fort, c'est le plus grand flic que vous pouvez imaginer. Il est tellement fort comme flic qu'il pourrait faire n'importe quoi, c'est le roi. Quand on marche dans la rue ensemble, il me met le bras autour des épaules pour bien montrer que c'est comme mon père. Quand j'étais petit il y avait des fois une lionne qui venait la nuit me lécher la figure, j'avais encore dix ans et j'imaginais des choses et à l'école ils ont dit que j'étais perturbé parce qu'ils ne savaient pas que j'avais quatre ans de plus, j'étais pas encore daté, c'était bien avant que Monsieur Yoûssef Kadir est venu se déclarer comme mon père avec un reçu à l'appui. C'est Monsieur Hamil le marchand de tapis bien connu qui m'a appris tout ce que je sais et maintenant il est aveugle. Monsieur Hamil a un Livre de Monsieur Victor Hugo sur lui et quand je serai grand j'écrirai moi aussi les misérables parce que c'est ce qu'on écrit toujours quand on a quelque chose à dire. Madame Rosa avait peur d'une crise de violence de ma part et que je lui cause du tort en lui coupant la gorge parce qu'elle avait peur que j'étais héréditaire. Mais il y a pas un enfant de pute qui peut dire qui est son père et moi je n'irai jamais tuer personne, ce n'est pas fait pour ça. Quand je serai grand j'aurai toutes les forces de sécurité à ma disposition et j'aurai jamais peur. C'est dommage qu'on peut pas tout faire à l'envers comme dans votre salle de projection, pour faire reculer le monde et pour que Madame Rosa soit jeune et belle et ça ferait plaisir de la regarder. Des fois je pense partir avec un cirque où j'ai des amis qui sont clowns mais je ne peux pas le faire et dire merde à tous tant que la Juive sera là parce que je suis obligé de m'occuper d'elle…

Je m'emballais de plus en plus et je ne pouvais plus m'arrêter de parler parce que j'avais peur si je m'arrêtais qu'ils n'allaient plus m'écouter. Le docteur Ramon, car c'était lui, avait un visage avec des lunettes et des yeux qui vous regardent et à un moment il s'est même levé et il a même mis le magnétophone pour mieux m'écouter et je me suis senti encore plus important, c'était même pas croyable. Il avait des tas de cheveux sur la tête. C'était la première fois que j'étais digne d'intérêt et qu'on me mettait même sur magnétophone. Moi j'ai jamais su ce qu'il faut faire pour être digne d'intérêt, tuer quelqu'un avec des otages ou est-ce que je sais. Ah là là je vous jure, il y a une telle quantité de manque d'attention dans le monde qu'on est obligé de choisir comme pour les vacances quand on ne peut pas aller à la fois à la montagne et à la mer. On est obligé de choisir ce qui nous plaît le plus comme manque d'attention dans le monde et les gens prennent toujours ce qu'il y a de mieux dans le genre et de plus chèrement payé comme les nazis qui ont coûté des millions ou le Vietnam. Alors une vieille Juive au sixième étage sans ascenseur qui a déjà trop souffert dans le passé pour qu'on s'intéresse encore à elle, c'est pas avec Ça qu'on passera en première série, ah non alors. Les gens il leur faut des millions et des millions pour se sentir intéressés et on ne peut pas leur en vouloir car plus c'est petit et moins ça compte…

Je me vautrais dans mon fauteuil et je parlais comme un roi et le plus marrant, c'est qu'ils m'écoutaient comme s'ils avaient jamais rien entendu de pareil. Mais c'est surtout le docteur Ramon qui me faisait parler, parce que la môme, j'avais l'impression qu'elle ne voulait pas entendre, des fois elle faisait même un geste comme pour se boucher les oreilles. Ça me faisait marrer un peu parce que quoi, on est bien obligé de vivre.

Le docteur Ramon m'a demandé ce que je voulais dire quand je parlais de l'état de manque et je lui ai dit que c'est quand on n'a rien et personne. Après il a voulu savoir comment on faisait pour vivre depuis que les putes ne venaient plus nous mettre des mômes en pension, mais là je l'ai tout de suite rassuré et je lui ai dit que le cul, c'est ce qu'il y a de plus sacré chez l'homme, Madame Rosa me l'avait expliqué quand je ne savais même pas encore à quoi ça servait. Je ne me défendais pas avec mon cul, il pouvait être tranquille. On avait une amie Madame Lola qui se défendait au bois de Boulogne comme travestite et qui nous aidait beaucoup. Si tout le monde était comme elle le monde serait vachement différent et il y aurait beaucoup moins de malheurs. Elle avait été champion de boxe au Sénégal avant de devenir travestite et elle gagnait assez d'argent pour élever une famille, si elle n'avait pas la nature contre elle.

De la façon qu'ils m'écoutaient je voyais bien qu'ils avaient pas l'habitude de vivre et je leur ai raconté comment je faisais le proxynète rue Blanche pour me faire un peu d'argent de poche. J'essaie encore maintenant de dire proxénète et pas proxynète comme je faisais quand j'étais môme, mais j'ai pris l'habitude. Parfois le docteur Ramon disait à son amie quelque chose de politique mais je ne comprenais pas très bien parce que la politique c'est pas pour les jeunes.

Je ne sais pas ce que je ne leur ai pas dit et j'avais envie de continuer et de continuer, tellement il nie restait des choses que j'avais envie de mettre dehors. Mais j'étais claqué et je commençais même à voir le clown bleu qui me faisait des signes comme souvent quand j'ai envie de dormir et j'avais peur qu'ils le voient aussi et qu'ils se mettent à penser que je suis taré ou quelque chose. J'arrivais plus à parler et ils ont bien vu que j'étais claqué et ils m'ont dit que je pouvais rester dormir chez eux. Mais je leur ai expliqué que je devais aller m'occuper de Madame Rosa qui allait bientôt mourir et après j'allais voir. Ils m'ont encore donné un papier avec leur nom et adresse et la môme Nadine m'a dit qu'elle allait me raccompagner en voiture et que le docteur viendrait avec nous pour jeter un coup d'œil à Madame Rosa pour voir s'il y avait quelque chose qu'il pouvait faire. Moi je ne voyais pas ce qu'on pouvait encore faire pour Madame Rosa après tout ce qu'on lui avait déjà fait, mais j'étais d'accord pour rentrer en voiture. Seulement, il y a eu un truc marrant.

On allait sortir quand quelqu'un a sonné à la porte cinq fois de suite et lorsque Madame Nadine a ouvert, j'ai vu les deux mômes que je connaissais déjà et qui étaient là chez eux, il n'y avait rien à dire. C'étaient ses mômes à elle qui revenaient de l'école ou quelque chose comme ça. Ils étaient blonds et habillés comme on croit rêver, avec des vêtements pour luxe, le genre de sapes qu'on ne peut pas voler parce qu'elles sont pas à l'étalage mais à l'intérieur et il faut franchir les vendeuses pour y arriver. Ils m'ont tout de suite regardé comme si j'étais de la merde. J'étais fringué comme un minable, je l'ai senti tout de suite. J'avais une casquette qui était toujours debout sur ses arrières parce que j'ai trop de cheveux et un pardaf qui m'arrivait aux talons. Quand on fauche des frusques, on n'a pas le temps de mesurer si c'est trop grand ou trop petit, on est pressé. Bon, ils ont rien dit, mais on était pas du même quartier.

J'ai jamais vu deux mômes aussi blonds que ces deux-là. Et je vous jure qu'ils avaient pas beaucoup servi, ils étaient tout neufs. Ils étaient vraiment sans aucun rapport.

– Venez, je vous présente notre ami Mohammed, dit leur mère.

Elle aurait pas dû dire Mohammed, elle aurait dû dire Momo. Mohammed, ça fait cul d'Arabe en France, et moi quand on me dit ça, je me fâche. J'ai pas honte d'être arabe au contraire mais Mohammed en France, ça fait balayeur ou main-d'œuvre. Ça veut pas dire la même chose qu'un Algérien. Et puis Mohammed ça fait con. C'est comme si on disait Jésus-Christ en France, ça fait rigoler tout le monde.

Les deux mômes m'ont tout de suite cherché. Le plus jeune, celui qui devait avoir dans les six ou sept ans, parce que l'autre devait faire dans les dix, m'a regardé comme s'il n'avait jamais vu ça, et puis il a dit:

– Pourquoi il est habillé comme ça?

J'étais pas pour me faire insulter. Je savais bien que j'étais pas chez moi ici. Là-dessus l'autre m'a regardé encore plus et il m'a demandé:

– Tu es arabe?

Merde, je me fais pas traiter d'Arabe par personne. Et puis, quoi, c'était pas la peine d'insister, j'étais pas jaloux ni rien mais la place n'était pas pour moi et puis elle était déjà prise, j'avais rien à dire. J'ai eu un truc à la gorge que j'ai avalé et puis, je me suis précipité dehors et j'ai foutu le camp.

On était pas du même quartier, quoi.

Je me suis arrêté devant un cinéma, mais c'était un film interdit aux mineurs. C'est même marrant quand on pense aux trucs qui sont interdits aux mineurs et à tous les autres auxquels on a droit.

La caissière m'a vu regarder les photos à la devanture et elle m'a gueulé de filer pour protéger la jeunesse. Connasse. J'en avais ralbol d'être interdit aux mineurs, j'ai ouvert ma braguette, je lui ai montré mon zob et je suis parti en courant parce que c'était pas le moment de plaisanter.

Je suis passé à Montmartre à côté d'un tas de sex-shops mais ils sont protégés aussi et puis j'ai pas besoin de trucs pour me branler quand j'en ai envie. Les sex-shops c'est pour les vieux qui peuvent plus se branler tout seuls.

Le jour où ma mère s'était pas fait avorter, c'était du génocide. Madame Rosa avait tout le temps ce mot à la bouche, elle avait de l'éduca tion et avait été à l'école.

La vie, c'est pas un truc pour tout le monde.

Je me suis plus arrêté nulle part avant de rentrer, je n'avais qu'une envie, c'était de m'asseoir à côté de Madame Rosa parce qu'elle et moi, au moins, c'était la même merde.

Quand je suis arrivé, j'ai vu une ambulance devant la maison et j'ai cru que c'était foutu et que j'avais plus personne mais c'était pas pour Madame Rosa, c'était pour quelqu'un qui était déjà mort. J'ai eu un tel soulagement que j'aurais chialé si j'avais pas quatre ans de plus. J'avais déjà cru qu'il ne me restait rien. C'est le corps de Monsieur Bouaffa. Monsieur Bouaffa, vous savez, celui dont je ne vous ai pas parlé parce qu'il n'y avait rien à en dire, c'était quelqu'un qui se voyait peu. Il avait eu un truc au cœur et Monsieur Zaoum l'aîné, qui était dehors, m'a dit que personne n'avait remarqué qu'il était mort, il ne recevait jamais de courrier. J'ai jamais été aussi content de le voir mort, je dis pas ça contre lui, bien sûr, je dis ça pour Madame Rosa, ça faisait autant de moins pour elle.

Je suis vite monté, la porte était ouverte, les amis de Monsieur Waloumba étaient partis niais ils avaient laissé de la lumière pour que Madame Rosa se voie. Elle était répandue dans son fauteuil et vous pouvez vous imaginer le plaisir que j'ai eu quand j'ai vu qu'elle avait des larmes qui coulaient parce que ça prouvait qu'elle était vivante. Elle était même un peu secouée de l'intérieur comme chez les personnes qui ont des sanglots.

– Momo… Momo… Momo… c'était tout ce qu'elle avait moyen de dire mais ça m'a suffi.

J'ai couru l'embrasser. Elle sentait pas bon parce qu'elle avait chié et pissé sous elle pour des raisons d'état. Je l'ai embrassée encore plus parce que je ne voulais pas qu'elle s'imagine qu'elle me dégoûtait.

– Momo… Momo…

– Oui, Madame Rosa, c'est moi, vous pouvez compter dessus.

– Momo… J'ai entendu… Ils ont appelé une ambulance… Ils vont venir…

– C'est pas pour vous, Madame Rosa, c'est pour Monsieur Bouaffa qui est déjà mort.

– J'ai peur…

– Je sais. Madame Rosa, ça prouve que vous êtes bien vivante.

– L'ambulance…

Elle avait du mal à parler car les mots ont besoin de muscles pour sortir et chez elle les muscles étaient tout avachis.

– C'est pas pour vous. Vous, ils savent même pas que vous êtes là, je vous le jure sur le Prophète. Khaïrem.

– Ils vont venir, Momo…

– Pas maintenant, Madame Rosa. On vous a pas dénoncée. Vous êtes bien vivante, même que vous avez chié et pissé sous vous, il n'y a que les vivants qui font ça.

Elle a paru un peu rassurée. Je regardais ses yeux, pour ne pas voir le reste. Vous n'allez pas me croire, mais elle avait des yeux de toute beauté, cette vieille Juive. C'est comme les tapis de Monsieur Hamil, quand il disait: «J'ai là des tapis de toute beauté.» Monsieur Hamil croit qu'il n'y a rien de plus beau au monde qu'un beau tapis et que même Allah était assis dessus. Si vous voulez mon avis, Allah est assis sur des tas de trucs.

– C'est vrai que ça pue.

– Ça prouve que ça fonctionne encore à l'intérieur.

– Inch'Allah, dit Madame Rosa. Je vais bientôt mourir.